Avec un de mes amis, j’avais visité plusieurs prisons en Floride, dans le cadre de l’organisation « Aleph » qui s’occupe des Juifs emprisonnés et de leurs familles. Un soir, nous sommes arrivés, épuisés, dans une ville appelée Jacksonville, une ville que je ne connaissais pas du tout. Nous avons d’abord cherché une station d’essence puis un hôtel.
Enfin nous avons trouvé une station d’essence ouverte. Près du comptoir se tenait un non-Juif à la carrure imposante. Quand il remarqua nos costumes noirs, nos barbes et nos chapeaux, il nous demanda de le suivre dans l’arrière-boutique.
Je ne sais comment nous avons trouvé la force de faire encore ces quelques pas et comment notre instinct de conservation nous a permis d’entrer dans un endroit inconnu en compagnie de cette « armoire à glace ».
Dans cette pièce, se trouvait un vieil homme tout ridé, assis à la table. Apparemment ce vieillard avait déjà traversé bien des épreuves dans sa vie. Quelle ne fut notre surprise quand il s’adressa à nous, tout naturellement, en yiddish : « D’où venez-vous ? »
« Nous sommes des émissaires du Rabbi de Loubavitch ! »
En entendant cette réponse, il éclata en sanglots sans pouvoir s’arrêter pendant près d’une demi-heure, tel un enfant.
Enfin il nous pria de nous asseoir et nous raconta son histoire.
« Moi aussi j’étais un ‘Hassid comme vous. Mes parents habitaient un village de Pologne, mon père portait le « Schtreimel » (la troque en fourrure) et ma mère était une véritable « Tsadéket » (femme de grande valeur). Avec mes frères, j’étudiais assidûment la Guemara au « ‘Héder », l’école juive. J’étais un vrai ‘Hassid et quand je me suis marié, nous avons mené une vie juive traditionnelle.
« Mais avec la Seconde Guerre Mondiale, j’ai tout perdu : mes parents, mes frères et sœurs, ma femme et mes enfants. Ils ont été assassinés à Auschwitz, il ne m’est même pas resté des tombes où me recueillir. Hitler, que son nom même soit effacé, n’a rien laissé de tous ceux qui m’étaient chers…
« Après des efforts surhumains, j’ai réussi à quitter ce continent maudit et à immigrer aux Etats-Unis. Comme de nombreux survivants, je me suis d’abord installé dans le quartier de Williamsburg.
Mais je ne pouvais plus supporter cela. Je haïssais D.ieu, mes frères juifs, la Torah et tout ce qui me rappelait le judaïsme…
« J’ai décidé de fuir Brooklyn, aussi loin que possible de tout ce qui est juif. C’est ainsi que je me suis installé à Jacksonville, j’ai acheté cette station d’essence, j’ai épousé une non-Juive et nous avons trois enfants, dont l’énorme non-Juif que vous avez vu au comptoir. C’est un de mes fils…
« Les années ont passé. Une nuit, au début des années 80, alors que je n’arrivais pas à dormir, j’ai agi comme tout Américain normal et j’ai allumé la télévision, en zappant d’une chaîne à l’autre.
« Soudain, j’ai vu sur l’écran le visage d’un Juif à la belle barbe grisonnante, à l’air majestueux, coiffé d’un feutre noir et qui parlait en yiddish, ma langue natale que je n’avais pas pratiquée depuis si longtemps mais dont je me souvenais bien sûr parfaitement.
En sous-titre, il était écrit : « Rabbi Mena’hem Mendel Schneersohn, le Rabbi de Loubavitch, prononce un discours devant ses ‘Hassidim à Brooklyn, New York ».
« J’étais hypnotisé par ce que je voyais sur l’écran. Et par ce que j’entendais : « Le prophète Isaïe dit : quant à vous, rassemblez chacun des Enfants d’Israël ». Le commentateur Rachi explique : c’est D.ieu Lui-même qui prendra vraiment par la main chaque Juif, où qu’il se trouve et l’emmenera avec tous les Enfants d’Israël, en une grande assemblée, et le fera sortir lui aussi de l’exil avec une Délivrance véritable et complète ».
« Le Rabbi continuait : « Qu’y-t-il de neuf dans ce verset ? N’est-il pas évident qu’au moment de la Délivrance, tous les Juifs seront réunis ? Mais il arrive parfois qu’un Juif, qui possède une âme très élevée qui s’est tenue avec les âmes de tous les autres Juifs autour du mont Sinaï, s’imagine qu’il peut s’enfuir, qu’il n’a plus aucun lien, ni sentimental ni rationnel, avec son peuple. Le prophète vient lui dire que même lui, inconsciemment, ressent qu’il reste toujours attaché à ses racines. C’est pour lui que parle le prophète quand il dit que D.ieu Lui-même le prendra par la main, là où il se trouve. Car D.ieu ne repousse personne, même pas celui qui s’est repoussé… »
« J’étais stupéfait. Je n’ai plus pu dormir de la nuit. Je me disais : « Comment un Juif qui habite à Brooklyn sait-il ce qui se passe en moi, si loin à Jacksonville ? Qui lui a dit que je n’arriverai pas à dormir et que je zapperai sur toutes les chaînes de télévision ?
« Le lendemain, j’ai appelé ma femme et mes enfants pour une réunion de famille importante. « Sachez que je suis Juif ! » Mes enfants m’ont regardé comme si je venais d’une autre planète !
« Je leur ai raconté toute ma vie. Je leur ai raconté le Chabbat, les chants du ghetto… Mon nom n’était pas Jack mais ‘Haïm Yankel. Mes enfants étaient bouleversés. Je les ai rassurés : ce n’était pas leur problème mais le mien. Car telle est la situation : je suis le seul Juif ici et quand « ils » viendront me prendre, ils me prendront moi mais pas eux…
« Quand vous vous êtes arrêtés à la station d’essence, mon fils, le non-Juif a remarqué vos habits, vos chapeaux et vos barbes, il a compris que vous étiez sans doute de ces ‘Hassidim dont je lui avais parlé. Il vous a demandé d’attendre et est venu me prévenir : « Papa, ils sont venus te chercher… »
* * *
En entendant cela, nous sommes restés cloués sur place, nos cheveux se dressaient sur la tête… Nous avons évidemment changé nos plans de voyage et nous sommes restés plusieurs jours à Jacksonville. Nous avons parlé encore et encore avec cet homme et nous sommes devenus de très bons amis. Nous avons fixé des Mezouzot aux portes de sa maison, il a mis les Téfilines, nous lui avons laissé de quoi lire et apprendre sur la Torah…
Un jour il nous a téléphoné : « Rav Lipsker, je sais que je n’ai pas réussi à redevenir un aussi bon Juif que mes parents, mes frères et sœurs, mais j’ai essayé, grâce à vous. Je ne sais comment vous remercier… »
Deux semaines plus tard, il rendait son âme pure à son Créateur.
« Car D.ieu ne repousse personne… »
Rav Chalom Ber Lipsker
(retranscrit par Yossef Yitzchak Druckman)
traduit par Feiga Lubecki
Enfin nous avons trouvé une station d’essence ouverte. Près du comptoir se tenait un non-Juif à la carrure imposante. Quand il remarqua nos costumes noirs, nos barbes et nos chapeaux, il nous demanda de le suivre dans l’arrière-boutique.
Je ne sais comment nous avons trouvé la force de faire encore ces quelques pas et comment notre instinct de conservation nous a permis d’entrer dans un endroit inconnu en compagnie de cette « armoire à glace ».
Dans cette pièce, se trouvait un vieil homme tout ridé, assis à la table. Apparemment ce vieillard avait déjà traversé bien des épreuves dans sa vie. Quelle ne fut notre surprise quand il s’adressa à nous, tout naturellement, en yiddish : « D’où venez-vous ? »
« Nous sommes des émissaires du Rabbi de Loubavitch ! »
En entendant cette réponse, il éclata en sanglots sans pouvoir s’arrêter pendant près d’une demi-heure, tel un enfant.
Enfin il nous pria de nous asseoir et nous raconta son histoire.
« Moi aussi j’étais un ‘Hassid comme vous. Mes parents habitaient un village de Pologne, mon père portait le « Schtreimel » (la troque en fourrure) et ma mère était une véritable « Tsadéket » (femme de grande valeur). Avec mes frères, j’étudiais assidûment la Guemara au « ‘Héder », l’école juive. J’étais un vrai ‘Hassid et quand je me suis marié, nous avons mené une vie juive traditionnelle.
« Mais avec la Seconde Guerre Mondiale, j’ai tout perdu : mes parents, mes frères et sœurs, ma femme et mes enfants. Ils ont été assassinés à Auschwitz, il ne m’est même pas resté des tombes où me recueillir. Hitler, que son nom même soit effacé, n’a rien laissé de tous ceux qui m’étaient chers…
« Après des efforts surhumains, j’ai réussi à quitter ce continent maudit et à immigrer aux Etats-Unis. Comme de nombreux survivants, je me suis d’abord installé dans le quartier de Williamsburg.
Mais je ne pouvais plus supporter cela. Je haïssais D.ieu, mes frères juifs, la Torah et tout ce qui me rappelait le judaïsme…
« J’ai décidé de fuir Brooklyn, aussi loin que possible de tout ce qui est juif. C’est ainsi que je me suis installé à Jacksonville, j’ai acheté cette station d’essence, j’ai épousé une non-Juive et nous avons trois enfants, dont l’énorme non-Juif que vous avez vu au comptoir. C’est un de mes fils…
« Les années ont passé. Une nuit, au début des années 80, alors que je n’arrivais pas à dormir, j’ai agi comme tout Américain normal et j’ai allumé la télévision, en zappant d’une chaîne à l’autre.
« Soudain, j’ai vu sur l’écran le visage d’un Juif à la belle barbe grisonnante, à l’air majestueux, coiffé d’un feutre noir et qui parlait en yiddish, ma langue natale que je n’avais pas pratiquée depuis si longtemps mais dont je me souvenais bien sûr parfaitement.
En sous-titre, il était écrit : « Rabbi Mena’hem Mendel Schneersohn, le Rabbi de Loubavitch, prononce un discours devant ses ‘Hassidim à Brooklyn, New York ».
« J’étais hypnotisé par ce que je voyais sur l’écran. Et par ce que j’entendais : « Le prophète Isaïe dit : quant à vous, rassemblez chacun des Enfants d’Israël ». Le commentateur Rachi explique : c’est D.ieu Lui-même qui prendra vraiment par la main chaque Juif, où qu’il se trouve et l’emmenera avec tous les Enfants d’Israël, en une grande assemblée, et le fera sortir lui aussi de l’exil avec une Délivrance véritable et complète ».
« Le Rabbi continuait : « Qu’y-t-il de neuf dans ce verset ? N’est-il pas évident qu’au moment de la Délivrance, tous les Juifs seront réunis ? Mais il arrive parfois qu’un Juif, qui possède une âme très élevée qui s’est tenue avec les âmes de tous les autres Juifs autour du mont Sinaï, s’imagine qu’il peut s’enfuir, qu’il n’a plus aucun lien, ni sentimental ni rationnel, avec son peuple. Le prophète vient lui dire que même lui, inconsciemment, ressent qu’il reste toujours attaché à ses racines. C’est pour lui que parle le prophète quand il dit que D.ieu Lui-même le prendra par la main, là où il se trouve. Car D.ieu ne repousse personne, même pas celui qui s’est repoussé… »
« J’étais stupéfait. Je n’ai plus pu dormir de la nuit. Je me disais : « Comment un Juif qui habite à Brooklyn sait-il ce qui se passe en moi, si loin à Jacksonville ? Qui lui a dit que je n’arriverai pas à dormir et que je zapperai sur toutes les chaînes de télévision ?
« Le lendemain, j’ai appelé ma femme et mes enfants pour une réunion de famille importante. « Sachez que je suis Juif ! » Mes enfants m’ont regardé comme si je venais d’une autre planète !
« Je leur ai raconté toute ma vie. Je leur ai raconté le Chabbat, les chants du ghetto… Mon nom n’était pas Jack mais ‘Haïm Yankel. Mes enfants étaient bouleversés. Je les ai rassurés : ce n’était pas leur problème mais le mien. Car telle est la situation : je suis le seul Juif ici et quand « ils » viendront me prendre, ils me prendront moi mais pas eux…
« Quand vous vous êtes arrêtés à la station d’essence, mon fils, le non-Juif a remarqué vos habits, vos chapeaux et vos barbes, il a compris que vous étiez sans doute de ces ‘Hassidim dont je lui avais parlé. Il vous a demandé d’attendre et est venu me prévenir : « Papa, ils sont venus te chercher… »
* * *
En entendant cela, nous sommes restés cloués sur place, nos cheveux se dressaient sur la tête… Nous avons évidemment changé nos plans de voyage et nous sommes restés plusieurs jours à Jacksonville. Nous avons parlé encore et encore avec cet homme et nous sommes devenus de très bons amis. Nous avons fixé des Mezouzot aux portes de sa maison, il a mis les Téfilines, nous lui avons laissé de quoi lire et apprendre sur la Torah…
Un jour il nous a téléphoné : « Rav Lipsker, je sais que je n’ai pas réussi à redevenir un aussi bon Juif que mes parents, mes frères et sœurs, mais j’ai essayé, grâce à vous. Je ne sais comment vous remercier… »
Deux semaines plus tard, il rendait son âme pure à son Créateur.
« Car D.ieu ne repousse personne… »
Rav Chalom Ber Lipsker
(retranscrit par Yossef Yitzchak Druckman)
traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 30 novembre -0001