Dans toute l’armée américaine, il n’y a que quelques centaines de Juifs orthodoxes. Je suis un de ceux-là.
Je suis né à Kiev, en Ukraine, mais en 1976 à l’âge de cinq ans, j’ai émigré vers les Etats-Unis avec mes parents et ma sœur.
Ma famille n’était pas pratiquante, mais, grâce à Loubavitch, gardait un contact avec le judaïsme. Nous fréquentions la synagogue ‘Habad de Seattle pour les fêtes. Les ‘Hassidim ‘Habad se sont beaucoup occupés de notre famille et ont contribué à former ma fierté d’être juif.
En été je fréquentais le centre aéré Loubavitch de Seattle dont le directeur était Rav Yehezkel Kornfeld. Je crois que ma carrière militaire a commencé dans ce centre aéré puisque nous étions appelés Tsivot Hachem, les jeunes soldats de l’armée de D.ieu (organisation fondée par le Rabbi), chargés de répandre la lumière de la Torah autour de nous.
Enfant, j’avais toujours voulu servir mon pays. De nature, je suis strict et je n’ai jamais fait quelque chose à moitié. C’est pourquoi j’avais décidé d’intégrer la meilleure force armée du monde, le corps des Marines U.S.
La réaction typiquement “ mère juive ” est : “ Qu’est ce qu’un brave garçon juif va faire dans les Marines ? ” Mes parents qui avaient fui l’Union Soviétique pour m’éviter d’être enrôlé dans l’Armée soviétique pensaient que j’étais devenu fou. Je n’en avais cure. Quatre jours après mon dix-huitième anniversaire, je me suis inscrit au centre de recrutement des Marines à San Diego.
Au troisième jour d’une expédition, alors que nous étions assis en carré, un officier est monté sur l’estrade et a demandé : “ Que les Juifs se lèvent ! ”
Imaginez mon angoisse ; je me suis dit : “ Ça y est, la persécution des Juifs va commencer ! ” Je fus le seul à me lever parmi mes 87 compagnons d’arme. L’officier me dit de me rendre chez le Major, à quelques mètres de là, ce que je fis, nerveusement il faut bien le dire.
J’effectuai le salut militaire et me présentai au major : “ Soldat Ekshtut, à vos ordres ! ” Je n’oublierai jamais ses premiers mots : “ Savez-vous que vous représentez un dixième d’un centième des effectifs des Marines ? ” Il se présenta : “ Major Goldberg ”, et expliqua que seulement un Marine sur mille est juif. Puis il m’invita à assister à l’office du vendredi soir à l’aumônerie de la Marine. J’ai accepté.
J’ai servi à l’étranger, dans des lieux exotiques comme Okinawa, la Corée, les Philippines et le Bangladesh. Durant la première Guerre du Golfe, j’ai servi pendant sept mois sur un bateau dans le Moyen-Orient. En hiver 1990, j’ai allumé les lumières de ‘Hanouccah au milieu du Golfe persique.
Après quatre ans de service actif, j’ai effectué des périodes de réserve : un week-end par mois et deux semaines par an. J’avais entre temps obtenu mon diplôme d’ingénieur civil puis j’ai passé quelques mois en Israël où j’ai décidé d’étudier davantage ce que signifie le fait d’être juif.
De retour à Seattle, j’ai repris mes études. Je me rendais chaque Chabbat à la synagogue, comme par hasard celle de Rav Kornfeld ; je mettais les Téfilines chaque matin et j’essayais de manger cachère. Malheureusement, je ne pouvais pas garder le Chabbat lors des week-ends où j’étais de réserve. Ce n’est pas que je n’en avais pas le droit – au contraire ! Plus je devenais pratiquant, plus mes supérieurs et mes camarades déployaient des efforts pour m’aider. Mais pour les réservistes, le samedi était le jour où se déroulaient les exercices principaux.
Il était temps que je prenne ma décision : quitter le corps de Marines que j’adorais ou rester au prix d’un Chabbat par mois. Après treize ans de bons et loyaux services, je décidais de garder Chabbat et donc de quitter l’armée.
D.ieu nous guide. Il s’avéra par la suite que mon service militaire n’était pas terminé. Deux mois après que j’ai quitté la Marine, une nouvelle occasion se présenta.
Rav Brett Okman et sa famille passèrent Souccot dans notre synagogue. J’appris qu’il était Lieutenant Colonel de l’Armée de l’air et aumônier des forces actives à la base aérienne de Mc Chord, près de Seattle. Il me suggéra de postuler pour la place d’aumônier assistant des réservistes de l’Armée de l’air. Il m’assura qu’on accueillerait avec joie un Juif orthodoxe et qu’on se mettrait en quatre pour me permettre de pratiquer mon judaïsme et, en particulier, le Chabbat.
En mars 2002, j’intégrai l’Armée de l’Air comme assistant de l’aumônier. Maintenant je peux accommoder mes deux passions : Chabbat et le service militaire.
De plus, et c’est sans doute ce que j’apprécie particulièrement, je peux aider d’autres Juifs à l’Armée à mieux pratiquer leur judaïsme, ainsi d’ailleurs que les fidèles des autres religions.
Je continue d’étudier et de développer mon identité juive. Je fais même partie du comité de la synagogue de Rav Kornfeld.
Cependant je peux affirmer haut et fort : ce que j’ai appris chez les Marines m’a aidé dans mon judaïsme. J’y ai appris la discipline et le sens des responsabilités, le respect dû à des supérieurs, la valeur du travail en équipe, l’importance de la famille et de la communauté, la fierté et l’estime de soi. En étant chargé par le véritable commandant en chef, c’est-à-dire D.ieu, de se lever tôt pour aller à la synagogue, mettre les Téfilines, prier trois fois par jour, manger cachère et fréquenter la communauté juive, on acquiert quelques-unes des qualités requises pour le service militaire. Porter la Kippa et les Tsitsits ressemble fort à un uniforme et prouve qu’on est “ de service ”.
Je continue d’explorer et de pratiquer mon judaïsme.
Mikhail Ekshtut est sur le front. Et sa mère est inquiète.
Appelé en renfort pour la libération de l’Irak, Mikhail a eu un problème de conscience : toujours prêt à servir son pays, il hésitait cependant à dire à sa mère toute la vérité. Si elle savait où il se trouve actuellement, elle serait bien trop soucieuse. Alors il ne lui a pas dit toute la vérité. “ Elle pense que je suis en Turquie, ne lui dites pas que je suis en… ”
De fait, ce demi-mensonge n’est pas destiné qu’à sa mère. Pour des raisons évidentes de sécurité, il n’a pas le droit de révéler dans quel pays arabe il se trouve. Il explique néanmoins que son escadrille a fourni une couverture aérienne pour les troupes d’élite qui ont localisé et capturé Saddam Hussein hors de son trou en décembre dernier.
En tant qu’assistant des aumôniers, Mikhail (32 ans) a parfois l’occasion d’escorter ceux-là quand ils s’aventurent hors de leurs bases : à ce moment-là, il est toujours armé, on ne sait jamais.
Mikhail est un soldat sympathique, qui plastronne gentiment, le sourire aux lèvres. “ C’est vrai qu’il y a des incidents ici ou là, mais le danger n’est pas immédiat, la vie à la base est relativement sûre et parfois même, joyeuse. A ‘Hanouccah, par exemple, j’ai pu faire participer aux traditions de la fête toute mon unité. J’avais reçu un colis de l’Institut Aleph, une organisation Loubavitch de Miami qui s’occupe des prisonniers, des soldats etc… Il y avait des Ménorah, des bougies, des toupies et des guides pour la fête. Tant de bonnes choses mais je n’avais qu’un tout petit nombre de soldats juifs autour de moi. Alors j’en ai distribué un peu aux autres, et même au commandant. Après le briefing quotidien, il a sorti sa toupie et s’est mis à jouer avec les soldats ! Je me suis donc levé et j’ai expliqué l’histoire de ‘Hanouccah, le message de la lumière qui parvient toujours à vaincre l’obscurité, la nécessité d’augmenter chaque jour les bonnes actions : un message qui passe bien en ce moment ! ”
Même s’il n’a pas de Juifs autour de lui, Mikhail a de quoi faire. L’aumônier est un Episcopalien et, ensemble, ils sont au service de tous les soldats, quelle que soit leur religion. “ En enseignant aux non-Juifs le judaïsme, je veux être exemplaire, sanctifier par ma conduite le Nom de D.ieu dans le monde, enseigner les sept lois des Enfants de Noé, ce qui forme la base d’une morale universelle.
“ Pour aider mes camarades juifs, je me suis fait envoyer une paire de Téfilines supplémentaires. Moi-même j’avais voyagé avec une compagnie aérienne régulière, mais mes bagages avaient été perdus. Ils arrivèrent quelques jours plus tard, mais le capitaine qui m’accueillit à l’aéroport avait une mauvaise nouvelle pour moi : “ Les douaniers ont confisqué tous tes trucs religieux. Ils ont trouvé quatre bouteilles de vin, ce qu’il est strictement interdit d’importer en pays musulman, et ces boîtes noires avec les lanières ainsi que des petits livres noirs. Je ne savais pas à quoi servaient ces petites boîtes alors je leur ai dit que c’était des vases pour de l’encens ou quelque chose comme ça… ”
“ Le vin était cachère, nécessaire pour le Kiddouch de Chabbat mais, à la rigueur, je pouvais m’en passer et faire Kiddouch sur le pain. Les petits livres noirs étaient des éditions militaires des prières quotidiennes : je possédais mon propre livre de prières et ces livres étaient destinés à d’autres soldats juifs éventuels. Mais les Téfilines étaient l’objet essentiel. Finalement un douanier nous a tout rendu, sauf le vin. Les Téfilines avaient été remis dans un sac “ Duty Free ” de l’aéroport, avec des publicités en arabe. Ils étaient complètement déroulés, ressemblaient à des spaghettis noirs en désordre mais, sinon, ils étaient encore parfaitement cachères.
“ Quand on est loin de la maison, dit Mikhail , c’est là qu’on comprend la valeur des Mitsvots comme les Téfilines : en dehors de chez soi, ce n’est pas toujours facile à accomplir !
“ Garder Chabbat n’est pas évident car dans une situation de combat, les gens ont du mal à admettre que quelqu’un ne travaille pas durant 25 heures d’affilée. J’essaie de ne pas allumer de lumière, de ne pas toucher un stylo ou un fusil. Pour le moment, D.ieu merci, j’ai réussi à respecter Chabbat scrupuleusement.
“ Manger cachère est encore un autre problème. On me fournit des barquettes M.R.E., prêtes à être dégustées. Mais ceux qui en ont goûté savent que ce n’est vraiment pas appétissant. Alors je fais très attention : j’ai emporté des réserves de thon en boîte et j’ai trouvé des chips cachères dans les cuisines. Souvent je me contente d’œufs et de salades ”.
Malgré ces difficultés, Mikhail affirme qu’il est fier et heureux de remplir ses obligations militaires dans l’Armée américaine. Après tout, qui refuserait de défendre son pays quand le seul problème éthique qu’affronte un soldat pratiquant est : les gaufrettes, sont-elles cachères ?
David Klinghoffer (Forward)
Mikhail Ekshtut
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
traduit par Feiga Lubecki
- Détails
- Publication : 1 novembre 2013