Berel Hindrick avait vingt ans quand il fut enrôlé de force, avec son meilleur ami, dans l’Armée Rouge. Dès le début, les deux compagnons décidèrent par tous les moyens de préserver leur judaïsme, en particulier la cacherout.
Effectivement, durant toute cette période, ils ne se nourrirent que de pain, de fruits et de légumes. Ils agissaient ainsi de façon aussi discrète que possible afin de pas éveiller la curiosité des autres soldats. Dès qu’on tentait de leur faire goûter les plats de la gastronomie militaire, ils s’éloignaient en inventant toutes sortes de prétextes.
Ils avaient un autre problème à affronter : la prière. La vie dans la caserne était réglementée de façon très stricte et quiconque ne respectait pas les horaires et les ordres se mettait en danger.
Chaque matin, le commandant réveillait les recrues à la même heure, avec des cris : en moins d’une minute, les soldats devaient s’habiller et se mettre au garde à vous.
Pour s’acquitter de la prière du matin, Berel et son ami devaient se réveiller beaucoup plus tôt, bien avant le réveil officiel. Ils se cachaient dans un coin tranquille et priaient sans réveiller leurs camarades. Ils cachaient leurs Téfilines et livres de prière puis retournaient se coucher comme si de rien n’était.
Inutile de décrire leur angoisse chaque matin. De fait, ils risquaient d’être dénoncés, emprisonnés, jugés puis envoyés en Sibérie ou même, pire encore… Cependant, ils s’obstinèrent et réussirent à prier chaque matin : l’un encourageait l’autre et tous deux puisaient de cette expérience matinale le courage et la force pour tenir bon toute la journée.
Un jour, tout bascula : Berel avait oublié de cacher son Sidour, son livre de prières et le prit avec lui dans son lit. Quand le commandant arriva, Berel se leva d’un bond, s’habilla et se mit au garde à vous. L’officier passa devant les soldats debouts près de leurs lits en les toisant de la tête aux pieds. En arrivant devant Berel, il lui jeta un regard, s’apprêta à passer au soldat suivant, mais remarqua alors quelque chose qui dépassait sous la couverture. Quand il tendit la main pour vérifier la nature de l’objet, Berel sentit son cœur battre à tout rompre.
«Qu’est-ce donc ?» demanda le commandant, soupçonneux en découvrant le livre.
A cet instant, Berel décida que, puisque son secret avait été découvert, il l’assumerait pleinement et revendiquerait son judaïsme avec fierté.
«C’est un livre de prières !» répondit-il d’une voix ferme.
«Et à quoi cela sert-il ?» demanda le commandant sur un ton menaçant.
Malgré son angoisse, Berel fit des efforts surhumains pour garder son calme : «Je m’en sers pour prier D.ieu !» répondit-il.
Les yeux du commandant lançaient des flammes ! Il était si furieux que les mots ne parvenaient pas à sortir de sa bouche. Il regardait Berel, puis le Sidour ; il finit par jeter à terre le Sidour d’un air dégoûté : «Je vais t’expédier en Sibérie !». Il respira profondément et se reprit : «Non ! Pas en Sibérie ! Je vais te fusiller !»
Le commandant regarda Berel avec mépris. Ses regards foudroyants étaient autant d’épines plantés dans sa chair. Puis, de menaçants ils se firent dédaigneux : «A quoi bon le faire juger ? Je n’ai aucune envie de m’occuper de lui ! Un sale traître juif ! Je vais l’envoyer vers le commandant en chef, lui ne s’embarrassera pas outre mesure et l’enverra directement en Sibérie ou devant le poteau d’exécution !»
Deux heures plus tard, Berel, son Sidour à la main, se retrouva devant le Commandant en chef. Il avait beau tenter de se dominer, il n’arrivait pas à empêcher son cœur de battre de plus en plus vite.
«Qu’est-ce que cela ?» demanda le Commandant, le visage fermé.
«Un livre de prières, camarade Commandant !»
«Et que fais-tu avec cela ?» continua le Commandant en regardant Berel droit dans les yeux.
Etonné par cette question, Berel répondit : «Je prie !»
«Régulièrement ?»
«Oui !»
«Et en quelle langue ce livre est-il écrit ?»
«En hébreu, la langue sainte !»
«Tu sais lire l’hébreu ?»
«Oui !»
Le Commandant prit le Sidour des mains de Berel et se mit à le feuilleter. Soudain, il leva les yeux et fit signe à Berel de s’approcher. Il murmura à son oreille : «Je t’en prie ! Apprends-moi l’hébreu ! Moi je ne sais pas prier ! Donne-moi des cours et je saurai te récompenser !»
Berel était stupéfait. Son cerveau fonctionnait à toute vitesse ; il se pinça pour être sûr qu’il ne rêvait pas. Peut-être était-ce un piège ? Tandis qu’il réfléchissait quelle réponse donner, il se souvint tout-à-coup du nom du Commandant, un nom relativement répandu dans la communauté juive !
«Avec plaisir !» répondit-il, soulagé.
A partir de ce jour, Berel enseigna au Commandant comment lire l’hébreu et comment prier dans le livre qu’il chérissait tant. En échange, il bénéficia d’un traitement de faveur et, grâce à lui, son ami put aussi voir ses conditions de vie grandement facilitées. Le Commandant obtint pour eux des certificats médicaux leur interdisant de manger de la viande. Par ailleurs, tous les vendredis après-midi, ils étaient envoyés «en mission» dans des villages voisins : là, ils étaient invités à passer Chabbat chez des familles juives accueillantes.
Peu de temps après, le Commandant fut appelé en mission dans une autre région. Il proposa à Berel de l’accompagner et de devenir son chauffeur personnel. Celui-ci refusa, car il ne voulait pas abandonner son ami. Le Commandant partit, non sans avoir ordonné qu’on laisse ses protégés agir comme bon leur semblait.
Qu’est devenu ce Commandant ? Nul ne le sait.
Mais Berel fut libéré quelques temps plus tard, de manière miraculeuse et il épousa la sœur de son ami. Tous trois réussirent à monter en Terre Sainte.
Yaakov Hindrick, Bné Brak
Sicha Hachavoua
Traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 30 novembre -0001