Dans sa compilation de tous les commandements de D.ieu, le Séfer Hamitsvot, Maïmonide indique la foi comme premier d’entre eux. Cette décision n’a pas manqué d'inspirer les commentateurs classiques.
Ainsi Abravanel précise que le terme de commandement appliqué à la foi paraît largement inadéquat dans la mesure où, en tant que tel, il implique, d’ores et déjà, la présence reconnue d'un donneur d'ordres. Sans cette conscience, comment parvenir à la foi ? Inversement, si pareille conscience est présente, le commandement n'est pas nécessaire, la foi s'imposant alors de par sa propre pesanteur.
C'est dire que l'ordre ne peut s'interpréter de cette manière. Abravanel y voit plutôt la foi en l'absolutisme du Divin ; "Il faut croire, dit-il, que D.ieu, dont nous connaissons déjà l'existence, est l'Entité absolument première et totale".
L'existence des hommes est de l'ordre du possible, elle ne s'impose pas. En revanche, l'existence de D.ieu est d'une nécessaire certitude, toute autre éventualité étant, par nature, exclue.
Une telle réponse a soulevé des objections, principalement du Tséma’h Tsédek, du fait qu’elle ramène la perception de l’Absolu à une démarche intellectuelle et, partant, limitée. En tout état de cause, cependant, le sens de la définition de Maïmonide apparaît clairement : la foi ne doit pas porter sur l'existence de D.ieu mais sur son caractère absolu. Dès lors, les éléments qui la composent dérivent de la nécessité de cerner ce caractère.
La notion de nécessaire certitude appliquée a l'existence de D.ieu implique deux conséquences conceptuelles : cette existence est, essentiellement, une notion d'une évidence absolue, au sens ou elle s'impose d'elle-même et n'a nul besoin d'adjuvant argumentaire, tout ce qui n'en fait pas directement partie doit y recourir pour assurer sa propre pérennité. C'est précisément le sens de la double proposition énoncée par Maïmonide que l'on pourrait résumer en deux idées : la nécessaire existence de D.ieu ne s'explique que par elle-même, elle est la base de la totalité du créé qui, si l’œuvre Divine de création s'interrompait un seul instant, retournerait inévitablement au néant .
C'est la raison pour laquelle seul D.ieu peut se voir désigné par le terme de Vérité en son sens le plus complet. Car ce dernier concept peut être analysé a des niveaux très divers ; ainsi on dira, de manière élémentaire, qu'est vrai ce qui n'est pas imaginaire.
Cependant, il est clair que la vérité abordée a un tel degré ne présente aucun caractère absolu. Pour cela, il faut qu'elle soit plus parfaite ainsi qu'en témoigne le traité talmudique Para qui requiert l'usage d"'eaux vives" pour certain rituel. Définissant juridiquement les "eaux vives", il prend soin d'exclure la catégorie qu'il dénomme curieusement "eaux mensongères", "mensongères" car elles proviennent d'un cours d'eau qui s'assèche une fois en sept ans. De telles eaux ont, pourtant, une réalité manifeste, non imaginaire ?
C'est que les "eaux vives" en question sont aussi celles de Vérité, comme telle, l'éternité doit être leur partage. Plus encore, si une simple éventualité d'interruption existait, le pur degré de Vérité ne serait pas atteint. Une telle définition conduit a considérer que le concept de Vérité ne peut être assumé que par la Divinité, d'existence éternelle.
Avant de pousser plus loin l'analyse, il convient de rappeler ici une évidence : le caractère infini de D.ieu transcende toutes les limites, de quelque nature qu'elles soient. Ainsi, D.ieu, créateur des processus intellectuels, n'est pas Lui-meme soumis a l'automatisme de leur production. Par exemple, dans l'imagerie humaine de l'impossible, le rôle classique revient a la figure de l'éléphant ne pouvant passer par le chas d'une aiguille ; cette conception est typiquement issue de l'approche intellectuelle que l'homme peut avoir du monde. D.ieu, créateur de l'intellect et de ses instruments d'analyse, n'y est pas soumis. C'est dire que, le chas de l'aiguille et l'éléphant gardant leurs proportions respectives, celui-ci peut traverser celui-la en univers conceptuel Divin, surrationnel.
Ce que l'on a dénommé "nécessaire certitude" de l'existence de D.ieu, opposée a l'existence possible des hommes, n'est finalement qu'une approche intellectuelle de la notion. Pour parvenir au cœur du concept, c'est à un autre registre qu'il faut faire appel, qui s'affranchisse des entraves de l'humain, portant jusqu'à l'Absolu. A cet égard, la référence de Maïmonide, au bout du raisonnement, à la Torah, au Prophète est particulièrement éclairante : sans ce recours, aucune conclusion intellectuelle ne peut aboutir à une définition du Créateur de l'intellect Qui dépasse les règles qu'Il a Lui-même posées.
Le traité talmudique Méguilah expose : "A l'endroit de la grandeur de D.ieu, c'est là que tu trouves Son humilité." L'emploi de deux termes antinomiques dans une même définition n'est guère étonnant lorsque c'est du Divin qu'il s'agit ; il appelle, toutefois, explicitation. La notion de grandeur est aisément identifiable dans les termes du traité talmudique Bra'hot. : "La grandeur, c'est l’œuvre de création du monde." La création ex nihilo est certes un fait de grandeur, mais en quoi l'est-il d'humilité ?
C'est qu'il convient de resituer le problème : au niveau de l'homme, l’œuvre Divine est celle de la grandeur, mais au niveau de D.ieu, il n'y a ici que manifestation d'humilité dans la mesure où Il contracta Sa lumière afin de permettre l'existence de la matière. C'est très précisément l'idée soulignée par Maïmonide lorsqu'il emploie, pour désigner la Divinité, le terme "existence première". Car le mot "premier" n'a de sens qu'en relation avec la suite ordinale, la deuxième, la troisième etc. Un tel lien ne peut être établi entre D.ieu, le Premier, et Sa création, les deuxième, troisième, etc., qu'après la contraction, oeuvre d'humilité initiale. A un niveau plus essentiel, D.ieu ne saurait être qualifié de premier car Il transcende radicalement toutes les créatures.
Plus encore, l'idée d'existence qui Lui est appliquée est largement inadéquate au niveau le plus profond. Dire qu'Il existe, c'est L'enfermer dans une sorte d'enclos conceptuel alors même que rien ne peut le définir. La formulation choisie par Maïmonide dans le Guide des Egarés en donne l'illustration parfaite : "Il existe, mais pas dans les termes de l'existence." C'est dire qu'il ne saurait être question de connoter ici la notion d'existence en termes humains.
Son emploi est nécessaire uniquement "en creux" et non "en plein", pour nier, à propos de Dieu, la non-existence et non pour affirmer son contenu. Cette idée trouve son application pour tous les qualificatifs qui désignent D.ieu. Dire qu'Il est Sage ou Puissant signifie simplement qu'Il n'est pas le contraire de tels attributs. En tout état de cause, D.ieu est au-delà de tous les vocables infirmes du règne des hommes, mais contractant Sa lumière pour accomplir l’œuvre de création, Il peut être désigné comme "Existence première" car Il a choisi d'être l'origine de toute chose.
Il convient cependant de préciser que le niveau d'Existence première n'exclue pas la permanence de ce degré que rien ne peut définir. L'exemple du sage qui veut enseigner un homme simple est, dans ce cas, significatif. Pour être compris, le sage devra contracter sa sagesse, la réduire de telle manière qu'elle soit accessible à l'homme enseigné, faute de quoi le lien ne pourrait être établi. Cependant, il est clair que la profondeur de sa sagesse n'a pas pour autant disparu. Elle est présente au même moment mais reste dissimulée pour permettre l'accès de l'homme simple. De la même manière, ce niveau du Divin qu'il est possible de qualifier d'Existence n'exclut pas la présence d'un degré de "Non-Existence". C'est le sens profond de la phrase de Maïmonide : "et s'il montait à l'esprit qu'Il n'est pas existant..." En effet, pénétré de la conscience du Divin, l'homme ne peut ignorer la suite du processus cognitif l'esprit doit "monter", jusqu'à parvenir à la vision claire que D.ieu dépasse les domaines conceptuels du connu et que seul le terme de "non-Existence" peut en rendre compte.
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- Publication : 4 mars 2013