Ils marchaient ensemble le long de la rue principale du quartier juif et s’apprêtaient à prendre une décision importante à propos de la prochaine colonie de vacances.
Rav Aharon Ktorza est un des nombreux Chlou’him (émissaires) du Rabbi à Vienne, la capitale de l’Autriche. A côté de lui marchait Alex, qui n’est pas juif. Alex est le directeur administratif du département éducatif du mouvement Loubavitch de Vienne, sous la direction de Rav Yaakov Biderman.
Rav Ktorza et Alex discutaient avec passion : continuer ou non ? Voici de quoi il s’agissait : Rav Ktorza est responsable des différentes colonies de vacances d’été du mouvement Loubavitch en Autriche. Le nombre d’enfants qui tiennent à profiter de cette ambiance juive si authentique et si enrichissante augmente régulièrement tant ces colonies sont couronnées de succès. La participation financière demandée aux parents étant plus que symbolique, elle ne couvrait vraiment pas les dépenses. La situation était si catastrophique qu’ils envisageaient de mettre un terme aux inscriptions.
Ils arrivèrent, tout en discutant, à une place bien particulière de la ville de Vienne, à côté d’un grand parc : « Rabbiner Schneerson Platz », Place de Rabbi Schneerson, nommée ainsi par la ville de Vienne en hommage à la personnalité du Rabbi et à son influence bénéfique pour le judaïsme autrichien.
Finalement Rav Aharon s’arrêta : il était décidé !
- Alex ! Je vais vous indiquer ce que j’ai décidé. Cela va vous sembler une folie. C’est vrai, je n’ai aucune idée d’où viendra l’argent mais il faut aller de l’avant ! J’ai décidé que, cette année, je ne refuserai aucun enfant : tout enfant juif qui souhaite s’inscrire à notre colonie, nous sommes obligés de l’accepter, quel que soit l’état de nos finances ! D.ieu nous aidera !
Alex se taisait. Lui aussi s’arrêta et Rav Aharon le comprenait. En tant que responsable administratif, Alex était parfaitement au courant de la situation et comprenait très bien ce qu’impliquait cette décision : « A priori en avant ! » n’est pas du tout une décision logique et simple à assumer !
Alex se perdit en réflexion avant de répondre. Il regarda fixement la plaque apposée sur la Place et se tourna vers son interlocuteur : « Écoutez Aharon ! Vous avez raison ! J’en suis sûr ! J’ignore comment nous y parviendrons mais vous devez simplement vous demander : « Qu’est-ce que le Rabbi attend maintenant de vous ? ». Et prendre les décisions en conséquence ! ».
Aharon n’en revenait pas ! Jamais il ne se serait attendu à une telle réaction de la part d’un non-Juif ! Un instant, il pensa qu’Alex ne faisait peut-être que répéter machinalement une phrase qu’il avait dû entendre ici ou là au cours des nombreuses années qu’il avait passées entre les murs des écoles Loubavitch de Vienne…
Mais non ! Alex avait prononcé ces phrases très sérieusement ! Et il s’expliqua :
- Vous vous demandez sans doute comment se fait-il que moi qui ne suis pas juif, je parle ainsi. Je vais tout vous raconter :
Vienne est connue comme une ville où le mouvement Loubavitch a pris une ampleur considérable, en particulier dans le domaine de l’éducation juive : les élèves qui fréquentent ces écoles connaissent une très grande réussite et de nombreux Chlou’him se dévouent pour cela. C’est moi, Alex, qui supervise les finances des crèches, jardins d’enfants, les lycées ainsi que l’école de comptabilité où sont scolarisés des centaines d’enfants, issus de la communauté. Ceux-ci étudient la Torah mais aussi les matières générales.
Mais qu’en est-il des enfants de tous les Chlou’him qui souhaitent n’étudier que la Torah ainsi que les enfants de tous ceux qui sont devenus des ‘Hassidim à part entière ? Pour eux, nous avons institué un ‘Héder dirigé par Rav David Neimark. Le niveau d’étude juive y est beaucoup plus élevé et n’a pas à rougir devant les plus prestigieuses écoles juives de New York ou Jérusalem.
Ce ‘Héder ne pose pas de problème pendant l’année : les dépenses qu’il implique sont plus ou moins couvertes par l’ensemble des subventions que nous recevons pour les autres institutions. Le problème se pose en été, pendant les grandes vacances : là, il n’y a plus de subventions et, pour faire fonctionner le ‘Héder, nous devons faire appel aux parents. Et le problème se complique encore du fait que certaines familles partent en vacances et qu’il ne reste donc plus que quelques enfants dont les parents doivent alors supporter toutes les dépenses.
Il y a exactement une semaine, continua Alex, lors d’une conversation téléphonique avec Rav Neimark, j’ai compris que, cette année, il n’y aurait vraiment que très peu d’enfants intéressés par le fonctionnement du ‘Héder cet été. Je suis conscient de l’importance de l’étude des enfants même pendant les vacances mais, dans notre cas, j’ai déclaré à Rav Neimark qu’au vu des conditions présentes, il fallait malheureusement être réaliste et abandonner.
Je raccrochai et m’apprêtai à rentrer dans mon bureau. Je n’avais pas encore ouvert la porte que la secrétaire vint à ma rencontre en agitant une lettre. Elle m’annonça avec joie que, de façon tout à fait surprenante, nous venions de recevoir de la municipalité de Vienne un rappel de subventions – plusieurs milliers d’euros – pour nous aider dans les nécessaires travaux d’agrandissement de nos institutions.
Bien entendu, j’en fus très heureux et je pris la lettre. J’ai ouvert la porte et, soudain, ils me sont apparus : deux yeux bleus qui perçaient tout mon être, les yeux du Rabbi sur le grand portrait suspendu dans le bureau.
J’ai regardé le Rabbi, j’ai regardé la lettre que je tenais à la main et j’ai tout de suite compris l’allusion. J’ai compris d’où provenait tout à coup cela, justement maintenant, des allocations que nous n’espérions même pas : c’est le Rabbi qui nous les avait envoyées !
Je me suis retourné et j’ai demandé à la secrétaire d’informer immédiatement Rav Neimark qu’il y aurait bien un ‘Héder qui fonctionnerait cet été à Vienne !
Vous comprenez Aharon ? conclut le directeur non-juif à l’adresse de Rav Ktorza. Vous avez pris la bonne décision ! Quand on se trouve devant un projet positif même si on ne sait absolument pas d’où viendra l’argent, il ne faut pas hésiter longtemps ! Il ne faut penser qu’au but qu’on désire atteindre et tout se met en marche : « Qu’est-ce que le Rabbi attend de moi maintenant ? ».
Nous connaissions déjà le concept de « Hassidé Oumot Haolam », les « Justes des Nations » et soudain, il s’avère que le mouvement Loubavitch d’Autriche en connait un autre : « Non-Juif et ‘Hassid du Rabbi » !
Rav Yerachmiel Gorelik – Kfar Chabad N° 1666
Traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 27 octobre 2024