Semaine 27

Editorial
Un lien infini

C’est un simple objet matériel et, pourtant, il est porteur de forces et d’idées qu’aucune pensée humaine ne peut appréhender : deux petites boîtes cubiques de cuir noir, chacune attachée à des lanières également de cuir noir. L’une et l’autre de ces boîtes contiennent des parchemins qui portent manuscrits des passages du « Chema Israël ». Le tout se met, chaque jour de semaine, sur le bras et la tête et tous les hommes, à partir de l’âge de la Bar Mitsva, ont le devoir d’accomplir cet acte après avoir dit la bénédiction correspondante et en récitant, au minimum, les deux premières phrases du Chema. Ce sont les Téfiline. Ainsi décrit, il pourrait sembler que nous rencontrons ici un rite parmi les autres, un de ces commandements qui caractérisent le judaïsme, pétri à la fois de gestes concrets et de spiritualité essentielle, toute une grandeur en action. Il y a pourtant quelque chose de plus.

Souvenons-nous. Les Sages enseignent que le verset « ils verront que le Nom de D.ieu est appelé sur toi et ils te craindront » fait spécifiquement référence au Téfiline que l’on met sur la tête. Quant aux « ils » évoqués dans la phrase, il n’est sans doute pas nécessaire de les désigner plus précisément ; ceux avec qui seule une relation d’opposition est en place ont malheureusement été nombreux dans notre longue histoire et il en existe encore aujourd’hui. Pourtant, la mise des Téfiline est présentée comme ayant une valeur particulière dans un tel cadre, comme si elle avait le pouvoir de protéger celui qui les porte et, par voie de conséquence, tous les autres. Il en est bien ainsi. Mais, ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas d’une sorte de pratique magique. C’est le lien infini avec D.ieu qui est en cause.

De fait, rien ne saurait mieux l’exprimer. Attachant le Téfiline sur le bras, en face du cœur, sur la tête puis sur la main, c’est nos émotions, nos pensées et nos actions que nous lions à D.ieu. Dès lors, plus rien ne peut être identique. Ce n’est pas par hasard que, en 1967, à l’époque de la guerre des 6 jours, le Rabbi insista sur l’importance de ce commandement et lança alors une véritable campagne qui, depuis lors, ne s’est pas arrêtée. Voici donc un acte, si facile à accomplir, qui recèle tant de puissance…

Aujourd’hui, il appartient à chacun de s’en saisir. Pour lui-même, sa famille et ses proches certes, mais aussi pour tout le peuple juif, où qu’il se trouve. Ce secret de puissance et d’unité, D.ieu nous l’a confié, sachons en être digne et l’assumer quotidiennement. Comme un chemin de Délivrance.
Etincelles de Machiah
Manger et boire

Le Talmud enseigne (traité Bra’hot 17a) que « dans le monde futur, il n’y a pas de nourriture ni de boisson etc. mais les Justes sont assis, leur couronne sur la tête, et ils jouissent d’un rayonnement de la Présence Divine ».

Cependant, nous savons que, même dans le monde futur, celui qu’instaurera la venue de Machia’h, chacun aura un corps physique constitué de membres matériels ; c’est d’ailleurs la différence essentielle entre ce monde-là, qui est celui de la résurrection, et le Gan Eden, qui est celui des âmes. Mais, dans ce cas, une question se pose : s’il n’y a plus « de nourriture ni de boisson », à quoi servira le corps ? En fait, c’est alors qu’apparaîtra sa grandeur profonde car il se « nourrira » de la Présence Divine comme le fit Moïse sur le mont Sinaï qui, lié à D.ieu, se nourrit de spirituel pendant quarante jours et quarante nuits.

(d’après Likoutei Torah Chir Hachirim 65d)
Vivre avec la Paracha
“Et D.ieu parla à Moché et Aharon en ces termes: Ceci est un décret (‘Hok) de la Torah…
Si une personne vient à mourir dans une tente, tous ceux qui entrent dans la tente et tout ce qui est dans la tente deviennent impurs pendant sept jours… Et quant aux personnes contaminées, elles prendront les cendres (de la vache rousse)…” (Nombres 19:1-2,14-17)

La loi de la « vache rousse », qui nous instruit de la purification d’une personne atteinte d’impureté spirituelle causée par le contact avec un défunt, est souvent citée comme le modèle de décret divin au-delà de toute rationalité. Le roi Chlomo, le “plus sage des hommes” dit de cette Mitsva: “Tous (les commandements de la Torah” je les ai compris. Mais le chapitre de la ‘vache rousse’, bien que je l’aie examiné, questionné et que je m’y sois plongé, bien que j’aie pensé le comprendre, ce décret m’est resté incompréhensible”.
C’est un fait que de nombreux aspects de la loi de la vache rousse défient toute raison. Tout d’abord, le phénomène même d’ “impureté spirituelle” est un concept mystique irrationnel. Le processus de purification, obtenu en aspergeant la personne contaminée des cendres de la vache rousse ne suit aucune logique qui nous serait accessible etc. Mais dans la Torah, d’autres lois échappent tout autant à la logique humaine. En fait, il existe une catégorie entière de Mitsvot appelées ‘Houkim (“decrets”) dont les critères défient toute compréhension pour l’esprit mortel. Qu’y a-t-il donc de particulier à propos de la loi de la vache rousse qui en fasse l’archétype des décrets, la Mitsva dont D.ieu dit: “Ceci est le ‘Hok de la Torah”?

Moché pâlit
Le Midrach relate que Moche fut l’unique être humain auquel fut accordée la compréhension de cette loi. “A toi, dit D.ieu à Moché, Je vais révéler le sens de la ‘vache’; pour tout autre individu cela restera un ‘Hok. Et pourtant, Moché lui aussi ressentit une grande difficulté à accepter cette loi, comme nous le lisons dans le récit midrachique.
Dans tout ce que D.ieu enseignait à Moché, Il lui indiquait à la fois la façon dont se produisait la contamination et le mode de purification. Quand D.ieu en arriva aux lois concernant celui qui avait été en présence d’un cadavre, Moché lui dit: “Maître de l’univers! Si l’un de nous est ainsi contaminé, comment peut-il se purifier?” D.ieu ne lui répondit pas. A ce moment-là, Moché pâlit.
Quand D.ieu arriva à la section de la ‘vache rousse’, Il dit à Moché: “Voici le mode de purification”. Moché rétorqua: “Maître de l’univers! Cela est une purification?”. D.ieu répondit: “Moché, c’est un ‘Hok, une loi que J’ai décrétée et aucune créature ne peut comprendre pleinement Mes décrets.”

Le mystère de la mort
Le départ d’une âme d’un corps nous est incompréhensible. Il ne s’agit pas de rationalité. Nous comprenons la fragilité de la vie, la nature éphémère de tout ce qui est physique. Mais dans le cœur de notre cœur, nous refusons de l’accepter. Quelles que soient les explications de notre esprit, nous rejetons le concept de la mort. Il est encore plus difficile d’accepter qu’il puisse exister un processus qui s’y applique, et plus difficile encore, de guérir le terrible vide que laisse celui qui est parti…
C’est la raison pour laquelle Moché pâlit en entendant les lois rituelles de la mort. Ce n’était pas le fait qu il ne comprenait pas comment la tache spirituelle de la mort peut être purifiée. En fait, Moché fut le seul être humain auquel fut révélé le sens de la ‘vache’. Son esprit était satisfait mais cela n’apportait rien au tumulte de son cœur. Il ne pouvait comprendre comment la souffrance de la mort peut être adoucie.
Et D.ieu repondit: “Moché, c’est un ‘Hok, une loi que J’ai décrétée”. Certaines choses dépassent tellement Mes créatures qu’elles ne peuvent être surmontées que par la soumission à un commandement absolu émanant d’une autorité absolue. C’est la raison pour laquelle J’ai donné des lois pour vous guider concernant ce qu’il y a à faire lorsque vos vies sont touchées par la mort. Ce sont des lois irrationnelles, mais seules de telles lois peuvent permettre que vous vous repreniez plus facilement. Ce n’est que par la force d’un décret divin complètement incompréhensible que vous pouvez vous remettre de la mort.

Les lois du deuil
Aujourd’hui, nous ne possédons pas de cendres de la vache rousse. Mais nous avons des lois et des rituels. La loi de la Torah nous enjoint de pleurer l’être aimé qui est parti et puis de réguler notre deuil. Le concept même de “lois de deuil” est incompréhensible. Une personne peut-elle recevoir l’ordre de s’endeuiller? Et peut-on, de même, lui ordonner de réduire ou de cesser son deuil?
Et pourtant, c’est précisément ce que fait la Torah. Il existe des lois spécifiques concernant les heures entre le moment du décès et l’enterrement, des lois spécifiques pour les trois jours suivant l’enterrement, pour les sept premiers jours, pour les premiers trente jours et pour la première année suivant le décès. A chacun de ces points de jonction, il nous est demandé de passer à une autre étape du deuil, une étape dans laquelle l’intensité de notre angoisse et le sens de notre perte doivent être allégés et sublimés.
Nous résistons à ces étapes de toutes les fibres de notre être. L’esprit comprend la différence entre ces périodes mais le cœur ne l’accepte pas. La Torah nous dit que Moché lui-même ne put forcer son cœur à accepter ce que son esprit lui avait donné à comprendre. Même après que D.ieu lui eut expliqué comment la ‘vache rousse’ sublime la rencontre avec la mort, cela resta un Hok, distant du plus grand des esprits et absolument incompréhensible à chaque cœur. Cependant D.ieu nous demande d’effectuer ces transitions et nous donne la force d’accomplir Ses commandements. C est la force d’un décret divin qui nous permet de continuer, à la fois dans notre propre vie et pour les autres. Et la force du décret divin est telle que finalement nous pouvons nous dominer et sublimer la négativité de la mort.
Que nous ayons très prochainement le mérite que de telles sublimations ne soient plus nécessaires, que le Tout Puissant “retire l’esprit d’impureté de la terre” de sorte que “la mort cesse à tout jamais et que Dieu efface les larmes de chaque visage” et que “ceux qui résident dans la poussière se lèvent et se réjouissent”.
Le Coin de la Halacha
Pourquoi met-on les Téfiline sur le bras gauche plutôt que sur le bras droit ?
Il n'est pas mentionné dans la Torah que les Téfiline doivent être portés sur le bras gauche mais lorsque la Torah dit : «Sur ton bras», le mot «bras» est transcrit de façon inhabituelle, avec un «Hé» à la fin, allusion au fait qu'il s'agit du bras «faible». C'est pourquoi un droitier met les Téfiline sur le bras gauche, et un gaucher les met sur le bras droit.
Par ailleurs, un des principaux effets des Téfiline est de nous aider à contrôler les sentiments du cœur et à les diriger vers des aspirations nobles au service de D.ieu. Puisque la majorité des gens sont droitiers, les Téfiline sont placés du même côté que le cœur, à gauche, pour nous rappeler cet enseignement fondamental.

Comment se passe la vérification des Téfilines ?
Les Téfiline sont des boîtes cubiques de cuir contenant des parchemins écrits à l'encre de Chine. Elles sont terminées par des lanières de cuir que les garçons à partir de 13 ans enroulent autour du bras et de la tête.
Voici ce qu'un scribe spécialisé doit vérifier de temps en temps :
- les lanières doivent avoir une largeur minimum de 9 millimètres. Elles doivent être parfaitement noires. Elles sont travaillées et teintes avec l'intention d'en faire des objets de culte.
- les boîtiers sont parfaitement cubiques et comportent des petits compartiments pour les parchemins. Ils peuvent présenter de nombreux problèmes de taille, de colle etc...
- les parchemins sont écrits de façon très scrupuleuse. On vérifie qu'avec le temps, ils ne présentent pas de trous. Aucune lettre ne doit manquer, c'est pourquoi il est recommandé de les faire vérifier par ordinateur. De plus, les parchemins doivent être disposés de façon précise.

F. L.
(d'après Rav Yosef Ginsburgh)
De Recit de la Semaine
Quatre diamants

En été 1996, avec mon ami Rav Mendel Harlig, j’ai utilisé les vacances pour rejoindre l’Armée de Paix du Rabbi : cela consiste à se rendre dans des endroits perdus du globe, là où ne se trouve encore aucun émissaire du Rabbi. Nous avons passé cinq semaines à sillonner l’Irlande, du nord au sud et de l’est à l’ouest. A Dublin, nous avons établi notre base au Orwell Lodge Hotel.
Un jour, l’une des patronnes de l’hôtel – une digne vieille dame catholique – nous demanda : «Etes-vous les jeunes rabbins dont on parle dans un article du The Irish Times ?» Effectivement, le journal local avait parlé de notre visite. Nous y étions décrits comme deux rabbins Loubavitch, originaires de Brooklyn, qui étaient venus pour ramener les Juifs à leurs origines juives. Il était précisé que nous ne cherchions pas à faire du prosélytisme parmi les non-Juifs mais que nous cherchions simplement à offrir à nos frères juifs l’occasion d’apprendre et d’expérimenter le judaïsme. Je confirmai qu’il s’agissait bien de nous.
«Extraordinaire ! dit-elle. J’espère que vous irez voir mon cousin Tony, à Wexford. Sa femme Roselyne est juive ; ils ont trois enfants adorables!»
Elle écrivit leur adresse sur un papier.
- Avez-vous aussi leur numéro de téléphone ?
- Ils n’en ont pas ! répliqua-t-elle avec un sourire. Ils habitent à la campagne et là-bas, les gens n’ont pas le téléphone. Mais ce n’est pas un problème ! Vous avez leur adresse, il vous suffit de sonner à leur porte. Je suis sûre qu’ils seront ravis de vous voir !
Nous avons sauté dans la voiture et sommes partis vers le sud. Nous nous sommes perdus plusieurs fois en route, mais avons finalement atteint notre destination.
La femme qui nous ouvrit la porte resta clouée sur place, totalement stupéfaite. Je ne peux pas lui en vouloir ! Imaginez la scène : deux jeunes rabbins, barbus, avec une Kippa noire avaient atterri comme des extra-terrestres, à l’improviste, dans ce hameau perdu du sud de l’Irlande…
On nous fit asseoir autour de la table. Cette famille avait trois enfants : Rebecca, 22 ans, Aaron 19 ans et Sara 15 ans. Ils se sentaient très juifs, mais n’avaient aucun moyen d’exprimer leur judaïsme dans leur vie quotidienne.
Roselyne était arrivé à Wexford 25 ans plus tôt et, depuis, n’avait pratiquement plus rencontré un seul Juif. Il était cependant curieux de constater que ses enfants ressentaient fortement leur judaïsme malgré cela.
Roselyne et ses enfants profitèrent de notre visite pour nous poser toutes les questions qu’ils avaient eues au fil des années. Mais leur grande question était à notre propos : pourquoi des rabbins comme nous se fatiguaient-ils à leur rendre visite, alors qu’ils n’avaient aucun lien avec une communauté, alors que nous ne les connaissions même pas ?
Je leur expliquai que chaque Juif, quel que soit son lien avec une communauté ou avec la pratique religieuse, possède une âme juive qui est liée à D.ieu, quelles que soient les circonstances. C’est la suite logique d’une alliance qui a été scellée avec D.ieu sur le mont Sinaï il y a plus de 3300 ans et qui n’a jamais cessé. Il nous appartient d’exprimer ce lien dans notre vie quotidienne. Je continuai en expliquant que le Rabbi disait que chaque Juif est comparé à un diamant et c’était pour cela que nous étions venus voir Roselyne et ses enfants.
Nous avons discuté longtemps, amicalement, puis j’eus une idée : «Aaron a-t-il célébré sa Bar Mitsva?»
- Non, répondit Roselyne en souriant, il n’y a pas de Talmud Torah avec des cours pour Bar Mitsva à Wexford !
- Mais nous pouvons la célébrer maintenant ! De fait, l’essentiel de cette cérémonie, c’est de mettre les Téfiline en priant D.ieu et en acceptant son autorité. Aaron peut le faire ici !
Mendy partit chercher ses Téfiline dans la voiture tandis que Rebecca et Sara se précipitaient pour apporter un appareil photo qui garderait éternellement le souvenir de ce moment historique : la première Bar Mitsva célébrée à Wexford ! Qui l’aurait cru ?
Toute la famille était très émue : tout en entourant les lanières autour du bras d’Aaron, je lui expliquai que les sept tours symbolisaient les sept émotions (bonté, sévérité, miséricorde etc…) dont fait preuve chaque âme juive, que mettre les Téfiline signifiait lier son cœur et son cerveau à D.ieu : grâce aux Téfiline, un Juif parvient à unir ses deux composants principaux - son intellect et ses émotions – avec D.ieu afin que tous ensemble, ils puissent Le servir.
Aaron répéta mot-à-mot les versets du Chema avec Mendy. C’est alors que Roselyne éclata en sanglots, suivie par ses filles. Une émotion qui avait été retenue pendant des années se manifestait maintenant ouvertement : Roselyne embrassa longtemps son fils unique tandis que Mendy et moi nous tenions là, immobiles, très émus nous aussi devant la tempête spirituelle qui atteignait cette famille juive : nous avions découvert quatre «diamants» qui brillaient enfin de tous leurs feux.
Nous avons offert à Sara et Rebecca leur propre chandelier et elles s’engagèrent à allumer chaque vendredi après-midi leur bougie de Chabbat avec leur mère qui en allumait deux.
Quand nous sommes partis, toute la famille nous a accompagné jusqu’à la voiture. Je pensais comment, trois heures plus tôt, nous étions des étrangers les uns pour les autres : maintenant nous étions une grande famille…

Rav Yosef Yitzchok Jacobson – Le’haïm
traduit par Feiga Lubecki