Semaine 17

Editorial
Quand le choix se fait acte

Il n’existe sans doute pas de plus belle, de plus grande et de plus nécessaire liberté que celle qui permet aux hommes de choisir ceux qui vont les diriger. Choisir librement est, en effet, un immense privilège dont l’habitude fait que, parfois, on n’en mesure véritablement l’importance qu’à l’aide de quelque réflexion. Et pourtant… C’est qu’il y a bien quelque chose d’une puissance infinie dans cette notion de choix. Choisir les chemins de sa vie à construire, choisir ceux qui vont avoir la charge de les tracer en avant, n’est-ce pas un pouvoir quasi divin ? Et ceux que l’élection désigne ainsi n’en reçoivent-ils pas une sorte de reflet ?

Pour le judaïsme, la collectivité qui s’exprime dépasse la simple collection d’individus dont elle est initialement constituée. Elle prend comme une personnalité nouvelle, assumant le plein statut d’entité en soi. Lorsqu’elle s’exprime, ce n’est donc pas que la voix de chacun de ses membres qui retentit et pèse de tout son poids légitime ; c’est elle-même qui parle et ce qu’elle dit porte loin et fort. En cette qualité, il n’est guère étonnant qu’elle confère à ceux qu’elle choisit, qui qu’ils soient et à tous les niveaux, plus qu’une justification de leur autorité : une sorte d’onction suprême qui est aussi la transmission de la force nécessaire pour assumer le rôle qui leur est, à présent, imparti.

C’est ainsi qu’entre électeurs et élus, il y a, littéralement, responsabilité partagée. Ceux qui élisent, guidés par leur raison et leur cœur, s’inscrivent dans un processus qui, loin de les éloigner du pouvoir, lui donne une traduction concrète ; c’est d’eux – et seulement d’eux – que procèdent toute légitimité et, de ce fait, toute faculté et toute capacité d’agir. Quant aux élus, si l’élection les a indéniablement dotés de cette qualité nouvelle, s’ils sont ainsi pénétrés d’une conscience plus haute, c’est parce que la charge qu’ils ont acceptée est d’un poids considérable. Les actes des uns et des autres, en un certain sens, les dépassent.

Une fois l’élection passée, ce n’est pas que la fin d’un rite qui s’opère. Les électeurs, collectivité globale, continuent d’apporter leur inspiration – et aussi leur espoir – à ceux qu’ils ont élu. Parfois, les lendemains devenus aujourd’hui semblent moins hauts en couleurs mais l’essentiel est là : la vie et l’action continueront. N’est-ce pas là l’existence vraie des hommes jusqu’à ce que D.ieu choisisse, pour l’éternité, Son élu : le Machia’h.
Etincelles de Machiah
L’esprit et le cœur

La ‘Hassidout développe abondamment l’idée que l’exil présente des aspects positifs dans la mesure où il constitue une descente destinée à aboutir à une élévation infiniment supérieure. En ce sens, il démontre la « supériorité de la lumière (qui provient) de l’obscurité » etc. Ces explications s’adressent toutes à l’esprit et, de ce point de vue, elles sont clairement satisfaisantes. Toutefois, si on laisse libre cours aux sentiments du cœur, l’amertume de l’exil rend de telles interprétations littéralement inacceptables.

C’est pourquoi, malgré toutes ces explications, le peuple juif persiste à prier pour que l’exil cesse enfin et que la Délivrance arrive.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, Chabbat Parchat Nitsavim 5741)
Vivre avec la Paracha
A’hareï Kedochim

A’hareï
La Paracha de cette semaine présente un paradoxe quelque peu étonnant. Les versets qui l’ouvrent évoquent Yom Kippour, le jour le plus saint de l’année, au cours duquel le Peuple Juif «ressemble aux anges». En ce jour, «ils se purifient devant D.ieu». Et puis, la fin de la Paracha avertit : «ne révèle pas la nudité de ton père, ne révèle pas la nudité de ta mère… N’accomplis aucune de ces abominations». Il ne s’agit pas exactement de fautes dont il faille admonester les anges ! Pourquoi donc ces deux sujets sont-ils inclus dans la même Paracha ?
La réponse à cette question se trouve en allusion dans le nom même de cette lecture de la Torah : A’hareï, qui signifie «après», et dans son premier verset : «Et D.ieu parla à Moché après la mort des deux fils d’Aharon quand ils se furent rapprochés de D.ieu et qu’ils moururent».
Yom Kippour est un jour où chaque Juif «se rapproche de D.ieu». Néanmoins, cette expérience ne doit pas se suffire à elle-même. Il faut, en outre, se concentrer sur ce qui arrive après. La manière dont nous nous sommes rapprochés de D.ieu doit influer sur les jours et les semaines qui suivent.
Les plus profondes aspirations de notre âme et les moments spirituels les plus élevés de notre expérience religieuse doivent être rattachés aux réalités de notre existence matérielle. La spiritualité n’est pas une dimension ajoutée, séparée de notre expérience quotidienne mais un moyen par lequel nous élevons notre quotidien. En faisant la fusion entre notre réalité matérielle et notre réalité spirituelle, nous raffinons le monde, l’imprégnons de sainteté et le transformons en résidence pour la Présence Divine.
C’est la raison pour laquelle nous lisons les passages concernant les relations interdites dans la Paracha qui décrit le service du sacrifice de Yom Kippour et, de fait, nous lisons les interdictions concernant ces relations durant le service des prières de Yom Kippour.
Nous vivons tous des moments où notre cœur se tourne vers le haut et où nous nous sentons plus en unisson avec notre âme et D.ieu, comme cela se produit par exemple à Yom Kippour, un jour où nous nous mettons à l’écart de toutes préoccupations matérielles. Mais même alors, il faut que nos yeux soient tournés vers le bas. La force spirituelle de ces moments spéciaux doit être utilisée pour recharger notre service divin quotidien et nous motiver à agir selon les désirs de D.ieu même dans le contexte de situations où nous pourrions être tentés de suivre un autre chemin.

Kedochim
Ne vous est-il jamais arrivé d’être en train de perdre le contrôle mais au dernier moment, réussir à vous ressaisir? Les combats intérieurs de cet ordre sont fréquents et ce, sur tous les fronts.
La Paracha Kedochim commence par l’idée que nous devons être saints. Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Rachi explique que le terme «saint» implique le contrôle de soi. Il existe de nombreuses tentations dans la vie. Etre saint signifie avoir la force de contrôler ses impulsions immédiates. Un autre commentateur, Na’hmanide, est d’avis que ce contrôle sur soi peut parfois conduire la personne au-delà de la simple lettre de la loi. La loi juive autorise à consommer de la nourriture cachère mais doit-on pour autant en consommer comme des gloutons ? Selon cette vue, même si la nourriture est aussi cachère que possible, se retenir c’est être fort ; cela montre que l’on est réellement libre en tant qu’individu plutôt qu’esclave de son appétit.
La majorité de la Paracha est consacrée à donner des lignes de conduites sur cette sorte de maîtrise de soi, dans de nombreux domaines de la vie. La plus importante en est le fameux enseignement : «aime ton prochain comme toi-même». Rabbi Akiva disait que c’est là le grand principe de la Torah. Il concerne tous les autres aspects de la pensée juive. La Paracha nous enjoint également de ne pas nous venger ni de garder rancune. Cela nécessite bien sûr le contrôle de soi : dans nos actions, nos paroles et même nos pensées. Mais une personne capable d’une telle maîtrise existe-t-elle ? Imaginons une personne très puissante qui a acquis une véritable maîtrise de soi. Qu’est-ce que la puissance ? Pendant longtemps les gens ont pensé qu’il s’agissait de la domination des autres. Maintenant nous réalisons qu’il s’agit de la maîtrise de soi.
La vie quotidienne nous fournit de nombreux exemples des batailles individuelles décrites dans notre Paracha : dans les relations avec nos parents, dans le monde des affaires, dans les questions concernant le don de charité, dans les relations entre hommes et femmes etc. Il s’agit donc du défi de la puissance de retenue qui construit un monde de bonté pour le futur quand le monde entier sera rempli de sainteté.
Aimer son prochain comme soi-même ? Cela semble nous demander l’impossible. Nous ne nous soucions d’autrui que dans la mesure où nous percevons en lui un dénominateur commun avec nous. Et ce dénominateur n’affecte qu’une partie limitée de notre personnalité. Il ne nous pénétrera jamais entièrement car chacun d’entre nous possède un amour propre profond et nous ne pouvons nous identifier avec personne aussi fortement que nous le faisons avec nous-mêmes. Si bien qu’aussi longtemps que nous gardons notre amour-propre, il n’existe aucune possibilité pour aimer quiconque autant que nous-mêmes.
Toutefois, il est possible de redéfinir le sens de notre ego. Au lieu de nous concentrer sur notre «moi» personnel, nous pouvons illuminer l’étincelle divine que nous possédons, notre véritable et pur moi. Et quand l’étincelle divine de la personne brille de tous ses feux, elle est capable d’apprécier qu’une étincelle similaire brille également chez chacun. Elle peut alors aimer l’autre autant qu’elle-même parce que tous deux partagent une identité fondamentale commune.
Comment arriver à ce niveau d’amour ? En regardant au-delà de ses préoccupations égoïstes et matérielles et se concentrant sur le cœur spirituel qui existe en soi et en chaque personne. Aimer véritablement autrui signifie ne pas regarder ce qu’il peut faire pour moi ou pourquoi il m’attire, mais contempler le potentiel divin qu’il possède.
Pour reprendre le fameux mot d’Hillel, l’un des plus grands sages du Talmud, n’est-ce pas là «toute la Torah» ?
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce qu’un Gema’h, caisse de prêts ?

C’est une plus grande Mitsva de prêter de l’argent que d’en donner.
Il est interdit de demander un intérêt lorsqu’on prête de l’argent à un autre Juif.
Il est particulièrement recommandé de prêter de l’argent à celui qui en a besoin pour éviter la faillite. On peut prêter de l’argent à quelqu’un de riche mais on prêtera de préférence à un pauvre, même si le riche fait partie de la famille.
Chaque communauté mais aussi chaque institution, chaque école et même chaque classe devraient instituer une caisse de prêts afin d’aider ses membres.
La Mitsva de prêter de l’argent n’intervient que si on est sûr de pouvoir récupérer cet argent. Si l’emprunteur est connu comme quelqu’un en qui on ne peut pas avoir confiance, on peut exiger des garants. Si malgré les garants, on a des raisons de se méfier, les administrateurs de la caisse peuvent refuser le prêt car ils sont responsables de sa bonne gestion qui doit être utile à tous ses membres qui en auraient honnêtement besoin. Dans ce cas-là, le responsable ne devrait pas mentir (en prétextant par exemple qu’il ne dispose pas de la somme demandée) mais plutôt remettre à plus tard l’obtention du prêt. Si cela s’avère inefficace, il est permis de mentir plutôt que de risquer des rancœurs et des haines au sein du peuple juif. On préférera prétendre par exemple que l’argent n’est pas disponible pour le moment ou qu’il est nécessaire pour des besoins plus urgents etc.
F. L. (d’après Rav Yosef Ginsburgh)
De Recit de la Semaine
Une demande par la pensée

L’avion de Gibraltar venait de se poser à Londres et Michaël s’apprêtait à poursuivre sa route vers New York, chez le Rabbi de Loubavitch. A cette époque – 1981 – Michaël avait l’habitude de téléphoner au Rabbi avant chaque voyage afin que celui-ci se passe sans incident. Il profita donc de l’escale à Londres pour appeler le secrétariat du Rabbi.
Le secrétaire répondit que dans quelques minutes, il entrerait dans le bureau du Rabbi et, à cette occasion, demanderait une bénédiction pour Michaël. Il conseillait donc à son interlocuteur de le rappeler d’ici vingt minutes pour obtenir peut-être une réponse.
Une demi-heure plus tard, Michaël rappela le secrétariat : «Le Rabbi vous accorde sa bénédiction pour que le voyage se passe bien mais a également demandé des nouvelles de votre sœur !»
Cette question était étonnante. Cela ne faisait que quelques heures que Michaël avait quitté Gibraltar et tout allait bien dans sa famille : «Je n’ai qu’une sœur, rappela-t-il au secrétaire ; elle va bien et s’est mariée l’année dernière. Je n’ai aucune idée pourquoi le Rabbi me demande de ses nouvelles ! Je n’ai jamais demandé au Rabbi une bénédiction en ce qui concerne sa santé !»
Le secrétaire l’écouta attentivement mais lui conseilla néanmoins de téléphoner à sa famille à Gibraltar.
Quand Rav Michaël Hazan - qui est maintenant responsable d’une Yechiva à Monsey, à côté de New York – raconte cette histoire, il revit en tremblant l’étonnement mais surtout l’inquiétude qui s’étaient emparées de lui à ce moment-là…
Gibraltar – la couronne du gouvernement britannique, tout au sud de l’Espagne – abrite une communauté juive florissante : synagogues, écoles juives, commerces cachères… mais pas encore de Yechiva, d’institut talmudique de haut niveau. Les jeunes gens désireux de compléter leurs connaissances sont obligés de s’exiler dans d’autres pays.
C’était pour cela qu’en 1977 Michaël s’était inscrit à la Yechiva de Morristown dans le New Jersey. Là, il avait appris à connaître le mouvement Loubavitch et à apprécier l’étude de la ‘Hassidout. Comme il n’existait pas encore de ligne directe entre Gibraltar et New York, il était obligé de faire escale à Londres.
Bien entendu, le fait que le Rabbi insiste pour avoir des nouvelles de sa sœur poussa Michaël à lui téléphoner à Gibraltar. Mais personne ne répondait de l’autre côté de la ligne. De plus en plus inquiet, il appela ses parents mais là aussi, personne ne répondait.
Nerveusement, il composa un numéro puis l’autre sans succès jusqu’à ce qu’il soit obligé de monter dans le second avion.
En arrivant à New York, il s’empressa de récupérer ses bagages et sauta dans un taxi vers le 770 Eastern Parkway, la synagogue du Rabbi. Il rencontra le secrétaire qui s’apprêtait justement à entrer à nouveau dans le bureau : «Je vais signaler au Rabbi que vous êtes bien arrivé» promit-il.
Une heure plus tard, il rencontra à nouveau le secrétaire : «Je vous cherchais justement, s’écria-t-il. Quand j’ai mentionné votre nom devant le Rabbi, il a tout de suite rétorqué : ’Et comment va sa sœur ?’»
Michaël se remit immédiatement à téléphoner à Gibraltar. Maintenant, il était vraiment fou d’inquiétude. Sa sœur ne répondait pas mais il parvint à joindre sa mère.
Avant même qu’il ait pu lui expliquer que le Rabbi avait par deux fois demandé des nouvelles de sa sœur, elle lui raconta que juste après son départ le Gibraltar, sa sœur avait été conduite d’urgence dans la salle d’accouchement, apparemment bien avant le terme prévu. Bien vite, son était s’était compliqué : elle avait plusieurs fois perdu connaissance, elle avait perdu beaucoup de sang et les médecins craignaient même pour sa vie.
En entendant cela, Michaël se hâta d’interrompre la conversation et courut trouver le secrétaire pour lui expliquer la situation et demander une bénédiction au Rabbi. Quelques instants plus tard, le secrétaire revint avec une nouvelle rassurante : «Le Rabbi dit qu’il ne faut pas s’inquiéter et qu’avec l’aide de D.ieu, tout se passera bien !»
Michaël rappela sa mère pour lui annoncer ce qu’avait dit le Rabbi. Bien entendu, en entendant cela, toute la famille fut soulagée et les jours qui suivirent se passèrent dans l’optimisme et la confiance. Effectivement, de façon tout à fait miraculeuse, la sœur de Michaël se rétablit progressivement.
Dès qu’il eut l’occasion de lui parler au téléphone, il lui raconta comment le Rabbi s’était par deux fois inquiété de son sort sans que quiconque ne lui ait signalé le problème. Elle éclata en sanglots – des larmes de joie ! – et raconta ce qui lui était arrivé.
Quand elle avait senti ses forces l’abandonner, elle avait tenté de demander à sa mère – qui se tenait anxieusement à ses côtés – de contacter Michaël pour qu’il demande une bénédiction au Rabbi. Mais sa faiblesse était telle qu’elle n’avait pu sortir un mot de sa bouche. En constatant qu’elle essayait de parler, sa mère lui avait recommandé de se reposer et de ne pas se fatiguer à parler.
Dans l’impossibilité de se faire comprendre, la jeune femme avait refusé de se décourager et, dans son esprit, se représentait le visage du Rabbi. Comme dans un rêve, elle avait demandé : «Une bénédiction pour Ruth, fille de Sim’ha, pour une guérison complète !»
Et c’est justement à ce moment-là, quand Michaël avait téléphoné depuis Londres au Rabbi que celui-ci avait demandé des nouvelles de sa sœur…

Arié Samit
Kfar Chabad – Sichat Hachavoua
traduit par Feiga Lubecki