En été 1996, avec mon ami Rav Mendel Harlig, j’ai utilisé les vacances pour rejoindre l’Armée de Paix du Rabbi : cela consiste à se rendre dans des endroits perdus du globe, là où ne se trouve encore aucun émissaire du Rabbi. Nous avons passé cinq semaines à sillonner l’Irlande, du nord au sud et de l’est à l’ouest. A Dublin, nous avons établi notre base au Orwell Lodge Hotel.
Un jour, l’une des patronnes de l’hôtel – une digne vieille dame catholique – nous demanda : «Etes-vous les jeunes rabbins dont on parle dans un article du The Irish Times ?» Effectivement, le journal local avait parlé de notre visite. Nous y étions décrits comme deux rabbins Loubavitch, originaires de Brooklyn, qui étaient venus pour ramener les Juifs à leurs origines juives. Il était précisé que nous ne cherchions pas à faire du prosélytisme parmi les non-Juifs mais que nous cherchions simplement à offrir à nos frères juifs l’occasion d’apprendre et d’expérimenter le judaïsme. Je confirmai qu’il s’agissait bien de nous.
«Extraordinaire ! dit-elle. J’espère que vous irez voir mon cousin Tony, à Wexford. Sa femme Roselyne est juive ; ils ont trois enfants adorables!»
Elle écrivit leur adresse sur un papier.
- Avez-vous aussi leur numéro de téléphone ?
- Ils n’en ont pas ! répliqua-t-elle avec un sourire. Ils habitent à la campagne et là-bas, les gens n’ont pas le téléphone. Mais ce n’est pas un problème ! Vous avez leur adresse, il vous suffit de sonner à leur porte. Je suis sûre qu’ils seront ravis de vous voir !
Nous avons sauté dans la voiture et sommes partis vers le sud. Nous nous sommes perdus plusieurs fois en route, mais avons finalement atteint notre destination.
La femme qui nous ouvrit la porte resta clouée sur place, totalement stupéfaite. Je ne peux pas lui en vouloir ! Imaginez la scène : deux jeunes rabbins, barbus, avec une Kippa noire avaient atterri comme des extra-terrestres, à l’improviste, dans ce hameau perdu du sud de l’Irlande…
On nous fit asseoir autour de la table. Cette famille avait trois enfants : Rebecca, 22 ans, Aaron 19 ans et Sara 15 ans. Ils se sentaient très juifs, mais n’avaient aucun moyen d’exprimer leur judaïsme dans leur vie quotidienne.
Roselyne était arrivé à Wexford 25 ans plus tôt et, depuis, n’avait pratiquement plus rencontré un seul Juif. Il était cependant curieux de constater que ses enfants ressentaient fortement leur judaïsme malgré cela.
Roselyne et ses enfants profitèrent de notre visite pour nous poser toutes les questions qu’ils avaient eues au fil des années. Mais leur grande question était à notre propos : pourquoi des rabbins comme nous se fatiguaient-ils à leur rendre visite, alors qu’ils n’avaient aucun lien avec une communauté, alors que nous ne les connaissions même pas ?
Je leur expliquai que chaque Juif, quel que soit son lien avec une communauté ou avec la pratique religieuse, possède une âme juive qui est liée à D.ieu, quelles que soient les circonstances. C’est la suite logique d’une alliance qui a été scellée avec D.ieu sur le mont Sinaï il y a plus de 3300 ans et qui n’a jamais cessé. Il nous appartient d’exprimer ce lien dans notre vie quotidienne. Je continuai en expliquant que le Rabbi disait que chaque Juif est comparé à un diamant et c’était pour cela que nous étions venus voir Roselyne et ses enfants.
Nous avons discuté longtemps, amicalement, puis j’eus une idée : «Aaron a-t-il célébré sa Bar Mitsva?»
- Non, répondit Roselyne en souriant, il n’y a pas de Talmud Torah avec des cours pour Bar Mitsva à Wexford !
- Mais nous pouvons la célébrer maintenant ! De fait, l’essentiel de cette cérémonie, c’est de mettre les Téfiline en priant D.ieu et en acceptant son autorité.
Aaron peut le faire ici !
Mendy partit chercher ses Téfiline dans la voiture tandis que Rebecca et Sara se précipitaient pour apporter un appareil photo qui garderait éternellement le souvenir de ce moment historique : la première Bar Mitsva célébrée à Wexford ! Qui l’aurait cru ?
Toute la famille était très émue : tout en entourant les lanières autour du bras d’Aaron, je lui expliquai que les sept tours symbolisaient les sept émotions (bonté, sévérité, miséricorde etc…) dont fait preuve chaque âme juive, que mettre les Téfiline signifiait lier son cœur et son cerveau à D.ieu : grâce aux Téfiline, un Juif parvient à unir ses deux composants principaux - son intellect et ses émotions – avec D.ieu afin que tous ensemble, ils puissent Le servir.
Aaron répéta mot-à-mot les versets du Chema avec Mendy. C’est alors que Roselyne éclata en sanglots, suivie par ses filles. Une émotion qui avait été retenue pendant des années se manifestait maintenant ouvertement : Roselyne embrassa longtemps son fils unique tandis que Mendy et moi nous tenions là, immobiles, très émus nous aussi devant la tempête spirituelle qui atteignait cette famille juive : nous avions découvert quatre «diamants» qui brillaient enfin de tous leurs feux.
Nous avons offert à Sara et Rebecca leur propre chandelier et elles s’engagèrent à allumer chaque vendredi après-midi leur bougie de Chabbat avec leur mère qui en allumait deux.
Quand nous sommes partis, toute la famille nous a accompagné jusqu’à la voiture. Je pensais comment, trois heures plus tôt, nous étions des étrangers les uns pour les autres : maintenant nous étions une grande famille…
Rav Yosef Yitzchok Jacobson – Le’haïm
traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 24 juillet 2013