Semaine 17

Editorial
Du temps et des hommes

Le rapport des hommes au temps a toujours été comme un révélateur de leur vision du monde, de leur manière de le penser et de le vivre. Même si le temps constitue sans doute une réalité objective, déposant son empreinte irrémédiable sur les paysages ou le visage des hommes, sa perception par les sociétés humaines a largement varié au cours des âges. C’est ainsi que le temps de l’antiquité appartenait à un quasi domaine du sacré. Mesuré avec attention, il s’écoulait avec une noble lenteur qui disait l’immuabilité des choses, l’éternité des systèmes, des civilisations et de leurs maîtres. Bien plus tard, vint le temps mécanique, celui que définissait l’inexorable – et presque parfait – mouvement des engrenages des montres bourgeoises. Ce fut comme si le temps s’était tout à coup accéléré, comme s’il avait pris un caractère plus impitoyable. C’est que l’industrieuse activité des hommes avait besoin d’un rythme plus cadencé et c’est à lui qu’il fallait soumettre chacun. Lorsque sonna l’heure du temps électronique, toujours fiable et constamment vérifié, commença le monde de l’immédiateté. Il fallut – il faut – que tout homme soit joignable à l’instant, que toute tâche s’annonce comme très urgente afin que tout change constamment, que rien ne soit assuré pour demain dans une humanité en recherche continue de repères toujours mouvants, que, d’une certaine manière, l’homme cesse d’être capable d’une pensée libre.
Il y a manifestement, derrière ces manières très différentes de voir le temps, des façons induites de vivre étonnamment dissemblables. Pourtant ces perceptions si éloignées l’une de l’autre présentent un point commun : leur effet est de soumettre l’homme. Que cette soumission soit réalisée au bénéfice du monarque, de la recherche du profit ou d’une étrange oppression, la mesure du temps parvient à un tel résultat. Mais le temps pourrait ne pas être un tyran. Pour cela, il suffit à l’homme de s’en rendre maître, de ne pas le laisser imposer sa loi. Et si, au lieu d’en être les jouets, on se mettait à le compter... « Et vous compterez pour vous... sept semaines entières » commande le texte de la Torah. Sept semaines à compter entre la fête de Pessa’h et celle de Chavouot, jour après jour. Cela s’appelle le compte de l’Omer et cela change tout. Disant la bénédiction rituelle sur ce compte, chacun sanctifie le temps. Celui-ci cesse alors d’être la mesure d’une puissance aveugle et écrasante pour devenir, au côté de l’espace, une dimension du monde confiée à l’homme. Servir D.ieu dans le temps apparaît pour ce qu’il est : une libération. Jusqu’au temps d’éternité : la venue de Machia’h.
Etincelles de Machiah
« En son temps, Je le hâterai »
Le Talmud (Sanhédrin 98a) enseigne : «Il est écrit (Isaïe 60 : 22) ‘le Machia’h viendra en son temps, Je le hâterai’». Ces deux termes semblent contradictoires. Le Tséma’h Tsédèk, le troisième Rabbi de Loubavitch, y apporte une explication : ils font référence à deux modes de Délivrance possibles :
- «Je le hâterai» : cela décrit une Délivrance dans laquelle les hommes quitteront l’exil brutalement, comme en un saut. Elle conduira ainsi immédiatement aux degrés les plus élevés ;
- «En son temps» : c’est une Délivrance dans laquelle cette élévation progressera graduellement et, par conséquent, plus lentement.
(d’après Or Hatorah - Béréchit, p.86) H.N.
Vivre avec la Paracha
Tazrya Metsora

Dans le livre de Vayikra, la Torah parle de la Tsaraat, maladie qui se déclarait aux temps bibliques et que l’on traduit (souvent inadéquatement) par «lèpre». Cette maladie n’affligeait pas seulement les êtres humains mais également les objets inanimés, y compris les murs des maisons.

Une honnêteté personnelle rigoureuse
«Et le prêtre observera la région affectée» (Vayikra :13,3)
Si l’on pensait avoir contracté cette maladie, il fallait subir un examen effectué par un Cohen qui se prononçait en déclarant le cas pur ou impur. Quelle que fut la décision du Cohen, elle s’imposait.
L’interprétation traditionnelle de cette loi a trait à un cas où la personne concernée est elle-même un Cohen. L’on pose la question suivante : peut-il lui-même analyser sa propre condition ? La réponse sans ambiguïté est qu’il ne le peut pas. Il doit être examiné par quelqu’un d’autre pour savoir si son affection est un symptôme de la maladie suspectée ou celui d’une autre maladie.
Dans les termes de notre développement spirituel, nous pouvons appliquer la même loi à tous types de maladies spirituelles. Nous ne sommes pas ceux qui posons le diagnostic final sur nos propres fautes ou manquements. Notre subjectivité ne nous permet pas d’émettre le jugement adéquat et jusqu’à ce que nous nous laissions examiner par un «prêtre», un guide spirituel ou un mentor de confiance, nous n’avons aucun moyen fiable de connaître la véritable nature du problème. Bien plus encore, en règle générale, l’orgueil et l’amour de soi rendent impossible un jugement sur soi objectif. C’est également pour cette raison qu’il est impératif que nous montrions les signes de notre maladie spirituelle à quelqu’un d’autre.
Notre voyage vers la guérison demande une honnêteté personnelle rigoureuse. Nous devons nous forcer à un face-à-face avec nous-mêmes tel que nous n’en avons jamais fait. Toutefois, notre introspection n’est pas suffisante pour nous préserver. Nous devons également admettre devant une personne extérieure la nature exacte de nos erreurs.
Parler à quelqu’un d’autre, généralement à notre guide spirituel, n’est pas seulement le moyen de nous soulager après avoir admis nos erreurs. C’est en fait la manière de réaliser concrètement tout un processus. Si nous devions ne jamais nous présenter à l’examen d’autrui, notre mise au point personnelle ne serait pas suffisante pour nous permettre d’avancer et guérir les défauts de notre caractère. En parler, nous ouvrir, montrer notre âme nue nous permet réellement de vérifier nos découvertes et avoir une image entièrement vraie de ce que nous sommes. Nous risquons de déclarer pur ce qui ne l’est pas et, ce qui est aussi dommageable, impur ce qui est pur.
Enfin, il est tout à fait possible qu’en parlant à notre mentor, ce dernier nous aide à découvrir certaines vérités qui nous ont échappé lors de notre examen personnel.
Comme dans les jours passés, où la déclaration du prêtre était suivie de moyens de traitement et de guérison, nous sommes également immédiatement engagés sur le chemin de l’amélioration de nos défauts et de notre personne.

Des trésors cachés
«Quand tu pénétreras en terre de Canaan que Je te donne en possession et que J’infligerai un cas de Tsaraat dans une maison…» (Vayikra 14 :34)
Comme nous l’avons dit précédemment, la maladie de la Tsaraat pouvait également toucher les murs de la maison. Lorsque ce cas se présentait, toute la partie atteinte devait être enlevée, ce qui impliquait de grosses dépenses pour le propriétaire.
Cette maladie étrange n’était pas une maladie physique ou concrète mais plutôt une manifestation physique ou concrète d’une maladie spirituelle. Quand une personne était spirituellement malade, D.ieu l’alertait de son état en touchant d’abord ses possessions puis son corps, pour qu’elle soit incitée à opérer un changement dans son comportement et faire ainsi Techouva (un retour vers D.ieu).
Cependant, très souvent, un homme qui n’avait rien fait de mal découvrait que les murs de sa maison étaient infectés. Pourquoi les innocents souffraient-ils également ?
La réponse à cette question est que de nombreux Juifs vivaient dans des maisons qui avaient été construites par les Cananéens, occupants précédents de la terre. Nombreux parmi eux étaient ceux qui avaient caché leurs trésors dans les murs de leurs maisons. Si bien que lorsqu’une maison d’un Hébreu se trouvait envahie par la tsaraat, il lui fallait démolir les murs et il trouvait le trésor caché.
Ce qui donc avait paru être un mauvais coup du sort ou une punition injustifiée d’En Haut s’avérait être une grande bénédiction.
Quand nous jetons un regard sur tous les soucis qui se sont présentés dans notre vie, il n’est parfois pas difficile de prendre son parti des problèmes qui se sont solutionnés. Nous réalisons que D.ieu nous a envoyé des signes visibles pour nous forcer à prendre conscience de nos véritables manquements d’alors. Mais qu’en est-il lorsque la vie nous frappe en pleine face, même lorsque nous sommes innocents, même lorsque nous faisons ce qui se doit ? Quand cela arrive, nous nous demandons ce que nous avons fait pour mériter de tels problèmes.
Ce dont nous prenons conscience est que les trésors cachés de la vie ne sont parfois découverts qu’à travers des difficultés et les pertes. Ces difficultés que nous jugeons si vite comme un signe que D.ieu nous donne du «fil à retordre» peuvent être, en fait, Sa manière de nous envoyer des cadeaux qui vont au-delà de nos rêves. Nous pouvons maudire nos soucis et ignorer totalement le trésor qui a été prévu pour nous, bien plus abondant que le montant de notre perte. Bien sûr, si seulement nous savions ce qui se cache derrière le mur, nous serions heureux de le détruire. Mais nous ne le savons pas. Et c’est là qu’intervient la foi, pour se sentir serein, en sécurité, reconnaissant et heureux même quand nous ignorons ce qui arrive. Quand nous craignons les difficultés et les changements, non seulement manquons-nous de foi mais inconsciemment, nous renonçons aux grandes bénédictions qui nous attendent juste de l’autre côté de nos ennuis.
Le Coin de la Halacha
Qui est obligé d’étudier la Torah ?

Chaque Juif doit étudier la Torah, qu’il soit riche ou pauvre, en bonne santé ou non, jeune ou vieux, marié et occupé par sa vie de famille ou célibataire : chacun doit se fixer un temps pour l’étude de la Torah, le jour comme la nuit.
Les femmes et jeunes filles ont l’obligation d’étudier les lois qu’elles doivent appliquer, c’est-à-dire les Mitsvot positives qui ne sont pas limitées par le temps ainsi que toutes les Mitsvot négatives : elles étudieront principalement toutes les lois relatives à la Cacherout, le respect du Chabbat et de la pureté familiale. Celle qui étudie la Torah – en dehors de ce qu’elle est obligée et en plus de ce qu’elle est obligée – et celle qui permet à son mari et son fils de l’étudier sont dignes de louange. De nos jours – puisque les femmes étudient de toute manière de nombreuses sciences «profanes» – elles ont l’obligation d’étudier également les raisons des lois de la Torah et la ‘Hassidout qui leur donnera l’enthousiasme nécessaire pour s’imprégner de la sainteté de la vie juive et renforcer leur croyance et leur confiance en D.ieu.
Il est recommandé :
- d’étudier à voix haute afin d’améliorer sa mémoire.
- de réviser souvent afin de pouvoir retrouver facilement le point étudié
- d’étudier dans un endroit saint (synagogue, école juive…)
- d’étudier avec un ami de niveau similaire
- d’étudier la Michna en souvenir d’un disparu
- de fermer le livre une fois qu’on a fini d’étudier.

F. L. (d’après Hamitsvaïm Kehala’ha)
De Recit de la Semaine
La bonne direction

Ma mère qui avait toujours été très pratiquante se trouvait dans une maison de retraite depuis sept ans et demie. Souffrant de la maladie d’Alzheimer, elle ne se souvenait plus de mon nom ni de ceux des autres membres de sa famille – pratiquement rien sauf une chose : l’hébreu. Elle pouvait suivre toutes les prières avec l’officiant et pouvait même corriger les fautes de grammaire du jeune homme chargé de la stimuler et qui lui donnait chaque semaine un cours sur la Paracha. Le judaïsme était toute sa vie.
Un vendredi après-midi, juste une heure avant Chabbat, je reçus un coup de fil du directeur non-juif de la maison de retraite, un homme très gentil et dévoué : «Madame, il semblerait que le fonds de retraite de votre maman va bientôt arrêter de payer pour ses repas cachères. Y voyez-vous une objection ?»
- Oh non ! Bien sûr que je ne suis pas d’accord !
Mais que pouvais-je faire juste une heure avant Chabbat ? Je me sentis bouleversée, j’aurais tellement voulu aider Maman sur ce point si important. Mais je ne sais pas pourquoi, avant de raccrocher, je demandais au directeur : «Savez-vous ce qu’est une Mezouza ?»
- Oui, bien sûr !
- Puisque nous parlons de cachère, savez-vous qu’une Mezouza doit aussi être cachère et être vérifiée de temps en temps par un scribe qualifié ? Je me demande depuis quand les Mezouzot de la maison de retraite n’ont pas été vérifiées…
Bien sûr, il l’ignorait et nous avons soupiré ensemble : il faudrait beaucoup de temps pour découvrir le responsable administratif chargé de cela. Je le remerciais néanmoins et décidai que, même si la question de la nourriture cachère promettait d’entraîner un long combat bureaucratique, je pouvais peut-être me charger de la Mezouza de Maman.
Après Chabbat, je pris conseil auprès d’un rabbin : «Selon la Hala’ha (la loi juive), la vérification de la Mezouza de la chambre de votre mère relève de sa responsabilité et non de celle de la maison de retraite. Comme elle est incapable de le faire, c’est à vous d’agir !». J’étais fixée, je pouvais au moins m’occuper d’un problème de cacherout.
Cette semaine-là, mon frère et moi-même avons entamé les formalités pour résoudre le problème de la nourriture cachère. Mais nous avons rencontré des obstacles inattendus qui promettaient des difficultés immenses. Mon frère décida de prendre conseil auprès d’un professionnel de la législation. Une enquête fut ouverte sur les pratiques de la maison de retraite et les résultats devenaient de plus en plus… douteux et suspects. Cependant, sur «le front» de la Mezouza, un simple coup de fil le mardi auprès du Beth Habad local suffit : je parlai avec la jeune Rabbanit qui en fit part à son mari. Le lendemain, Maman reçut sa visite et il examina la Mezouza : «Je ne suis pas un scribe qualifié, me raconta-t-il par la suite et je ne l’ai examinée que superficiellement mais une chose est sûre : la Mezouza de votre Maman était fixée à l’envers. De plus, elle n’était pas protégée extérieurement par un étui». Il affirma qu’il retournerait dès que possible à la maison de retraite pour remettre la Mezouza – une fois qu’elle serait vérifiée par un scribe compétent – mais à l’endroit. Je répondis par e-mail qu’il devait tout simplement remplacer le parchemin à nos frais bien entendu et l’envelopper comme il convient.
A peine le jeune rabbin avait-il replacé une Mezouza cachère – et à l’endroit – que je reçus des nouvelles du directeur : le problème de la nourriture cachère pour Maman avait été résolu ! Apparemment, le directeur de la caisse de retraite avait essayé de faire des économies qui n’étaient pas légales et on avait tout à fait le droit d’exiger de la nourriture cachère. De plus, de nouvelles Mezouzot étaient mystérieusement apparues à toutes les portes des chambres de la maison de retraite. Nul ne fut capable de me préciser d’où elles venaient.
Et comme si ce n’était pas suffisant, un gros chèque que mon mari attendait depuis plus de six mois et dont nous avions désespérément besoin arriva par courrier. Morde’haï gravit joyeusement les escaliers quatre à quatre en criant avec des larmes de soulagement : «Nos problèmes sont résolus !».
Au fond de moi, je n’étais même pas surprise...

Sara Schmerler – L’chaim n°1217
traduite par Feiga Lubecki