Semaine 22

Editorial
Pour entendre la «grande Voix»

Si on voulait la définir, on dirait que c’est une de nos trois grandes fêtes de pèlerinage qui, au temps du Temple, voyaient les Juifs se rassembler à Jérusalem dans la joie des célébrations. Si on voulait la décrire, on dirait que c’est une fête que, paradoxalement peut-être, aucun rite particulier ne marque ; certes on n’y travaille pas, elle est encadrée par les règles des rites, cependant aucun commandement spécifique – comparable au le Loulav de Souccot ou à la Matsa de Pessa’h – ne la distingue. Elle est pourtant celle du Don de la Torah. Et, pour ce qui nous concerne, nous la vivons cette semaine. Chavouot, fête profonde et essentielle. Fête centrale qu’aucun caractère extérieur ne limite comme pour nous signifier qu’elle conditionne l’ensemble de la vie, qu’elle est au cœur de toute chose et ne saurait, par conséquent, cantonner son expression à la pratique d’un commandement, aussi important soit-il.
Pour chacun de nous, qui avons attendu ce moment avec impatience depuis la fête de Pessa’h, comptant littéralement les jours, sachant, avec une certitude inébranlable, que la sortie d’Egypte nous conduit au mont Sinaï, au rendez-vous éternel avec D.ieu, l’idée s’impose avec majesté : Chavouot est bien l’âme de notre vie, la quintessence de ce que nous sommes. N’est-ce pas alors que, bouleversant les règles antérieures, D.ieu «descend sur le mont Sinaï» puis appelle Moïse – «Monte» – signifiant ainsi que le spirituel et le matériel se rejoignent en ce moment, qu’il devient possible de changer le monde par nos actes, que celui-ci peut s’élever enfin, imprégné de spiritualité ?
Voici que la «grande Voix» des Dix Commandements retentit, donnant à tous les hommes une morale, une Loi qui ne les ont plus abandonnés, établissant ainsi pour toujours les bases de la civilisation. Quant au peuple juif, il se tient là, au bas de la montagne, présent et fidèle, témoin et acteur de l’événement. Et il sait, dès cet instant, qu’un temps nouveau commence et que c’est une responsabilité nouvelle qui lui est confiée : dire, transmettre, enseigner, c’est dès lors le sens de sa vie. Depuis, quand revient, d’année en année, la fête de Chavouot, il ne l’accueille pas simplement comme une grande célébration. Il la reçoit comme le moment privilégié où tout cela se répète, comme le temps où les Dix Commandements retentissent et où l’univers entier les reçoit. Les Dix Commandements font résonner, cette semaine, toutes les synagogues. Présents, hommes, femmes et enfants, entendons-les. Ce jour-là, le Créateur parle à Sa création.
Etincelles de Machiah
Le secret du secret

Les premiers ‘Hassidim, citant le troisième Rabbi de Loubavitch, le Tséma’h Tsédek, ont enseigné :
La Torah comporte quatre niveaux d’interprétation : le “Pchat” ou “sens premier”, le “Rémez” ou “sens allusif”, le “Drach ou “sens homilétique” et le “Sod”, “sens ésotérique” ou littéralement “secret”. Chacun de ces quatre niveaux se subdivise par les quatre autres. Ainsi, pour le “Sod”, on trouvera la partie “Pchat” du “Sod”, la partie “Rémez” du “Sod” etc.
Le “Pchat” du “Sod” a été révélé par Rabbi Chimon bar Yo’haï. Le “Rémez” du “Sod” l’a été par Rabbi Its’hak Louria, le Ari Zal. La “Drouch” du “Sod” a été révélé par le Baal Chem Tov. Quant au “Sod” du “Sod”, il le sera par le Machia’h.
(d’après la tradition ‘hassidique) H.N.
Vivre avec la Paracha
Chavouot: un mariage en deux mouvements

«Ainsi parla D.ieu : Je me rappelle la gentillesse de ta jeunesse, ton amour de jeune mariée, le fait que tu M’as suivi dans le désert sur une terre désolée» (Jérémie2 :2)

Dans ce monde, le lien de D.ieu avec Son peuple fut un engagement - comme il est écrit: «Je te fiancerai à Moi pour toujours» et D.ieu ne leur donna que la lune, comme il est écrit: «cette nouvelle lune sera pour vous…» Mais aux jours de Machia’h, il y aura un mariage, comme il est écrit: «Ton mari, ton Créateur» et alors D.ieu leur donnera tout, comme il est écrit: «et les sages brilleront comme la clarté des cieux et ceux qui apportent la droiture à de nombreux hommes comme les étoiles, à tout jamais (Midrach Rabba, Chemot15 :30).

Nous habitons une réalité qui se définit par deux aspects essentiels: l’être et le non-être. Une chose est ou n’est pas, est manifeste ou cachée, en mouvement ou au repos, positive (chargée d’énergie) ou négative (non chargée d’énergie). Les phénomènes les plus complexes eux-mêmes constituent la somme de nombreux degrés de présence ou d’absence. Une fois que tout a été dit et fait, tout se réduit à la convergence d’un certain nombre de «oui» et d’un certain nombre de «non». Les «non» délimitent les paramètres d’une chose, établissant ce qui n’est pas et les «oui» sont l’essence de ce qu’elle est. (Un morceau de bois rouge d’un mètre n’est pas un morceau de bois d’un mètre vingt, n’est pas vert, bleu ni jaune, n’est pas de la pierre du fer etc. Les «non» constituent les limites du morceau de bois, de son être et de ce qui le distingue des autres objets, alors que les «oui» ont un lien avec ce qui se trouve à l’intérieur des limites : la nature et les caractéristiques de ce morceau de bois lui-même).
«D.ieu regarda dans la Torah et créa le monde». C’est pourquoi la nature binaire de la Création reflète la division de la Torah en règnes positif et négatif. «Je suis l’Eternel ton D.ieu», le fondement des commandements positifs (Mitsvot Assé) est complété par «tu n’auras pas d’autres dieux que Moi», l’essence de tous les commandements négatifs (Mitsvot Lo Taassé). «Aime ton prochain comme toi-même» est la contrepartie positive de «tu ne haïras ton frère dans ton cœur» et «rappelle-toi du Chabbat» renvoie à «ne fais aucun travail… le septième jour». La Torah commande de créer la vie et interdit de la détruire ; elle instruit de consommer du pain non levé à Pessa’h et interdit tous les aliments levés pour la durée de la fête etc.
Les instructions de la Torah concernant le mariage incluent également à la fois une composante «affirmative» et une composante «négative».. Selon la loi de la Torah, un mariage consiste en deux pas distincts. D’abord viennent les Kiddouchine («consécration», appelés également Eroussine: «engagement»): le jeune homme donne à la jeune fille un objet de valeur et en retour, la jeune fille se consacre à lui, avec l’effet qu’«elle devient interdite au reste du monde». A partir de là, si elle se lie physiquement à un autre homme, cela constitue un adultère et dissoudre les kiddouchine requiert un guet, un acte de divorce, comme pour un mariage déjà célébré. Pourtant, le but du mariage n’est pas d’interdire «au reste du monde» de vivre avec elle mais d’effectuer une union entre deux personnes. C’est là la fonction des Nissouine («mariage») effectués sous la ‘Houpah (le dais nuptial), du Yi’houd (isolement du couple après le mariage) et des Chiva Bera’hot (les sept bénédictions du mariage) qui font de l’homme et de sa femme une «seule chair». En d’autres termes, les Kiddouchine définissent les paramètres d’une relation, libérant un «espace» dans lequel elle peut exister, alors que les Nissouine remplissent cet espace de l’essence de la relation elle-même.

Assurer une permanence aux frontières
Comme nous l’avons dit, les Kiddouchine et les Nissouine constituent deux phases distinctes dans le processus du mariage. En fait, à l’origine, les Kiddouchine avaient lieu à une date antérieure, après quoi la fiancée continuait à vivre chez ses parents pendant que le couple se préparait aux Nissouine qui se tenaient généralement un an plus tard.
(Ce n’est qu’au cours des siècles derniers quand les tribulations de l’exil ont ébranlé la stabilité de la vie juive et souvent causé la dispersion soudaine des communautés qu’il a été jugé préférable de ne pas créer un lien de mariage entre un jeune homme et une jeune fille qui ne vivraient pas ensemble. C’est là qu’est née la pratique en usage de nos jours qui consiste à célébrer les Nissouine juste après les Kiddouchine, combinant les deux étapes du mariage en une cérémonie unique).
Nos Sages nous disent qu’au Mont Sinaï, lorsque D.ieu Se révéla Lui-Même à nous, et nous donna la Torah, nous nous consacrâmes à Lui comme sa jeune épousée. Néanmoins, cela ne constitua que l’étape des Kiddouchine de notre mariage. Notre lien avec Lui ne sera complet qu’à la venue du Machia’h, lorsque D.ieu et Israël seront unis par les Nissouine.
Cela ne signifie pas pour autant que notre relation avec D.ieu ne prend aujourd’hui que l’aspect négatif, comme on l’a noté ci-dessus. Nos engagements à Son encontre incluent à la fois les commandements négatifs et les commandements positifs. Mais aujourd’hui, nous ne sommes capables que d’établir les paramètres de notre relation et non d’en réaliser le contenu quintessenciel. Aujourd’hui, notre relation avec D.ieu se définit par notre engagement à Lui et notre aspiration à nous unir à Lui mais sans l’expérience tangible de l’union elle-même. Nous aspirons de nous rapprocher de Lui comme la jeune fiancée, mais ces sentiments ne sont qu’un avant-goût de ceux qui viendront après le mariage.
Pendant trente-trois siècles, nous avons créé l’«espace» pour notre mariage avec D.ieu, défendant avec zèle ses frontières. Nous sommes restés fidèles à Lui face à toutes les cultures et les «ismes» qui ont tenté de nous séduire. Nous avons affirmé notre identité en tant que Son peuple exclusivement consacré à Lui. Maintenant nous sommes prêts à l’expérience réelle du divin comme étant la réalité la plus intime de notre vie.
Le Coin de la Halacha
Comment se prépare-t-on au « Chema » avant de se coucher ?

- Il convient d’avoir terminé toutes les études quotidiennes de Torah (‘Houmach, Tanya, Rambam etc…) avant de réciter la prière du coucher.
- On ne récite pas cette prière quand on est dans son lit mais quand on est encore habillé : un homme mettra son veston et son chapeau, un homme marié mettra son «Gartel» (ceinture de prière).
- Si possible on récitera cette prière debout, vraiment juste avant de dormir.
- Celui qui reste éveillé toute la nuit récitera le premier paragraphe du Chema exactement au moment de ‘Hatsot (le milieu de la nuit).
- Celui qui craint d’être accablé par le sommeil quand arrivera le moment de réciter le Chema, lira le Chema avant d’être trop fatigué et, avant de s’endormir, récitera encore le premier paragraphe du Chema puis la bénédiction : «Hamapil».
- Deux fois par jour, on soulève les enfants pour leur faire embrasser la Mezouza : le matin quand ils se lèvent et le soir, après le Chema, avant de dormir. Quand ils grandissent, ils le font tout seuls.
- Les garçons – même petits – garderont leur Kippa pour dormir.
- On ne mange pas et on ne boit pas après le Chema ; sinon, on recommencera le premier paragraphe du Chema.
- Après la bénédiction «Hamapil», on ne s’interrompra plus et, si le sommeil tarde, on réfléchira à des passages de la Torah jusqu’à ce que vienne le sommeil.

F. L. (d’après Rav Yossef Simha Ginsburgh)
De Recit de la Semaine
Retour à son juste propriétaire

«Ce genre d’appels n’est pas de mon domaine ! s’exclama le professeur Léon Zelman, secrétaire de la communauté juive de Vienne. Autant le transmettre à mon ami Rav Yaakov Biderman, l’émissaire du Rabbi de Loubavitch. Qu’il s’en occupe !»
Effectivement cet appel sortait de l’ordinaire. A l’autre bout du fil se trouvait un homme plus qu’important. La voix chevrotante, il se présenta : «Hans D.».
- Hans D. ! s’étonna Rav Biderman. C’est l’éditeur du «Kronen», le quotidien le plus lu du pays, qui se targue d’être lu par trois millions de gens alors que le pays ne compte que sept millions d’habitants ! On chuchote qu’il est le personnage le plus important du pays. Que veut-il ?
- Monsieur le rabbin ! Je sollicite auprès de vous un rendez-vous ! C’est un problème qui pèse sur ma conscience. Quand puis-je vous voir ? Le lendemain matin, le puissant Hans D. – celui que certains surnommaient l’Empereur d’Autriche – entrait respectueusement dans le modeste bureau de Rav Biderman dans la synagogue.
- Comme vous le savez, l’un de mes éditorialistes a récemment publié des articles d’un ton frôlant l’antisémitisme. J’aurais dû le censurer mais je n’y ai pas prêté suffisamment attention et je les ai laissés passer. Maintenant je me rends compte de la gravité de ce manque de vigilance et je cherche à me faire pardonner. Que me conseillez-vous ?
Abasourdi par l’énormité de ce qu’il venait d’entendre, Rav Biderman pensa d’abord suggérer à son interlocuteur de demander l’aide d’un représentant de sa religion. Mais l’homme insistait : il désirait un conseil d’un rabbin.
«Je n’étais vraiment pas préparé à ce genre de requête» se souvient Rav Biderman. «Soudain j’ai eu une idée. Depuis quelque temps, notre mouvement était confronté à un gros problème et le puissant M. Hans D. pouvait peut-être trouver une solution.»
Quelques temps auparavant, un employé municipal avait découvert qu’une vaste partie du Parc Central Augarten avait abrité – avant la seconde Guerre Mondiale – un sanatorium pour enfants juifs. L’emplacement de cet hôpital était maintenant inclus dans cet immense jardin public. «Ne serait-il pas juste de rendre cet emplacement à sa fonction première ?» avait publiquement suggéré cet employé.
A l’époque, l’école Lauder-Chabad comptait quatre cents élèves dispersés dans plusieurs appartements et désespérait de disposer de locaux mieux adaptés. Cette parcelle de terrain située au centre de la ville, au centre du quartier juif – et de surcroît, dans un grand jardin – aurait été un cadeau du ciel : on aurait pu y construire l’école, une synagogue et un centre communautaire ! De plus, c’était là la meilleure façon de rendre hommage aux enfants malades qui avaient été assassinés durant la Shoa.
Discrètement, Rav Biderman avait pris contact avec les autorités municipales. Quand des esprits malveillants avaient eu vent de cette entreprise, la presse s’était déchaînée. Les médias de toutes les sensibilités politiques s’étaient comme par hasard unis pour dénoncer «cette atteinte au besoin d’air pur, cette folie du béton qui gâcherait le poumon de la ville etc.» Des pétitions avaient circulé, des affiches étaient apposées sur les arbres implorant «la pitié pour nos amis les arbres». De braves gens étaient incités à manifester…
Et maintenant cette requête étrange de M. Hans D. !…
Justement le matin-même, Rav Biderman avait faxé une lettre qui devait être lue au Ohel, sur le tombeau du Rabbi de Loubavitch au 226 Francis Lewis Blvd à Queens pour que la situation se débloque !
Soudain, toutes les pièces du puzzle se mettaient en place. C’était l’occasion rêvée pour M. Hans D. de se faire pardonner les éditoriaux incendiaires du «Kronen». Si son journal mettait tout son poids derrière cette noble cause, permettant ainsi à des enfants juifs bien vivants d’étudier et d’évoluer dans un cadre adapté, l’injustice commise aussi bien par ses éditoriaux que par les bourreaux nazis un demi-siècle auparavant serait un peu réparée et la communauté juive pourrait se développer.
M. Hans D. écouta intensément.
Cette même semaine, le problème fit à nouveau la une des journaux. Mais cette fois-ci sur un tout autre ton. «Les enfants et les arbres font bon ménage et méritent de pousser ensemble !» déclarait le «Kronen». «Que les enfants jouent joyeusement dans le parc !» conseillait un autre quotidien. Et des articles enthousiastes soutenaient l’idée d’installer l’école au centre du jardin. Des commentaires élogieux décrivaient l’école Loubavitch et ses excellents résultats. En même temps, le directeur de l’école et ses professeurs faisaient circuler une pétition en sa faveur.
Tous ces efforts provoquèrent un changement radical dans l’opinion publique : les stations de télévision, les radios et même les politiciens multipliaient les interviews et les prises de position en faveur du projet. Finalement le maire lui-même se déclara satisfait de cette initiative et la proposition fut acceptée à l’unanimité par la municipalité.
Et c’est ainsi qu’à l’emplacement de l’ancien sanatorium juif, des enfants en bonne santé évoluent dans un complexe scolaire de toute beauté, agrémenté d’un magnifique parc : comme une renaissance pour le judaïsme autrichien.

Malka Touger
traduite par Feiga Lubecki