La brèche
Inexorable. C’est ainsi que l’avancée des jours apparaît à nos yeux résignés. Et c’est aussi pourquoi cette semaine est celle du 17 Tamouz, le jeûne qui commémore notamment le jour où la première brèche fut faite dans la muraille de Jérusalem par l’ennemi venu de Babylone. Jour terrible, étape dramatique d’une chute dont toute l’ampleur apparaît trois semaines plus tard, avec le 9 Av, date de la destruction du Temple. Il est vrai que le peuple juif a une longue mémoire. Il est vrai aussi que, sans passé, l’avenir reste bien souvent dépourvu de sens. Pourtant, de tels événements ont-ils encore vraiment leur place dans notre vie ? Celui-ci est si ancien qu’il nous ramène au temps de Nabuchodonosor, à cette antiquité dont ne subsistent que quelques reliques conservées par les musées, faut-il qu’on lui accorde encore une si grande place ? Ou peut-être, justement, cette brèche ouverte dans la muraille de la Ville nous livre-t-elle aussi un message ?
A l’époque où cette histoire arriva, aucune cité ne pouvait vivre durablement sans muraille. Sans cette protection, elle se trouvait à la portée de tous ses ennemis et elle ne tardait pas à disparaître sous leurs coups. A l’abri, elle pouvait, au contraire, se développer. C’est pourquoi, une brèche faite par l’ennemi était clairement une tragédie. La muraille n’était cependant pas une séparation radicale d’avec le monde extérieur. Des portes y étaient ouvertes afin de permettre l’entrée et la sortie, l’échange. Mais ces portes jouaient également un rôle éminent de régulation. Elles étaient closes ou ouvertes selon les besoins et selon la volonté de ses habitants qui en gardaient ainsi la maîtrise. Du reste, dans l’histoire des hommes, les monarques absolus, ceux qui ne supportaient pas que leur pouvoir soit le moins du monde contesté, prirent toujours grand soin d’araser les murailles des villes car l’indépendance que cela représentait ne pouvait leur convenir.
Matériellement, nous sommes évidemment loin de telles préoccupations et, lorsqu’elles subsistent autour des villes anciennes, les murailles ne sont plus que vestiges historiques. Mais l’évolution du monde aussi a tendance à effacer les particularités des cultures et des modes de vie, à briser la diversité pour y substituer une sorte d’uniformité mondialisée, en affirmant qu’il s’agit là d’un progrès : n’abat-on pas des « murailles » ? Et pourtant, conserver une part de soi-même, fidèle, au fond de son âme, hors de toute atteinte, en avoir conscience, n’est-ce pas la clé de tout échange ? Car, si tous sont identiques, que pourrait-on voir en l’autre sinon une reproduction de soi ? La muraille nous susurre qu’il est beau de rester ce que l’on est et qu’il est nécessaire de protéger cela. La brèche nous crie que l’unité et la conscience peuvent être remises en cause par une pression indésirée. Sachons en être les défenseurs.
Mesure pour mesure
Le Tanya explique, dans son chapitre 36, que toutes les révélations dont nous jouirons lorsque Machia’h sera venu, dépendent de l’œuvre que nous accomplissons pendant le temps de l’exil. Si ce principe général est connu, son application concrète demande à être précisée.
En effet, c’est l’ensemble des actions que nous menons dans le domaine de la Torah et de ses commandements qui nous conduit à la Délivrance. Cependant, le concept de “mesure pour mesure” est très présent au cœur du judaïsme. Il implique que chaque acte entraîne une conséquence spécifique. Dans cette optique, quelle est l’œuvre qui peut être à l’origine de la résurrection des morts ?
Cette interrogation appelle deux réponses :
- d’une part, la pratique des commandements de D.ieu a pour but général de transformer le monde matériel, dont le caractère éphémère renvoie à l’idée de “mort”, en un lieu de résidence pour la Divinité qui représente l’éternité,
- d’autre part, l’œuvre spirituelle accomplie par l’homme est celle d’élévation des parcelles de spiritualité “exilées” dans la matière. La libération qui leur est ainsi apportée équivaut à une authentique résurrection.
(d’après Likouteï Si’hot vol. III, p. 1011)
Matot: La véritable force
Une approche pacifique
Les traits de caractère exprimant la force et la fermeté suscitent des réactions mitigées. Il est vrai que tout le monde admire le courage personnel et respecte celui qui a la fermeté nécessaire pour adhérer à ses convictions malgré tous les défis qu’il rencontre. Cependant, celui qui possède un caractère fort peut aussi passer pour rigide et insensible, accroché à ses propres certitudes, sans considération pour les autres. Donnant un conseil pour éviter ce travers, nos Sages commentent : «L’homme doit toujours être flexible comme un roseau et non rigide comme un cèdre» (Taanit, 20a).
Bien que l’image de force personnelle que projette la société moderne brouille parfois les distinctions entre ces deux types de fermeté, nous ne devrions pas être pris au dépourvu. La dureté de l’insensibilité correspond à une inaptitude à répondre aux signaux de la vie. A l’opposé, une force intérieure positive permet d’y répondre activement, non sous l’influence des pressions de l’environnement mais par la motivation de nos propres convictions.
La flexibilité face à la fermeté sans faille
Ces concepts se retrouvent dans la Paracha de cette semaine : Matot.
Au singulier, maté signifie littéralement «bâton». Ce terme est également utilisé pour désigner les tribus du Peuple Juif parce que le dirigeant de chaque tribu se distinguait par son bâton de chef. C’est d’ailleurs pour la même raison que le mot chévèt, dont le sens est «tige» sert également pour évoquer la «tribu».
Quelle est la différence entre ces deux termes ? Une tige est souple et flexible alors qu’un bâton est dur et rigide. Une tige est récemment coupée ou toujours attachée à l’arbre sur lequel elle pousse et peut donc plier. Par contre, un bâton a été détaché depuis longtemps de son arbre et a donc séché, s’est durci et raffermi.
Les deux termes servent d’analogies pour différents niveaux d’expression du potentiel de notre âme. Le terme «tige» se réfère à l’âme comme elle existe dans les royaumes spirituels où son attachement à la Divinité est tangible. Elle partage un lien actif avec la nourriture vitale et spirituelle qu’elle reçoit. Un «bâton», quant à lui, évoque l’âme dans son existence dans notre monde matériel, habillée d’un corps physique. Au niveau conscient, elle a été sevrée de sa source spirituelle et son lien avec la Divinité n’est plus ressenti.
Dans cette perspective, peuvent exister les deux types (positif et négatif) de forces et de dureté. Une tendance à l’insensibilité spirituelle, un manque de réponse à la présence de la Divinité investie dans la création peuvent apparaître. Mais c’est également dans notre monde matériel que se révèlent notre force et notre résolution. Car la volonté d’observer la Torah et ses mitsvot, malgré les diificultés que présente notre environnement, jaillit de la conscience intérieure de la vérité de notre mission.
Cela va encore plus loin. Quand un individu prend un tel engagement, il lui est attribué plus de force encore que celle qu’il possède naturellement : l’essence de la force de son âme s’exprime par ses efforts. Cela permet de révéler une source spirituelle plus profonde encore, car l’âme est «une réelle partie de D.ieu» et revêtue de son corps, elle peut persévérer dans son service divin.
Cela reflète l’aspect unique de notre monde, «le jardin» qui fait pousser «les arbres» d’où sont coupés ces «bâtons». Bien que l’environnement matériel ait pour effet que l’âme se sente séparée de sa source, ce défi suscite l’expression de plus grandes forces spirituelles. Cela donne la force d’un roi qui peut dominer son environnement et le modeler selon les désirs de la Torah.
Exprimer la force
Le concept de force se retrouve également dans la lecture de la Paracha qui commence par les lois concernant les vœux. Nous y observons la puissance de chaque Juif. Chaque membre de notre peuple, même un jeune n’ayant pas encore atteint l’âge de la Bar Mitsvah, peut imprégner tous les composants de notre monde matériel de sainteté, leur donnant la sainteté des sacrifices offerts dans le Beth Hamikdach.
Et ces lois ne s’appliquent pas seulement à l’époque du Beth Hamikdach mais également dans notre exil présent.
La lecture de la Torah se poursuit par la description de la guerre contre Midian qui, comme l’explique la pensée ‘hassidique, sert de métaphore à nos efforts en vue d’annihiler tout ce qui mène aux querelles et à la discorde. Et disséminant un amour illimité, nous avons la force d’annuler ces maux, tout comme la guerre contre Midian aboutit en l’extinction de cette nation.
La force dans l’exil, la force ultime dans la Rédemption
La Paracha Matot est toujours lue durant beïn hamétsarim, les trois semaines qui séparent le jeûne du 17 Tamouz de celui du 9 Av, associé à la destruction de Jérusalem et du Temple. Cela évoque les aspects négatifs de la dureté du «bâton», le lien «relâché» avec notre source de vie.
Mais par ailleurs, cette période est également reliée aux espoirs de la Rédemption de notre peuple. En fait, le 9 Av, Ticha BeAv, l’anniversaire de la destruction du Temple, est décrit comme «l’anniversaire du Machia’h», un jour qui génère un nouvel élan dans la survenue de la Rédemption. Il s’agit donc ici de la relation avec la fermeté positive du bâton, parce que, tout d’abord, à l’Ere de Machia’h, notre peuple récoltera les fruits de sa résolution déterminée à accomplir la volonté de D.ieu envers et contre tous les défis de l’exil, et d’autre part, à l’Ere de Machia’h, l’essence de D.ieu, l’ultime source de nos forces, sera manifeste dans notre monde, Sa résidence.
Comment se comporter quand la tension et les menaces de guerre se multiplient ?
Dans un tel cas, le Rabbi de Loubavitch avait demandé : Dans une telle période de tension, il est nécessaire d’augmenter la joie, ainsi qu’il est écrit (Tehilim – Psaumes 100 : 2) : «Servez Dieu dans la joie».
Dans cette période troublée, il convient de renforcer la confiance en D.ieu et l’espoir dans la venue très prochaine du Machia’h.
Par la joie, on renforce la confiance en D.ieu car «Il ne dort ni ne sommeille le Gardien d’Israël» (Tehilim - Psaumes 100 : 4). De plus, on augmentera l’étude à propos de Machia’h, si possible dans des cours publics ; ainsi on se conformera à l’injonction du Rambam (Maïmonide) : «Même s’il tarde, je l’attendrai chaque jour». De plus, la confiance absolue que D.ieu enverra le Machia’h très bientôt augmentera la joie et la sérénité.
Certaines Mitsvot sont considérées comme garantissant une protection et une sécurité accrues : ce sont en particulier :
- La Mezouza, parchemin fixé à toutes les portes, sur lequel sont manuscrits à l’encre spéciale les deux premiers paragraphes du Chema Israël et qui protège les habitants de la maison quand ils se trouvent à l’intérieur mais aussi à l’extérieur ;
- Les Téfiline dont il est dit : «Et tous les peuples verront que le Nom de D.ieu est appelé sur toi et te craindront».
- La Tsedaka (charité) qui «protège de la mort» ;
- Les bougies de Chabbat qui apportent la paix et la sécurité dans le monde.
F.L. (d’après Rav Yossef Ginsburgh - Pinat Hahala’ha)
Coupe du monde ou coupe de Kiddouch ?
D’innombrables visiteurs se sont pressés dans le Queens, la semaine du 3 Tamouz (1er juillet) pour prendre part aux célébrations marquant le 20ème Yortsaït (anniversaire du départ de ce monde) du Rabbi de Loubavitch. Parmi eux se trouvait un grand groupe de Juifs du Brésil. Oui, du Brésil, malgré la Coupe du Monde qui passionne la planète entière et ce pays en particulier. Plus de 65 personnes – hommes, femmes et enfants se rendirent à New York, accompagnés par Rav Yossef Schildkraut de Sao Paulo.
Ils prirent part à un superbe barbecue au Beth ‘Habad de Hamptons et c’est là qu’Ivo raconta une histoire très personnelle : lui-même était venu pour la première fois en voyage organisé le 3 Tamouz 5770 (2000). A l’époque, ils n’étaient que 15 participants – nombre assez important pour une première fois – et, par la suite, ce voyage devint une coutume annuelle pour les Juifs originaires du Brésil.
Durant ce voyage, Ivo pria de tout son cœur : en effet, il n’avait pas encore d’enfant et il savait que, près de la tombe du Rabbi, il pouvait tout demander.
Quelques mois plus tard, sa femme était enceinte.
Le 3 Tamouz suivant, alors que tout un groupe de Juifs brésiliens s’était envolé pour New York, Ivo était resté à la maison car sa femme devait accoucher : effectivement, elle donna naissance à un garçon… le 3 Tamouz. Lors de la Brit Mila qui fut célébrée dans une grande salle (car toute la communauté s’était jointe à la joie du couple), Ivo nomma son fils Binyamin Mena’hem Mendel – ces deux derniers prénoms étant ceux du Rabbi. Ivo tenait ainsi à marquer éternellement sa reconnaissance pour la bénédiction du Rabbi.
Un an plus tard, le 3 Tamouz 2002, Ivo retourna à New York pour remercier le Rabbi. Tout en récitant prières et Tehilim (Psaumes), Ivo promit qu’il amènerait son fils au Ohel pour y célébrer sa Bar Mitsva.
Effectivement, cette année, Ivo amena son fils au Ohel avec le groupe venu tout spécialement du Brésil depuis le jeudi précédant la date de l’anniversaire de Binyamin Mena’hem Mendel. Le programme était chargé mais le Chabbat était supposé être passé au Ohel, avec l’atmosphère si spéciale qu’on ressent pleinement dans cet endroit : étude, prière, chants, repas, réunion ‘hassidique…
Chabbat matin, le monde continuait de tourner et Ivo avait prévu autre chose que les prières au Ohel : il se passionnait pour le prochain match de la Coupe de Monde qui verrait le Brésil affronter le Chili. Ivo proposa donc, sur le ton de l’évidence, à son fils de se rendre à Manhattan pour visionner le match sur grand écran.
A sa grande surprise, Mena’hem Mendel refusa !
«Papa ! protesta-t-il. Ce n’est pas pour le football que nous sommes venus ici ! Nous sommes venus ici pour le Rabbi et pour ma Bar Mitsva ! Aujourd’hui c’est Chabbat et j’ai appris que nous n’avons pas le droit de prendre le métro ou la voiture, en plus pour nous rendre dans un bar et assister à un match de foot ! Cela, nous pouvons le faire tous les jours au Brésil ! Je veux rester ici et passer Chabbat comme il se doit, avec tout le groupe, comme il convient à la veille de ma Bar Mitsva !».
Binyamin Mena’hem Mendel avait préféré la coupe du Kiddouch à la Coupe du Monde ! Et, bien sûr, Ivo accepta sa décision !
Oui, une Bar Mitsva peut durer un jour ou une vie ! Cet enfant né de la bénédiction du Rabbi personnifie le dicton biblique : «Il ramènera le cœur des pères grâce aux enfants !».
Collive
Traduit par Feiga Lubecki