Dans une petite ville de Russie, se trouve un vieux Mikvé (bain rituel). En piteux état, il n’en a pas moins une histoire originale qui témoigne des terribles conditions de vie dans l’ex-Union Soviétique. Ce Mikvé est remarquable, non pas par son confort plus que rudimentaire, car il n’a jamais cherché à attirer l’attention mais par l’histoire de l’homme qui l’a construit.
C’était au début de la Révolution bolchevique en 1917. Un des leaders du mouvement communiste, qui attirait les foules par ses discours enflammés, n’était autre que Trotski, un Juif assimilé, ami personnel de Lénine et théoricien remarquable. De nombreux jeunes Juifs s’enthousiasmaient pour ses idées d’égalité et de fraternité qui devaient hélas, par la suite, tourner au cauchemar, à la pauvreté absolue, aux massacres et aux déportations de masse en Sibérie.
Parmi les fidèles de Trotski, se trouvait un certain Chlomo Zalman qu’on appelait “ Chlouzeman ”. C’était un jeune homme enthousiaste, fervent partisan de la Révolution supposée offrir au peuple la liberté, la justice et les droits de l’homme.
Il quitta le domicile familial et fonda avec ses amis une cellule active du mouvement communiste. En même temps, d’ailleurs, il abandonna la pratique religieuse que ses parents lui avaient inculquée avec amour, leur causant ainsi un chagrin et une honte indescriptibles.
Les années passèrent et les parents de Chlouzeman quittèrent ce monde. Quant à lui, il continuait de participer non seulement aux réunions théoriques mais aussi aux combats de rues où le meurtre, le vol et le pillage étaient pratiqués au grand jour.
Et voici qu’un beau matin, alors qu’approchait la date anniversaire du décès de son père, Chlouzeman ressentit très fort l’envie de réciter le “ Kaddich ” devant dix Juifs comme le veut la tradition. Pour cela, il se rendit dans l’une des trois synagogues de la ville.
Le jeune communiste ne s’attendait pas à la scène qui suivit. En effet, à peine avait-il franchi le seuil de la synagogue que tous les fidèles se figèrent, pétrifiés: qui pouvait prévoir ce que ce membre influent du Parti venait espionner? Qui allait-il dénoncer? Qui allait-il faire emprisonner ou déporter?
Un à un, les fidèles s’éclipsèrent prestement, comme s’ils s’étaient donné le mot. Et Chlouzeman se retrouva seul, sans Minyane, sans dix hommes devant lesquels réciter le Kaddich.
Qu’à cela ne tienne ! Ennuyé et blessé, il se rendit alors dans la seconde synagogue. Mais la réaction des fidèles y fut identique ! En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les quelques Juifs qui osaient encore prier à la synagogue la quittèrent le cœur battant, en espérant que Chlouzeman ne les avait pas reconnus, n’allait pas les dénoncer.
C’est alors que Chlouzeman réalisa combien il était encore attaché à son peuple, combien la méfiance de ses coreligionnaires à son égard lui faisait mal. Et puis, comment pourrait-il réciter Kaddich dans ces conditions?
La tête basse, Chlouzeman se rendit dans la troisième synagogue, celle des ‘Hassidim. Il entra sur la pointe des pieds, pour ne pas effrayer les fidèles. Ceux-ci le remarquèrent, mais restèrent à leurs places. L’un d’entre eux, un vieillard à la barbe blanche s’approcha de lui! Chlouzeman était fasciné par son regard doux et amical.
“Que désirez-vous, jeune homme?” demanda le ‘Hassid.
“Kaddich. Je veux réciter le Kaddich à la mémoire de mon père” dit Chlouzeman, honteux.
“Et les Téfilines? Avez-vous déjà mis les Téfilines aujourd’hui?”
Non, Chlouzeman n’avait pas mis les Téfilines ce matin. Ni les autres matins. Depuis bien longtemps. Il ne s’était pas attendu à cette question et secoua la tête négativement.
Immédiatement le ‘Hassid sortit ses propres Téfilines de son sac de velours brodé et aida Chlouzeman à les mettre avec la bénédiction adéquate sur le bras et la tête.
Les fidèles étaient restés dans la synagogue, Chlouzeman pouvait donc prononcer le Kaddich à la mémoire de son père grâce au livre de prières que le vieux ‘Hassid lui avait mis entre les mains. Les mots lui revenaient et l’émotion faisait trembler sa voix: étonnés, les ‘Hassidim le regardaient, le comprenaient…
* * *
Les “camarades” de Parti de Chlouzeman l’attendirent patiemment, longtemps, mais il ne revint pas. La synagogue des ‘Hassidim devint sa seconde maison; c’est là qu’il passait maintenant chaque moment libre. Il avait retrouvé le bon chemin, celui que son père lui avait enseigné.
Les autorités bolcheviques avaient fermé le Mikvé (bain rituel) local sous prétexte d’un manque d’hygiène. Il était cependant évident qu’il s’agissait d’empêcher la pratique religieuse. Chlouzeman entreprit de relever le défi: dans l’épaisse forêt qui bordait la synagogue, il se mit à creuser avec l’aide de ses amis. Durant de longues nuits, à l’abri des regards indiscrets, les ‘Hassidim déblayèrent, creusèrent, cimentèrent ce qui allait devenir un Mikvé cachère qui permettrait à la vie juive de s’épanouir à nouveau dans ce village selon les lois de la Torah.
Le Kaddich, hommage à un mort, avait permis le développement de la vie…
“ Meorot Hadaf HaYomi ”
traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 30 novembre -0001