Oui ou non ?
Lors du Don de la Torah au Mont Sinaï deux visions sont rapportées par nos Sages sur la manière dont le Peuple juif répondit aux commandements divins.
Rabbi Yichmaël affirme qu’à chaque commandement positif, le Peuple juif répondait « oui », tandis qu’aux interdictions (comme « Tu ne tueras point »), ils répondaient « non ».
Rabbi Akiva, en revanche, enseigne que leur réponse fut toujours un « oui » ferme et inconditionnel, quel que soit le type de commandement.
A première vue, cette divergence semble ne concerner que la forme. Les deux opinions reflètent un engagement total envers la Volonté de D.ieu.
Mais comme tout enseignement issu de la Torah recèle une leçon essentielle, cette différence mérite un examen plus approfondi.
Les positions respectives de Rabbi Akiva et de Rabbi Yichmaël illustrent deux approches fondamentales du service divin.
L’Approche de Rabbi Akiva : l’absolu du « oui »
Pour Rabbi Akiva, peu importe que D.ieu ordonne ou interdise : l’essentiel réside dans l’origine du commandement. L’homme doit s’effacer devant la Volonté suprême et répondre toujours « oui », avec la même intensité et sans distinction. L’essence du service divin réside dans la soumission totale, l’acceptation du « Joug Divin », sans que les émotions, la logique ou la subjectivité ne viennent influencer l’engagement.
Toutes les Mitsvot qu’elles soient des plus agréables ou difficiles, rationnelles ou incompréhensibles, doivent être observées avec le même sens du devoir. La réponse constante du « oui » incarne un engagement inconditionnel, détaché de toute préférence personnelle.
L’approche de Rabbi Yichmaël :
Travailler avec son Ego
Rabbi Yichmaël insiste, quant à lui, sur l’importance de l’implication de toutes les dimensions humaines dans le service divin. Dans le Judaïsme, insiste Rabbi Yichmaël, il ne suffit pas d’abandonner son ego et d’accepter sans réserve la Volonté divine.
Le Juif doit également permettre aux Mitsvot qu’il accomplit d’atteindre son intellect, ses émotions et ses traits individuels. L’être humain ne se réduit pas à un corps et une âme ; il possède des émotions, des idées et des désirs. La Torah doit ainsi s’adresser à ces caractéristiques humaines singulières.
Certaines Mitsvot visent à éveiller notre amour pour D.ieu, tandis que d’autres sont conçues pour susciter notre crainte révérencielle envers Lui. Il n’existe aucune expression humaine - intellectuelle ou émotionnelle - qui ne soit en quelque sorte touchée et raffinée par telle ou telle Mitsva.
Rabbi Yichmaël affirme donc que les Juifs devaient répondre différemment selon les catégories de Mitsvot. Une Mitsva prescrivant une action positive - comme le souvenir du Chabbat - exigeait une réponse affirmative exprimant : « Non seulement je suis prêt à me soumettre à D.ieu, mais j’autorise également la Mitsva du Chabbat à résonner dans mon esprit et mon cœur. Je laisserai même mes sentiments de joie et de plaisir s’orienter vers ce jour sacré. »
Inversement, la réaction négative face au meurtre et à d'autres interdictions constitue notre manière d'affirmer non seulement que nous ne les commettrons pas, mais également qu'elles nous apparaîtront comme fondamentalement répréhensibles. Chaque fibre de notre être s'élève avec force en proclamant : « Non ! Nous ne tolérerons jamais quoi que ce soit qui contrevienne aux commandements divins. » Le profond dégoût éprouvé pour un acte abominable donné ne saurait être équivalent à celui ressenti pour un autre, conformément à l'approche préconisée par Rabbi Yichmaël.
La Synthèse
L’objectif ultime consiste dans la conciliation des deux perspectives, à savoir l’abandon total de notre volonté face à celle de D.ieu et la capacité à permettre à chaque commandement de résonner profondément dans notre âme.
La véritable synthèse de traits opposés constitue une entreprise complexe, bien plus aisée à énoncer qu’à réaliser. De la même manière qu’il est inconcevable d’imaginer la coexistence du feu et de l’eau, il paraît également impensable d’être animé simultanément par un dévouement absolu envers une cause, au point d’effacer entièrement notre ego - approche incarnée par Rabbi Akiva - tout en savourant pleinement les subtilités et les joies inhérentes à chaque Mitsva, comme le préconise Rabbi Yichmaël.
Pour parvenir à cette synthèse exceptionnelle, il est nécessaire d’exprimer l’essence même de notre âme, intimement liée à l’Essence divine. Du point de vue divin, toutes les oppositions peuvent être harmonisées sans heurt.
Cependant, cette essence spirituelle ne se manifeste pas aisément ; en raison des conditions d’exil, elle demeure confinée et incapable d’imposer sa prééminence sur l’individu. Lors de moments particuliers d’inspiration - tels que Yom Kippour ou la fête de Chavouot - nous pouvons percevoir la manifestation tangible de notre identité divine fondamentale.
C’est précisément cette synthèse qui sera réalisée de manière permanente lors de l’ère imminente de la Rédemption. Les éléments obstructifs empêchant le plein déploiement de notre nature divine essentielle seront alors éliminés. Nous expérimenterons pleinement la symphonie divine résultant des bénéfices conjoints et complémentaires des approches respectives de Rabbi Akiva et de Rabbi Yichmaël.
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- Publication : 27 mai 2025