Chaque Yom Kippour, je passe la journée à la synagogue pour jeûner et prier. Cependant, le choix du lieu de prière a changé au fil des années et je préfère un «public» plus pratiquant et une atmosphère plus intense : j’ai donc choisi de fréquenter un Beth 'Habad – qui se trouve justement localisé à quelques rues de Fenway Park, le stade de l’équipe des Boston Red Sox. Ce Beth 'Habad est fréquenté principalement par les jeunes de l’Université de Boston : ils s’y sentent bien, ils peuvent étudier le judaïsme selon leur niveau de connaissance et, Chabbat, profitent gratuitement des délicieux repas cachères et copieux. Oui gratuitement !
Cette année, durant la pause de l’après-midi de Yom Kippour, notre rabbin se tenait sur les marches menant au bâtiment de briques de Commonwealth Avenue qui abrite le centre communautaire Loubavitch. La pause coïncidait avec la fin d’un match des Red Sox et les supporters se répandaient dans les rues. Si vous avez déjà vu les supporters des Red Sox, vous pouvez aisément imaginer que leur apparence extérieure est pour le moins peu conciliable avec celle des Juifs plongés dans l’atmosphère de Yom Kippour. Donc quand la foule sortie du stade croise des Juifs habillés en costume-cravate, certains avec barbes et chapeaux, le choc des cultures est évident. D.ieu merci, la foule des amateurs de sport démontra un certain respect teinté de curiosité pour le Jour du Pardon de la tradition juive.
Un homme d’âge moyen, vêtu d’un blue-jean et d’un tee-shirt aux couleurs de son équipe favorite, sortit de la foule et s’avança vers le rabbin sur les marches. Il annonça fièrement qu’il était juif mais n’observait aucun des commandements de la Torah bien que son père ait été élevé dans un des quartiers ‘hassidiques de Brooklyn. Il ajouta qu’il était marié avec une femme non-juive et, par sa façon de parler et sa gestuelle, je compris qu’il avait laissé loin derrière lui toute trace d’éducation juive. Il déclara qu’en passant devant le Beth 'Habad, il s’était rappelé que c’était Yom Kippour et, tant qu’à faire, il aurait aimé réciter Yizkor à la mémoire de ses parents décédés.
Mon rabbin l’écouta attentivement, parla peu mais l’invita à entrer dans le petit oratoire qui servait de synagogue et ils en ressortirent quelques minutes plus tard. Sur le seuil, je vis que l’homme serrait la main du rabbin tout en lui tendant quelque chose.
Avant Neïla, le dernier office de Kippour le rabbin prononça un discours :
- Je veux vous raconter ce qui s’est passé aujourd’hui. Cet homme désirait réciter la prière de Yizkor et je lui ai proposé de revêtir un Talit (châle de prière). Je me suis dit que cet homme souhaitait, d’une manière ou d’une autre, se rapprocher du judaïsme et que, par le fait de porter un Talit – ce qui est une Mitsva, un commandement de D.ieu – ce serait déjà un premier pas dans le bon chemin, celui de la Techouva, du retour à son âme juive.
Bien qu’il ne sache pas lire l’hébreu, je me doutais que, comme presque chaque Juif, il avait dû un jour ou l’autre apprendre le verset Chema Israël, l’affirmation de la foi juive en un D.ieu unique et nous l’avons donc récité ensemble. Tandis qu’il répétait après moi chaque mot, il éclata en sanglots incontrôlables, affirmant que «sa mère lui manquait». Je l’ai embrassé et nous avons récité ensemble la courte prière de Yizkor.
En quittant la synagogue, il me tendit sa carte de visite en précisant qu’il souhaitait faire un don. Je répondis que j’accepterais volontiers un don car le fonctionnement d’un centre communautaire qui n’exige pas de droits d’entrée des étudiants dépend de la charité des uns et des autres. Mais je précisai cependant que je n’accepterais d’argent que s’il me l’apportait directement dans la semaine, pendant la journée : ainsi je pourrais lui proposer de mettre les Téfilines et donc d’accomplir une autre Mitsva très importante.
Mais – et là le rabbin martela quelque chose qui nous impressionna fortement : Je ne pense pas que cet homme est venu ici aujourd’hui parce que sa mère lui manquait. Je pense plutôt que, depuis le Monde de Vérité, l’âme de cette mère juive se tourmentait et se demandait : «Où est mon fils ? Pourquoi ne se trouve-t-il pas avec ses frères juifs qui célèbrent Yom Kippour ?» Et grâce à l’amour et à l’incompréhension d’une mère vis-à-vis de son fils, D.ieu a arrangé les événements de telle façon que cet homme a rendu à son âme juive la place qui lui convient !.
Inutile de décrire l’atmosphère exaltée et bouleversante de cette prière de Neïla...
Mais le lendemain, après avoir moi-même mis les Téfilines et prié Cha’harit, je me suis assis et j’ai écrit un chèque que j’ai apporté le même jour à mon rabbin pour le remercier de son dévouement extraordinaire à la vie spirituelle de la communauté. Je veux moi aussi participer modestement à toutes les initiatives extraordinaires de son Beth 'Habad. Et, dans mes prières, j’ai rappelé cet homme sportif mais juif avant tout, mon rabbin et tous mes frères juifs fin qu’ils soient bénis pour une bonne et douce année.

Dr Richard Kradin, Massachusetts Hospital,
professeur à l’école de médecine d’Harvard – Chabad.org
Traduit par Feiga Lubecki