En ces temps-là, en Russie, la guerre faisait rage entre les «Rouges» (communistes) et les «Blancs», leurs adversaires. Leur point commun, outre leur cruauté, était leur haine des Juifs que chaque parti accusait d’aider l’autre.
Les combats durèrent plusieurs années et bouleversèrent toutes les vies et toute organisation normale : la plus grande confusion régnait aussi bien dans l’économie que dans la sécurité intérieure et les transports. C’est à cette époque que le ‘Hassid, Reb Mena’hem Mendel Kaplan, décida de quitter sa ville de Bobroïsk pour celle de Rostov-sur-le-Don : là il désirait d’une part se recueillir sur la tombe de Rabbi Chalom Dov Ber (cinquième Rabbi de Loubavitch) et, d’autre part, obtenir un entretien privé avec son fils et successeur, Rabbi Yossef Its’hak.
La distance entre les deux villes n’était que de 200 km. Mais à la gare de Milarovo, un groupe de Cosaques monta dans le train. Dès qu’ils aperçurent des Juifs parmi les voyageurs, ils les accusèrent d’entente avec les communistes et les désignèrent à la vindicte des autres passagers.
En remarquant Rav Mendel Kaplan, ils se précipitèrent sur lui et, sans ménagement, le jetèrent par la fenêtre alors que le train roulait à vive allure…
Grièvement blessé, Rav Mendel avait les côtes brisées et la douleur l’empêchait de se relever. Ce n’est qu’au matin que les cheminots le découvrirent et le firent transporter à l’hôpital le plus proche. Puis on le transféra dans un hôpital plus grand et, dès qu’il eut un peu récupéré ses forces, il écrivit une lettre à sa famille et une autre à Rabbi Yossef Its’hak à Rostov. A sa famille il racontait tout ce qui lui était arrivé tandis qu’au Rabbi, il se contentait de demander… le mérite d’être enterré dans un cimetière juif !
Après quelques semaines d’hospitalisation, il s’était un peu rétabli et put continuer son périple. Il arriva à Rostov peu avant la fête de Souccot en 1920. Durant la fête de Sim’hat Torah, Rabbi Yossef Its’hak réunit les ‘Hassidim et remarqua entre autres : «Comment est-il possible qu’un Juif ne demande qu’à être enterré dans un cimetière juif ? Un Juif devrait demander la vie !»
Mais les blessures de Rav Mendel Kaplan étaient trop graves et, une semaine plus tard, il décéda et fut enterré non loin de la tombe de son Rabbi, Rabbi Chalom Dov Ber à Rostov.
* * *
Quelques mois plus tard, un officier haut placé dans le gouvernement communiste se présenta dans la maison de la famille Kaplan. De fait, il était juif et, malgré ses convictions communistes, venait prévenir la famille, sous le sceau du secret, de l’imminence d’une perquisition. On le remercia de cette initiative courageuse et, immédiatement, la famille prit ses précautions en déposant chez des amis tous les objets de valeur et documents compromettants : effectivement, quand les policiers arrivèrent, ils ne trouvèrent absolument rien d’intéressant et repartirent bredouilles.
Eliahou, le fils du défunt Reb Mendel, connaissait l’officier qui les avait prévenus : c’était un communiste pur et dur, peu enclin d’habitude à accepter toute demande de grâce ou d’indulgence. Comment se faisait-il que, de sa propre initiative, il avait pris le risque de prévenir une famille juive du danger d’une visite inopinée de ses services ?
L’officier raconta alors ce qui l’avait poussé à agir ainsi : deux années auparavant, les Polonais s’étaient emparés de Bobroïsk. La cellule communiste à laquelle appartient cet homme fut découverte et tous ses membres furent interrogés. L’homme savait que si ses opinions communistes étaient révélées, il serait exécuté immédiatement. Il décida donc de prétendre qu’il ne l’était pas. On lui demanda de fournir un témoin prêt à l’attester : pris d’une soudaine inspiration, il donna le nom de Reb Mendel Kaplan.
Celui-ci fut convoqué et le policier polonais l’interrogea en présence du présumé coupable :
- Connaissez-vous cet homme ?
- Oui, répondit Reb Kaplan.
- Etes-vous prêt à témoigner qu’il n’est pas communiste ?
- Oui !
Le policier demanda alors à Reb Kaplan de le jurer, mais il refusa poliment en expliquant que chez les Juifs, on ne jure pas. Incertain, le policier finit par déclarer qu’il se contenterait de sa signature, tout en le prévenant que si son témoignage devait s’avérer mensonger, il serait exécuté avec les coupables. Malgré cet avertissement qu’il ne pouvait prendre à la légère, Reb Mendel accepta de signer.
Quand les Russes conquirent à nouveau la ville de Bobroïsk, le communiste qui avait, depuis, été nommé à un poste de haut rang rencontra Reb Mendel et le remercia de lui avoir sauvé la vie. Celui-ci ne lui demanda qu’une faveur en échange : «N’oubliez jamais que vous êtes juif !». Puis le communiste lui demanda, par pure curiosité, ce qui l’avait poussé à se mettre en danger en portant un faux témoignage. Reb Mendel réfléchit et répondit : «D’abord je devais tout faire pour sauver la vie d’un autre Juif. Mais d’autre part, je n’ai pas menti ! En effet, un homme qui est vraiment persuadé de la justesse de ses opinions n’est pas prêt à prétendre qu’il pense autrement. Puisque vous étiez prêt à affirmer publiquement que vous n’étiez pas communiste, c’était bien la preuve qu’au fond de vous, vous ne l’étiez pas !»
Impressionné par la personnalité de Reb Mendel, cet homme avait par la suite pris le risque de prévenir sa famille de la perquisition et ainsi de rendre un service posthume à son bienfaiteur.
Telle était cette époque, telles étaient les difficultés, tels étaient les ‘Hassidim !
Si’hat Hachavoua
traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 30 novembre -0001