Comme chaque matin depuis longtemps, vous avez commencé cette journée en priant.

Ce moment vous est précieux. Il n'appartient qu'à vous. Il est votre rendez-vous quotidien avec ce que vous ressentez en vous de plus profond. Les mots que vous avez récités vous ont entraîné au plus haut de vous-même et vous avez confusément éprouvé que leur répétition journalière demeurerait à jamais incapable d'en épuiser le sens.

Il a fallu ensuite, très vite, trop vite, retrouver d'autres lieux et d'autres gestes. Le métro ou la voiture, le bureau ou la fac. Plonger au coeur d'un monde qui ne sait plus guère ce qu'est la prière. Qui parait vivre dans l'instant et le spectacle ressassé d' apparences satisfaites de leur agressive vulgarité.

Qu'êtes-vous alors devenu en vous glissant, aussi vite, dans le costume de l'étudiant ou du manager ? Etes-vous encore, "quelque part", celui qui priait au matin? L'engagement ressenti alors a t-il laissé une trace perceptible au milieu de cette journée de travail qui, maintenant, vous impose son ordonnancement propre et ses thèmes et son temps ?

Nous pouvons éprouver avec quelque peine ces grands écarts dans nos vies. Aspirer légitimement au Chabbat durant lequel s'offrent à chacun, comme d'inestimables cadeaux, l'unité, la sereine coïncidence avec soi-même dans la bienfaisante paix de la maison.

Mais, pour l'heure, il nous appartient de vivre le temps de la semaine, au sein du monde pluriel, de la multiplicité si prégnante qu'elle semble fragmenter inévitablement nos vies elles-mêmes.

Et pourtant, si nous savions conserver le scintillement qui nous a éclairé aux premières heures du matin, si l'éclat de la priére au long du jour nous accompagnait, alors cette pluralité ne nous serait plus manque mais richesse.

Parce que nous percevrions, si imparfaitement que ce soit, l'unité profonde que voile la diversité infinie. Parce que nous ressentirions, si faiblement que ce soit, qu'"il n'est rien d'autre que Lui".

B. Ziegelman

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