Semaine 12

Editorial
L’homme, l’animal et l’amour

Aimer est un sentiment merveilleux, peut-être le meilleur de tous ceux qui font l’homme. C’est aussi un sentiment à l’évidence d’application très large et diverse. Ainsi, on pourra parler indifféremment d’aimer un plat plutôt qu’un autre, d’aimer un livre ou une musique, d’aimer les animaux ou les êtres humains. Toujours le même terme mais avec, à chaque fois, une autre connotation. Tout se passe comme s’il appartenait à chacun de faire bouger une sorte de curseur sur un axe prédéfini et de l’arrêter en face de l’effet recherché ; il s’agira toujours d’amour mais à portée bien différente selon son objet. C’est pour cette raison que le plus puissant amour doit toujours faire appel aux forces de l’esprit afin que celui-ci l’oriente, qu’il lui indique le vrai sens de ce sentiment et son bénéficiaire légitime et prioritaire. De fait, il serait grave qu’on confonde aimer un livre et aimer un être vivant. Ces deux formes légitimes de l’amour doivent, chacune, rester à sa place. Il est clair que, s’il y a un choix à faire, priorité doit être donnée aimer l’être vivant.
Pourtant, on observe que, dans certaines sociétés, des repères viennent à disparaître ou, à tout le moins, à s’estomper. Notre temps ne fait pas exception à l’idée. Aimer l’animal est, sans aucun doute, une belle et grande idée, et le protéger une excellente cause. La Torah nous a, du reste, depuis longtemps interdit de lui infliger la moindre souffrance et nous a commandé de veiller à son bien-être. N’est-il pas une créature que D.ieu a confiée à nos soins avec l’ensemble de Sa création ? Cependant, cela ne saurait lui donner priorité sur l’amour dû à tout homme. En particulier, on ne saurait confondre l’homme et l’animal, les mettant au même niveau de la création. Il ne peut être question d’humaniser l’animal en lui attribuant des qualités qu’il ne possède pas non plus que de lui assimiler l’homme en faisant de ce dernier un simple animal évolué.
C’est dire que, lorsque surgit, sur fond de fièvre électorale, un débat sur ce qu’il est convenu d’appeler l’abattage rituel, il faut peut-être rappeler quelques évidences. Nul ne sait, ni ne peut décrire, ce que ressent véritablement l’animal qu’on abat. L’élevage lui fait aujourd’hui subir des souffrances souvent bien pires et, par ailleurs, régulièrement condamnées. Inversement, la liberté de conscience, et donc de culte, est une des plus hautes valeurs de toute démocratie réelle. L’étouffer sous un flot d’humanisme animalier n’est jamais signe de bonne santé. Manger cachère est décidément, au sens strict, un fait de civilisation. Que l’on s’en souvienne.
Etincelles de Machiah
«Diffuser les sources»

Comment est-il possible de dire que, précisément dans notre génération – une génération imparfaite – il doit y avoir l’œuvre de «diffusion des sources de la ‘Hassidout à l’extérieur» ?
A l’approche de la Délivrance future, le mode précédent de service de D.ieu – sans cette «diffusion des sources à l’extérieur» – présente un manque. Aussi, c’est dans ces dernières générations, et particulièrement dans la nôtre, que notre effort doit se déployer dans ce sens avec encore plus de puissance et d’énergie.
(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –
Chabbat Parchat Toledot 5744) H.N.
Vivre avec la Paracha
Vaykra : Le rétrécissement de l’homme

Autrefois, l’homme était très grand. Les étoiles étaient de petites lumières suspendues dans le ciel, qui était bleu, semblable à un toit qui s’étendait sur quelques centaines de kilomètres au-dessus de sa tête. La terre sur laquelle il se tenait avait environ le quart de la taille qu’elle occupe aujourd’hui. Et tout au plus était-il conscient de l’existence de quelques centaines de milliers d’autres êtres humains (le mot «million» n’existait pas même dans son vocabulaire). De toute évidence, il était ce qu’il y avait de plus important dans les alentours, les pierres n’étaient que des pierres et les animaux, que des animaux. Il savait aussi qu’il se tenait au sommet de la création et que tout le reste n’existait que pour servir ses propres besoins.
Au fil des siècles, l’homme rétrécit. Son monde devint plus grand. Soudain, il y avait tous ces autres gens et toutes ces autres espèces, éclipsant sa présence. En même temps, il devenait de plus en plus petit jusqu’à n’être plus qu’un petit point dans un univers d’une immensité écrasante.
Cet homme devint-il plus humble ? Avons-nous été moins imbus de nos propres personnes ? Il est assez intéressant d’observer que le rétrécissement de l’homme eut l’effet diamétralement opposé. Des idéaux comme la dévotion ou le sacrifice devinrent des «faiblesses humaines». L’orgueil, autrefois un péché, fut le signe d’une bonne santé mentale. Les gens commencèrent à se demander si l’avidité était réellement moins bonne que la vertu jusqu’à ce que l’avidité devînt une vertu. Fin du questionnement.
Comment se fait-il que plus nous en venons à réaliser notre insignifiance plus nous devenons égoïstes ?
Mais en examinant les faits de plus près, ils ne constituent pas un paradoxe. La personne qui se considère comme le pivot de la création, comme quelque chose d’une importance suprême dans le grand plan divin, est poussée à jouer son rôle et à accomplir ce plan. Celui qui croit que tout existe pour servir sa propre existence est sûr que sa présence sert un but qui va au-delà de son propre être.
Par contre, si l’homme est insignifiant, il ne sert alors aucun but supérieur. «Je ne suis rien», peut être une autre manière de dire : «il n’existe rien d’autre que moi».
Cela ne signifie pas pour autant que celui qui se voit comme le centre de la création n’est pas susceptible d’être égoïste ou de se grandir. Cela ne veut pas non plus dire que des sentiments de futilité ne peuvent s’accompagner d’un comportement altruiste. Le point est que se sentir insignifiant ne rend pas humble. En fait, les formes les plus virulentes d’égocentrisme dérivent d’un manque de confiance en soi. De la même façon, sentir que l’on a de la valeur peut mener à l’arrogance ou à l’humilité. Tout dépend comment est considérée cette valeur.
La différence, explique le Maître de la «’Hassidout, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi, réside dans la distinction entre deux aleph. Dans le verset qui ouvre le Livre des Chroniques, le nom «Adam» est écrit dans la Torah avec un immense aleph. Dans le premier verset de notre Paracha, le mot Vaykra, qui se réfère à D.ieu appelant Moché, se termine par un aleph miniature.
Adam et Moché étaient tous deux de grands hommes et tous deux connaissaient leur grandeur. Adam était le «travail de D.ieu», façonné d’après «l’image divine». Sa perception de lui-même comme couronne de la création divine le conduisit à sa chute quand il crut comprendre que cela signifiait que rien n’était en dehors de sa capacité d’entendement.
Moché, quant à lui, était bien conscient du fait que, parmi toutes les créations divines. Il était le seul à qui D.ieu s’adressait «face à face». Il savait que c’était à lui et par son intermédiaire que D.ieu avait communiqué Sa sagesse et Sa volonté à Son monde. Mais plutôt que de susciter le aleph surdimensionné d’Adam, cette connaissance évoquait en lui le petit aleph presqu’effacé de Vaykra. Moché se sentait humble devant ses propres dons, modeste devant l’effrayante responsabilité de prouver qu’il les méritait. Comme l’atteste la Torah : «Moché était l’homme le plus humble sur la surface de la terre», non malgré sa grandeur mais à cause de sa grandeur.
L’homme d’antan était à la fois béni et maudit par l’évidence prédominante de sa grandeur. L’homme moderne est à la fois béni et maudit par l’évidence croissante de sa petitesse. Notre défi consiste à nous permettre les deux bénédictions : associer notre lucidité devant notre réelle petitesse à la conscience de la grandeur à laquelle nous pouvons parvenir. Devenir humblement grand, c’est ce qui est la plus haute forme d’humilité.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le ‘Hamets ?

Durant Pessa’h, on n’a le droit ni de posséder ni de consommer du ‘Hamets. Il faudra donc, avant le vendredi 6 avril 2012, se débarrasser de tout aliment à base de céréale fermentée comme par exemple : le pain, les céréales, les pâtes, les gâteaux, certains alcools, médicaments et produits d’hygiène. C’est pourquoi on a coutume de bien nettoyer la maison, le magasin, le bureau, la voiture etc. avant Pessa’h, afin d’éliminer toutes les miettes.
Pour éviter de posséder, même involontairement, du ‘Hamets à Pessa’h, on remplira une procuration de vente, qu’on remettra à un rabbin compétent. Celui-ci se chargera alors de vendre tout le ‘Hamets à un non-Juif. Cette procuration de vente peut être apportée au rabbin ou lui être envoyée par courrier, fax ou Internet et devra lui parvenir au plus tard la veille de Pessa’h, cette année jeudi 5 avril 2012.
Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé tout son ménage pour dresser la liste de ce qu’on envisage de vendre.
Durant tout Pessa’h, on mettra de côté dans des placards fermés à clé tout le ‘Hamets et la vaisselle ‘Hamets que l’on n’utilisera pas durant Pessa’h mais qu’on pourra «récupérer» une heure après la fête qui se termine le samedi 14 avril 2012 à 21h31 (horaires valables pour Paris et sa région).

Qu’est-ce que la Matsa Chmourah ?
En hébreu, «Chmourah» signifie «gardée» et ce terme décrit parfaitement ce qu’est cette Matsa. La farine utilisée pour sa fabrication est gardée, protégée de tout contact avec de l’eau, depuis le moment de la moisson. En effet, si elle venait à être mouillée, elle pourrait lever et devenir impropre à la consommation pendant Pessa’h.
Ces Matsot sont rondes, pétries à la main et ressemblent à celles que les enfants d’Israël consommèrent lorsqu’ils quittèrent l’Egypte. Elles sont cuites en moins de dix-huit minutes sous stricte surveillance rabbinique, afin de s’assurer qu’elles ne puissent en aucune façon augmenter de volume et devenir levain pendant la fabrication. La Matsa Chmourah doit être utilisée pendant les deux nuits du Séder, c’est-à-dire vendredi soir 6 avril et samedi soir 7 avril 2012, en particulier pour les trois Matsot posées sur le plateau. Certains ont la coutume d’en consommer pendant toute la fête.
Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son ménage de Pessa’h pour acheter les Matsot ; il suffira de les stocker à l’abri de tout ‘Hamets et de toute humidité. F. L.
De Recit de la Semaine
Ro’hele est encore en vie !

Le judaïsme hongrois avant la guerre représentait une communauté florissante. Sous l’autorité de l’empire austro-hongrois, celle-ci se développa de façon prodigieuse car elle jouissait de droits sociaux et économiques inconnus dans le reste de l’Europe.
En mai 1938, tout ceci changea dramatiquement. La Hongrie s’était rapprochée de l’Allemagne nazie et, tout naturellement, promulgua un décret sur les Juifs. Le chef du gouvernement, Kalman Karni, tenta de s’interposer et de calmer les antisémites avec ce premier décret qui limitait le droit des Juifs à exercer certains métiers et à pratiquer l’abattage rituel.
Une fois que la Hongrie rejoignit l’Allemagne dans la guerre, les soldats hongrois furent incorporés de force dans les forces nazies ; tous les droits chèrement acquis par les Juifs depuis 1895 furent brutalement annulés et ceux-ci devinrent des sous-hommes dont le sang ne valait rien. Leurs domaines agricoles furent confisqués sous prétexte qu’ils faisaient partie d’un peuple qui n’avait aucun droit sur la terre de la mère-patrie. Cependant, comparée à la situation des Juifs dans d’autres pays, celle des Juifs hongrois au début fut relativement enviable. Mais le décret prévoyant le travail forcé pour les Juifs âgés de 18 à 52 ans dans des conditions atrocement pénibles était le plus grave puisque M. Kirchenbaum fut évidemment séparé de sa femme et de leurs cinq enfants.
«42 000 Juifs trouvèrent la mort dans ces brigades de travaux forcés mais D.ieu m’a protégé. Nombre de fois, j’ai vu la mort de face mais, grâce à des miracles inouïs, je suis resté en vie. Dès que la guerre fut terminée, je suis rentré à Budapest avec l’espoir de retrouver les miens. Mais il ne restait presque plus de Juifs en Hongrie depuis que les Allemands les avaient déportés en masse en mai 1944. En quelques semaines, plus de 450 000 Juifs furent déportés à Auschwitz et y furent exterminés. Certains parvinrent à survivre et j’espérais que ma femme et mes enfants faisaient partie de ces miraculés. C’était un espoir fou puisque mes enfants étaient très jeunes et donc incapables de travailler mais je me rattachais à toutes les spéculations possibles. Comme tous les survivants, j’espérais retrouver la vie d’avant.
J’ai erré de ville en village, de monastère en orphelinat, dans les villes où avaient vécu des proches et des amis de notre famille. J’ai frappé à toutes les portes et fenêtres possibles. Je possédais encore une vieille photo de ma famille, le seul souvenir des jours heureux : combien de gens ont regardé cette vieille photo jaunie et un peu déchirée ! Je me réveillais le matin avec cette seule idée en tête et je parvenais difficilement à m’endormir le soir en pensant que ma femme et mes enfants avaient certainement besoin de mon aide.
J’ai traversé les frontières, j’avais du mal à pénétrer dans les orphelinats et je suis finalement arrivé à Paris en 1947. Alors que j’errai dans la ville, je rencontrai quelqu’un qui apparemment pouvait m’aider et qui me conseilla quelque chose que je n’avais encore pas essayé : le gendre du Rabbi de Loubavitch venait d’arriver à Paris pour y rejoindre sa mère, la Rabbanit ‘Hanna qui venait de sortir d’Union Soviétique et je devrais lui demander conseil et bénédiction. Je n’avais plus rien à perdre : un ‘Hassid du Pletzel (du quartier du Marais) me donna l’adresse de celui qui allait devenir par la suite le Rabbi de Loubavitch. Quand je frappais à sa porte, il me fit entrer, écouta attentivement les détails de mon histoire puis me conseilla d’écrire une lettre à son beau-père qu’il lui ferait parvenir personnellement.
- Rabbi ! m’écriai-je d’une voix étranglée, je n’en peux plus ! Ne m’envoyez pas encore à droite et à gauche !
Le Rabbi m’avait écouté avec beaucoup de sérieux :
- Écrivez sur un papier le nom de votre femme avec celui de sa mère et celui de vos enfants !
Je le fis immédiatement. Le Rabbi prit le papier, se leva et se tourna vers la fenêtre. Après un instant de silence qui me sembla être une éternité, il se retourna vers moi et indiqua une ligne sur le papier : «Vous retrouverez cette fille !»
- Comment vais-je la retrouver ? demandai-je en pleurs.
- Retournez en Hongrie, vous la retrouverez là-bas !
Le Rabbi avait parlé à voix basse mais avec une telle assurance que je fus immédiatement convaincu. Je sentais qu’il savait de quoi il parlait. En y réfléchissant par la suite, c’est très étrange car, même si je suis un Juif croyant, le Rabbi ne m’avait finalement donné aucune indication précise. Ce fut l’un des moments les plus durs de ma vie mais au moins, j’avais appris que ma fille Ro’hele était restée en vie et cela me donna des forces jusque-là inconnues.
J’ai remercié le Rabbi du plus profond de mon cœur et je m’apprêtais à sortir mais le Rabbi me demanda alors de n’en parler à personne, pas avant qu’il n’ait atteint cent vingt ans.
Le jour même, je repartis à Budapest. Le lendemain, je vis dans un journal une annonce à propos d’un orphelinat situé dans un des faubourgs de la ville : de nombreux enfants qui s’y trouvaient n’avaient pas encore été réclamés par leurs parents. Je m’y rendis immédiatement ; à peine étais-je entré dans la cour que j’entendis : «Papa ! Papa !» et, avant que j’ai pu réaliser le miracle qui m’arrivait, Ro’hele se serrait contre moi ! »

Ari Samit
Kfar Chabad n°1452
traduit par Feiga Lubecki