Voyager réserve parfois des surprises, pour ne pas dire des difficultés quand on est dans l’année de deuil pour un parent et qu’on doit réciter le Kaddich matin, après-midi et soir en présence d’un Minyane (dix hommes juifs âgés de plus de treize ans).
Cela faisait déjà dix mois et demi que, depuis le décès de ma mère, je n’avais pas raté un seul Kaddich. En route pour la Terre Sainte, je devais d’abord me rendre à l’aéroport d’Orlando (en Floride) et changer d’avion à New York. Certainement, durant l’escale, je pourrais me rendre au Ohel (au tombeau du Rabbi, non loin de l’aéroport Kennedy), où je trouverais certainement un Minyane.
J’avais même demandé à mon frère Rav Lévi Konikov de trouver quelqu’un qui pourrait m’y emmener en voiture sans que j’aie besoin d’attendre un taxi. Mais un proverbe yiddish affirme : “ L’homme pense et D.ieu rit ”. Rien ne se passa comme prévu…
Dès que nous eûmes pris place dans l’avion de la compagnie Jet Blue, à 16h15, le pilote annonça que tous les vols à destination de New York étaient retardés de quatre-vingt-dix minutes et, en attendant, nous devions rester assis.
Il serait donc trop tard pour prier Min’ha (la prière de l’après-midi) à New York.
Pas de panique : là où j’habite, à Satellite Beach, Floride, j’avais toujours réussi à trouver les neuf hommes nécessaires, même s’il fallait les chercher à la sortie d’un cinéma le vendredi soir. Mais ici, j’étais en quelque sorte prisonnier et, malgré mes demandes insistantes, le personnel de l’avion ne pouvait me laisser descendre de l’appareil.
L’hôtesse distribua des boissons. Puis le pilote proposa aux passagers d’utiliser son téléphone s’ils avaient des appels urgents à passer. Trente minutes s’étaient déjà écoulées... Soudain j’eus une idée : peut-être y avait-il neuf Juifs dans cet avion ? Après tout, nous nous rendions à New York et il y avait des chances de trouver des Juifs à bord.
Je me levai et cherchai : “ Etes-vous Juif ? ” demandai-je aux passagers qui me semblaient pouvoir répondre oui. J’expliquai mon problème et, en quelques minutes, j’avais déjà quatre “ clients ” potentiels, d’accord pour m’aider si j’arrivais à en trouver d’autres. Un couloir, puis un autre et des réponses du genre : “ Moi non, mais mon ami oui ” ou “ Oui, mais je ne sais pas prier ”. Le steward proposa de m’aider avec son micro, mais je préférai ne pas trop attirer l’attention. Un autre passager s’excusa : “ Non, je ne suis pas juif, mais ma grand-mère l’était ! ”
- La mère de votre mère ?
- Oui, mais cela ne me rend pas juif, n’est-ce pas ?
- Mais si !
- Eh bien ! Voilà que je me découvre juif ! Après tout, peut-être que cela valait la peine d’être en retard rien que pour ce scoop !
Encore quelques “ interviews ” et nous étions neuf. Le pilote me demanda où j’en étais. Quand je lui répondis qu’il m’en manquait un, il demanda au personnel de l’avion : “ Y-a-t-il un Juif parmi vous ? ” Non, il n’y en avait pas.
Quelqu’un proposa d’appeler au téléphone un de ses amis juifs en Georgie qui participerait par téléphone interposé. Mais cela ne m’était d’aucun secours.
Désespéré.
C’est alors qu’un passager juste à côté de moi s’éclaircit la gorge et avoua : “ Je suis désolé, mais tout à l’heure je vous ai dit que je n’étais pas juif. Mais c’est faux. J’étais juste intimidé. En fait je suis juif ! ”
Voilà qui paraissait suspect. Je me résignai à l’interroger davantage : oui, sa mère était juive, elle s’appelait d’ailleurs Horowitz et il connaissait même des bénédictions qu’il se mit à chantonner gaiement.
“ Nous sommes dix ! ” criai-je, tout excité, au pilote. On aurait cru que j’avais gagné au loto !
Le steward nous guida au fond de l’appareil. L’atmosphère était électrique.
Tous mes “ fidèles ” se saluèrent joyeusement. J’expliquai brièvement ce qu’il fallait faire. Ceux qui n’avaient pas de couvre-chef mirent une serviette sur leur tête. Comme j’avais besoin qu’ils répondent à ma prière, même s’ils n’y comprenaient pas grand-chose, nous avons convenu que dès que je lèverai le doigt, ils sauraient qu’il faut répondre Amen.
L’hôtesse demanda si elle pouvait prendre une photo. J’acceptai, bien sûr. La scène était mémorable. J’ai rarement prié avec une telle ferveur, en remerciant D.ieu vraiment avec chaque mot. Les “ Amen ” étaient loin d’être timides. D’un coup, j’eus l’impression d’être à nouveau un moniteur de colonie de vacances, quand tous les enfants crient et chantent à tue-tête leur prière. Ces Juifs-là n’étaient ni timides ni honteux de leur héritage.
Même si l’humeur était joyeuse, les hommes étaient émus. Ils restèrent concentrés durant la prière (entre sept et huit minutes…). Je remerciai chacun du fond du cœur et nous retournâmes nous asseoir.
C’est à ce moment-là que le pilote annonça le départ !
Durant le vol, plusieurs de mes “ fidèles ” vinrent me voir, un à un, pour discuter du judaïsme… Une Mitsva mène à une autre Mitsva…

* * *

Par la suite, j’ai raconté cette histoire à ma femme qui l’a racontée à ses sœurs qui l’ont racontée à leurs maris… L’un d’entre eux, Rav Lévi Baumgarten s’occupe du camion (“ Tank ”) des Téfilines à Manhattan. Un des hommes d’affaires qu’il contacte régulièrement lui raconta que son associé revenait justement d’Orlando et : “ Savez-vous ce qui lui arrivé dans l’avion ? ”
- Oui je sais ! Il a complété un Minyane !
- Mais comment le savez-vous ?
- Voyons ! Tous les Juifs sont connectés. Le monde juif en général (et le monde Loubavitch en particulier) est très petit. Nous sommes tous frères. Au fait le rabbin qui avait besoin d’un Minyane sur l’avion Jet Blue était mon beau-frère… ”

Rav Zvi Konikov
Traduit par Feiga Lubecki