Semaine 39

Editorial
D’aujourd’hui à demain

Cette semaine, dans toutes les synagogues, s’élèvent les mots éternels : «A Toi, D.ieu, est la justice…». C’est, en effet, cette semaine, que, partout, retentissent les profondes paroles des Seli’hot, ces textes poignants par lesquels, tels des enfants devant leur Père, nous demandons à D.ieu de pardonner nos fautes. Si, dans les communautés séfarades, ce rite est pratiqué depuis le début du mois d’Elloul, il commence à l’être, à présent, également dans toutes les autres. C’est dire que ces Seli’hot expriment maintenant un sentiment général littéralement irrépressible. Nous avons tous la conscience forte que Roch Hachana est proche, que ce jour est loin d’être comme les autres et qu’il faut connaître et emprunter les chemins qui permettent de le vivre. Car c’est bien de vie qu’il est ici question.
Cette préparation est comme l’antichambre de l’année qui va commencer. Nous la souhaitons, à nous-mêmes, à ceux qui nous entourent et à tous les hommes, la plus belle du monde. Nous avons tant de défis à relever, tant de grandes choses à accomplir, en nous et autour de nous. Roch Hachana, c’est, après l’œuvre spirituelle de la période, le temps où D.ieu nous entend. C’est le moment où tout retient son souffle pour laisser s’instaurer, de façon manifeste, ce lien à la fois glorieux, subtil et infini, entre le Créateur et la créature. Tout se passe comme si nous avions entre nos mains l’instrument qui, par sa puissance, bouleverse une donne anciennement imposée, brise les chaines mises en place de longtemps pour brider les consciences, fait finalement passer le souffle d’une liberté réelle presque oubliée. Car l’enjeu est bien là, en cet instant. L’année nous a souvent entrainés trop vite et trop facilement dans ses méandres. Elle a emporté, dans ses tourbillons, tant de résolutions sincères et inabouties. Elle a pu estomper jusqu’à l’oubli tant d’attentes et parfois d’espérances. Mais le mois de Tichri est là et, avec lui, tout le cœur mis à l’ouvrage, tous ces sentiments si précieux – oubli de soi, amour de l’autre, amour de D.ieu – qui sont comme autant de clés de l’avenir.
Se retrouver, tout à coup, face à soi-même réapparaît alors comme une expérience nouvelle. Car, dans ce face à face singulier, c’est aussi notre rapport avec D.ieu qui se révèle. Enfants devant leur Père, serviteurs devant leur Maître, peuple devant son Roi, nous sommes, en ce moment, tout cela et bien plus encore. Et c’est toute une gamme de sagesses et de sentiments multiples qui surgit en chacun. Roch Hachana est à notre porte, le Choffar résonne déjà dans notre cœur et le jour est proche où, au cœur de la fête, il retentira à nos oreilles. Il est temps d’entreprendre le grand voyage d’automne qui ouvre tant de perspectives et de visions nouvelles. Aujourd’hui tout est possible. Demain aussi, si nous le voulons. Pour une bonne et douce année.
Etincelles de Machiah
Prémices matériels et prémices spirituels
Le texte de la Torah (Deut. 26:1-4) enseigne : «Quand tu arriveras dans le pays… et tu prendras des prémices des fruits de la terre… Et tu les mettras dans un panier… et tu iras chez le Cohen qui sera en ce temps-là… et le Cohen prendra le panier de ta main et il le posera sur l’autel…». Ces quelques mots décrivent le commandement de l’offrande des prémices des fruits caractéristiques d’Israël (le raisin, la figue, les dattes etc.), que les Juifs respectèrent après leur installation sur la terre donnée par D.ieu.
De manière générale, il existe deux façons de pratiquer un commandement divin : en respectant le minimum requis ou en y manifestant tout l’amour que l’on porte à D.ieu par un accomplissement plus enthousiaste et plus attentif. Le commandement de l’offrande des prémices présente cette qualité particulière d’être, par nature, l’expression de cet amour enthousiaste ; de fait, on n’offrait que le meilleur.
Au sens spirituel, alors que nous sommes au seuil de la Délivrance, il appartient à chacun de s’y préparer en offrant des « prémices ». Il s’agit d’offrir ainsi à D.ieu le meilleur de soi-même pour que, très bientôt, nous puissions accomplir cette offrande, au sens littéral, dans le troisième Temple, à Jérusalem.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, Chabbat Parchat Tavo 5751) H.N.
Vivre avec la Paracha
Roch Hachana : la prière de ‘Hanna

…Aimer l’Eternel ton D.ieu et Le servir de tout ton cœur et de toute ton âme. (Deutéronome 11:13)

Quel est le service du cœur ? C’est la prière. (Sifri, ibid)

La Haftara (lecture tirée des Prophètes) du premier jour de Roch Hachana nous relate l’histoire de ‘Hanna, la mère du prophète Chmouel.
‘Hanna, l’épouse sans enfant d’Elkana, vint à Chilo, où se tenait le Sanctuaire, avant que le roi Chlomo ne construise le Temple de Jérusalem, pour prier afin d’avoir un enfant : ce qu’elle fit, en pleurant abondamment. Et elle émit un vœu et dit: “Ô D.ieu des Hôtes… si Tu donnes à Ta servante un enfant, je le consacrerai à D.ieu tous les jours de sa vie…”
Eli, le Grand Prêtre, l’observait alors qu’elle “priait profusément devant D.ieu… Seules ses lèvres bougeaient, sa voix ne se faisait pas entendre.
Eli pensa qu’elle était saoule. Et il lui dit: «Combien de temps seras-tu ivre? Mets de côté ton vin!’. ‘Hanna répliqua: ‘Non, mon Maître… je n’ai bu ni vin ni aucune boisson forte, j’ai épanché mon âme devant D.ieu…»”.
Eli accepta sa réponse et la bénit pour que D.ieu exauce sa requête. Cette année-là, ‘Hanna donna naissance à un fils qu’elle nomma Chmouel (“demandé à D.ieu”). Quand elle l’eut sevré, elle accomplit son vœu de le consacrer au service de D.ieu, en le conduisant à Chilo où il fut élevé par Eli et les prêtres. Chmouel grandit et devint l’un des plus grands prophètes d’Israël.
La prière de ‘Hanna, comme l’on dénomme cette lecture, constitue l’une des sources bibliques fondamentales du concept de la prière. En fait, le dialogue entre Eli et ‘Hanna touche l’essence de la prière en général, et la prière de Roch Hachana en particulier.

Le paradoxe
Le concept de la prière à D.ieu, comme il est présenté dans la Torah et exposé dans les écrits de nos Sages, semble renfermer une contradiction interne.
D’une part, la prière est décrite comme la communion de l’âme avec le Créateur, une île de ciel dans une journée du monde du quotidien. “Les pieux méditaient une heure, disent nos Sages, et seulement alors ils se mettaient à prier. Ils se retiraient du monde et se concentraient jusqu’à s’être complètement départis de leur matérialité et avoir atteint la suprématie de l’esprit de la raison, de sorte qu’ils atteignaient un état proche de la prophétie”. Ils “attachaient leur âme au Maître de Tout, dans un état de crainte et d’amour absolus et de véritable attachement”. En fait, le mot hébreu pour “prière”, Tefila, signifie “attachement”; la prière consiste en la décision de s’élever au-dessus des soucis quotidiens et de s’attacher à sa source en D.ieu.
Et pourtant, l’essence de la prière est notre demande à D.ieu de pourvoir à nos besoins quotidiens matériels. C’est là le fondement sur lequel repose son édifice spirituel tout entier. Maïmonide définit ainsi le principe de la prière:
…Chaque jour, l’homme doit prier et solliciter, dire les louanges de D.ieu et Lui demander de pourvoir à ses besoins avec supplication; après cela, il offre sa prière et ses remerciements à D.ieu pour le bien qu’Il lui a attribué.
Mais ces deux aspects de la prière ne sont-ils pas incompatibles et même contradictoires? Celui qui s’est complètement départi de sa matérialité demande-t-il à D.ieu de pourvoir à ses besoins? Celui qui a atteint un état proche de la prophétie a-t-il ces préoccupations dans son esprit?
Le paradoxe de la prière s’accentue encore le jour de Roch Hachana. En ce jour, non seulement nous nous tenons devant D.ieu mais nous Le couronnons, faisant abnégation totale de notre personne et de nos besoins. Et pourtant, un seul regard sur la prière de Roch Hachana montre qu’elle est pleine de requêtes pour la vie, la santé et la subsistance pour l’année à venir.

Une Maison sur terre
D.ieu créa le monde, disent nos Sages, parce qu’ “Il désirait une demeure dans les mondes inférieurs”. Les “mondes inférieurs” sont notre monde matériel, inférieur à cause de sa distance spirituelle de notre source, son illusion d’autosuffisance et son retrait quasi absolu de tout ce qui est transcendant et divin. Mais c’est là que D.ieu a désiré résider, souhaitant que “ce monde inférieur” soit celui qui habite et exprime Sa vérité.
C’est pourquoi la Torah décrit notre mission dans la vie comme essentiellement faite d’actions impliquant des objets matériels. En fait, virtuellement, chaque ressource matérielle sur terre, chaque membre et organe de notre corps a sa Mitsva spécifique, la manière pour D.ieu d’établir comment elle peut être l’instrument de Sa volonté.
Ainsi nos actes ne sont pas personnels et nos demandes ne sont pas égocentriques. Oui, nous demandons à manger, la bonne santé et la richesse ; mais nous les demandons comme un serviteur demande à son maître les moyens de mieux le servir. Nous demandons de l’argent pour accomplir la Mitsva de la charité, la force pour construire une Soukka, la nourriture pour maintenir ensemble le corps et l’âme pour que notre vie serve de “résidence dans les mondes inférieurs” qui abritent la présence divine dans notre monde.
Et Roch Hachana, le jour qui couronne D.ieu, est le plus propice pour lui demander de pourvoir à tous nos besoins et désirs matériels. Couronner D.ieu signifie l’accepter comme souverain dans tous les domaines de notre vie, nous vouer non seulement à une quête spirituelle mais aussi et surtout à accomplir Son désir pour une demeure ici-bas.

Une accusation d’ivrognerie
C’est là le sens profond de l’échange entre Eli et ‘Hanna.
L’accusation d’Eli peut aussi se comprendre comme une critique de ce qu’il jugeait comme un excès dans les demandes matérielles. «Tu es dans le lieu le plus saint, dit-il, et c’est dans ce lieu que tu demandes à D.ieu d’accéder à tes désirs matériels?
“Tu m’as mal comprise, répond ‘Hanna. J’ai épanché mon âme devant D.ieu. Je ne demande pas simplement un fils, je demande un fils que je puisse consacrer à D.ieu tous les jours de sa vie».
Nos Sages nous disent que Chmouel fut conçu à Roch Hachana. Que D.ieu ait exaucé cette prière en ce jour nous encourage à L’approcher avec toutes nos demandes matérielles en ce jour éminent. Car à Roch Hachana nos besoins personnels et notre désir de servir notre Roi sont les mêmes.
Le Coin de la Halacha
Le coin de la Hala’ha

Que fait-on la veille de Roch Hachana (cette année lundi 29 septembre 2008) ?

On ne récite ni le Ta’hanoune ni les Psaumes 20 et 86 durant la prière du matin. On ne sonne pas le Choffar, afin de marquer la différence entre la coutume du mois d’Elloul et l’obligation de Roch Hachana.
En présence de dix hommes, chacun récite le texte de «Hatarat Nedarim», l’annulation des vœux, afin de ne pas commencer la nouvelle année tant qu’on n’aurait pas accompli tout ce qu’on a promis l’année précédente. En effet, à Roch Hachana, chacun promet de mieux faire. Mais quelle serait la valeur d’une telle promesse si on n’a pas tenu les promesses de l’année précédente ?
On se coupe les cheveux, on s’immerge dans le Mikvé et on revêt les vêtements de fête car on est confiant que D.ieu jugera chacun avec miséricorde.
On augmente les dons à la Tsedaka (charité) en s’assurant que chacun a de quoi faire face aux dépenses de la fête.
Nombreux sont ceux qui se rendent au cimetière sur les tombes des êtres chers disparus et des Tsadikim (Justes) afin qu’ils intercèdent en faveur de leurs descendants et de leurs fidèles.
De nos jours, on évite de jeûner et on préfère donner à la Tsedaka (charité) l’argent équivalent aux repas consommés (en général une somme multiple de 18).

Que fait-on à Roch Hachana ?

Lundi 29 septembre 2008, après avoir mis des pièces à la Tsedaka, les femmes, les jeunes filles et les petites filles allument les bougies de Roch Hachana (avant 19h 13, horaire de Paris) avec les bénédictions suivantes :
1) « Barou’h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner Chel Yom Hazikarone » ; et 2) « Barou’h Ata Ado-nay Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé ».
Après la prière du soir, on se souhaite mutuellement : «Lechana Tova Tikatev Vete’hatème» - «Sois inscrit(e) et scellé(e) pour une bonne année».
Après le Kiddouch, on se lave les mains rituellement et on trempe la ‘Halla dans le miel (et ce, jusqu’à Hochana Rabba, lundi 20 octobre 2008 inclus).
Ensuite on trempe un morceau de pomme douce dans le miel, on dit la bénédiction : «Haèts» et on ajoute : «Yehi Ratsone Milfané’ha Chete’hadèche Alénou Chana Tova Oumetouka» («Que ce soit Ta volonté de renouveler pour nous une année bonne et douce»). Durant le repas, on s’efforce de manger de la tête d’un poisson, des carottes sucrées, une grenade et, en général, des aliments doux, pas trop épicés, comme signes d’une bonne et douce année.
Mardi soir 30 septembre, les femmes, les jeunes filles et les petites filles allument les bougies de la fête (après 20h 13, horaire de Paris) à partir d’une flamme allumée avant la fête, avec les mêmes bénédictions.
On aura auparavant placé sur la table un fruit nouveau, qu’on mangera juste après le Kiddouch, avant même qu’on se lave les mains pour commencer le repas.
Mardi 30 septembre et mercredi 1er octobre, on écoute la sonnerie du Choffar. Si on n’a pas pu l’entendre à la synagogue, on peut encore l’écouter toute la journée.
Mardi 30 septembre après-midi, après la prière de Min’ha, on se rend près d’un cours d’eau et on récite la prière de Tachli’h.
Durant les deux jours de Roch Hachana, on évite les paroles inutiles et on s’efforce de lire de nombreux Tehilim (Psaumes).
Jusqu’à Yom Kippour inclus, on ajoute dans la prière du matin le Psaume 130 et on récite matin et après-midi (sauf Chabbat) la prière «Avinou Malkénou» («Notre Père, notre Roi»). On ajoute certains passages de supplication dans la prière de la «Amida» - en particulier : on termine la 3ème bénédiction en louant «Hamélekh Hakadoch» (le Roi Saint).
On multiplie les actes de charité et, en général, on s’efforce d’être davantage scrupuleux dans l’accomplissement des Mitsvot.

F. L.
De Recit de la Semaine
La vision

J’étais emprisonné dans un camp de travail, à l’extrême nord de l’Union Soviétique. Notre baraque était surpeuplée et l’atmosphère était étouffante. Je sortais dans la cour pour prendre un peu d’air frais mais il faisait soixante degrés en dessous de zéro et tout ce qu’on pouvait voir, c’était de la neige, partout.
C’était Roch Hachana et je ne pouvais réfléchir qu’à une chose : où se trouvaient ma femme et mes enfants ? Les officiers du KGB m’avaient annoncé des nouvelles terrifiantes : «Ta femme est décédée ; quand nos hommes sont venus pour prendre ses enfants - puisqu’elle n’était pas capable de les éduquer dans l’esprit soviétique révolutionnaire – elle a protesté et paniqué. Puis elle a subi une crise cardiaque et est décédée. Mais ne t’inquiète pas : nous prenons soin des enfants ! Ils sont placés dans un orphelinat soviétique où ils reçoivent une excellente éducation communiste. Ils ne subiront plus ton lavage de cerveau et tes fadaises religieuses !»
Plus ils parlaient, plus je les croyais. Et ils en rajoutaient : «Qui est ton D.ieu pour lequel tu sacrifices ta femme et tes enfants ? Pourquoi ne te sauve-t-Il pas de nos mains ?»
Je voulais pleurer mais je n’avais plus de larmes. Je gardais toute ma souffrance enfouie dans mon cœur. Je craignais de mourir, le cœur brisé. Je décidai de déverser mon cœur devant D.ieu avant de quitter ce monde de mensonge.
«Maître du monde ! Aujourd’hui c’est Roch Hachana et nous ne prononçons pas la prière de «Al ‘Hèth» pour avouer nos fautes et en demander le pardon. Mais dans les circonstances actuelles, je ne peux attendre Yom Kippour. Je Te demande pardon pour chaque année et chaque jour que j’ai passé dans ce monde de mensonge ! Et Toi, dans Ta grande pitié, pardonne-moi si je récite «Al ‘Hèth» en ce jour de Roch Hachana ! »
Et je me suis mis à énumérer un «Al ‘Hèth» absolument unique : «Pour le péché d’avoir organisé une école juive clandestine ; pour le péché d’avoir créé des ateliers dans lesquels les Juifs ne seraient pas obligés de travailler le Chabbat et les jours de fête ; pour le péché d’avoir falsifié des documents officiels afin que les enfants juifs ne soient pas arrêtés et que leurs professeurs ne soient pas envoyés là où je me trouve maintenant…
«J’ai très mal agi envers nos si mauvais dirigeants mais tout ce que j’ai fait, c’était pour préserver Ta Torah et Tes commandements. Alors de grâce, pardonne-moi pour ces péchés. Et laisse-moi exprimer une dernière requête : dis-moi où sont ma femme et mes enfants ! Que leur est-il arrivé ? Fais-le moi savoir afin qu’il soit plus facile pour moi de quitter ce monde de mensonge. Agis pour moi au-delà de la bonté !
«Et encore une chose : aujourd’hui c’est Roch Hachana ! Fais que je puisse aujourd’hui accomplir la Mitsva du jour ! Fais-moi entendre le son du Choffar ! »
A ce moment-là, une voix résonna dans mon cœur ! Si claire ! J’étais sûr que c’était une voix du ciel. Elle me chuchotait : «Ne sois pas triste et ne crois pas ce que te racontent ces brigands ! Ta femme et tes enfants sont vivants, ils sont à la maison. Tu les reverras et tu n’auras que des satisfactions de tes enfants !»
Je suppliai : «Oh mon D.ieu ! Change les lois de la nature ! Nous pouvons entendre ce qui se déroule à des kilomètres de chez nous grâce à la radio ! Je T’en prie : fais-moi entendre le son du Choffar !»
Soudain, devant mes yeux, j’aperçus une grande synagogue, avec une «Bima», une estrade, au centre et sur l’estrade se tenait le Rabbi de Loubavitch qui sonnait du Choffar : «Tekia» ! Mon âme tressaillit en entendant ce son interminable, perçant, intense. «Chevarim, Teroua» ! Mon cœur battait à tout rompre à l’écoute de ces sons semblables aux sanglots d’un enfant devant son père aimant… Debout dans la neige, je m’immergeai complètement dans cette vision d’un autre temps, d’une autre planète mais si réelle. Du plus profond de mon cœur, j’implorai mon Créateur : «Notre Père, notre Roi ! Aie pitié de nous ! Sauve Tes enfants qui ne dépendent que de Toi ! Tes enfants souffrent !»
Puis j’éclatai en sanglots. Les larmes coulaient sans que je puisse les arrêter ; elles se transformaient en glace qui s’accrochait à ma barbe. J’énumérai devant D.ieu tous mes soucis, mon angoisse à l’idée que ma femme devait s’occuper seule de nos enfants, de leur éducation juive, de leur nourriture, que mes enfants qui n’avaient pas fauté souffraient, que mes frères et sœurs vivaient dans l’inquiétude.
Je ne voyais plus la neige et la glace qui recouvraient pourtant le paysage, ni les chiens de garde ni les animaux à forme humaine qui tyrannisaient les détenus. Ce qui était réel, ce que je ressentais vraiment, c’était D.ieu et Sa sainte Torah, le Rabbi qui sonnait du Choffar et qui, par cela même, faisait prendre conscience aux ‘Hassidim de la Présence de D.ieu, de l’importance du moment, de la sincérité de la prière et de la nécessité d’œuvrer pour la délivrance du peuple juif… Le Rabbi, lui aussi, pleurait du plus profond de son âme.
Les années ont passé et, grâce à D.ieu, j’ai survécu. Après avoir purgé ma peine, j’ai été libéré du camp de travail et je suis rentrée à la maison. Ma femme et mes enfants étaient vivants et menaient une vie conforme à la Torah et aux Mitsvot, malgré les dangers et les privations qu’ils avaient dû affronter durant mon absence. Bien des années plus tard, nous pûmes miraculeusement quitter cet enfer, la tête haute. Nous sommes arrivés en Israël, toute la famille réunie.
Dès la première opportunité, je me suis rendu chez le Rabbi à New York afin de prier avec lui, dans sa synagogue du 770 Eastern Parkway à Roch Hachana, afin de le remercier d’avoir prié pour nous et de nous avoir bénis, ce qui nous avait donné la force et le courage de survivre.
J’entrai au 770. C’était une très grande synagogue avec une estrade au centre. Le Rabbi se préparait à sonner le Choffar tandis que des milliers de ‘Hassidim l’observaient dans un silence impressionnant, chacun pensant très fort à tout ce qu’il désirait pour l’année à venir. Le Rabbi monta sur l’estrade. Il prit trois sacs en carton qui contenaient des milliers de lettres, envoyées de tous les coins du monde ; nombreuses étaient celles provenant d’Union Soviétique, de Juifs demandant une bénédiction pour pouvoir quitter ce pays.
Le Rabbi se couvrit le visage de son Talit et sanglota. Il pleurait pour tout le peuple juif. Et il sonna le Choffar : Tekia, Chevarim, Teroua…
C’était la vision que j’avais aperçue dans le camp, des années auparavant. Mais cette fois, ce n’était pas une vision !

Rav Mena’hem Mendel Gorelik (Zal)
L’Chaim n°889
traduit par Feiga Lubecki