C’était le soir de Yom Kippour, le jour le plus saint de l’année. Alors que les Juifs étaient assemblés dans la synagogue, attendant impatiemment, pour commencer la prière, l’arrivée de leur Rabbi, Rabbi Chnéor Zalman, également connu comme l’Admour Hazaken, quitta mystérieusement le petit village d’Europe de l’est.

Certains de ses disciples supposèrent que leur Maître était allé au Ciel, communiquer avec D.ieu et les anges dans les sphères célestes, pour préparer ce saint jour. Où était-il ? Alors qu’ils l’attendaient, inquiets, il s’enfonçait profondément dans la forêt, avec un sac sur son dos, pour couper du bois.

Ils surent plus tard qu’il se rendait avec son sac de provisions sur le dos et du bois, vers la maison d’une pauvre veuve qui venait de mettre un bébé au monde et était seule avec cinq petits enfants. Sauver une vie est si important que couper du bois et faire du feu, activités normalement proscrites en ce saint jour, est autorisé.

Aucune tâche n’était ingrate pour ce grand érudit en train d’allumer un feu dans la cheminée, de déballer la nourriture et les habits qu’il avait emportés dans le sac, de nourrir avec amour les enfants, avant d’adresser à la femme des paroles de gentillesse et de réconfort. Peut-être peut-on affirmer que Rabbi Chnéor Zalman s’était rendu dans un lieu encore plus haut que le Ciel.

Quel est le véritable bien ? Quel est le véritable don ?Le Judaïsme nous enseigne avec douceur, par le biais des histoires, que le véritable bien ne se pratique pas dans une flambée de gloire. Le véritable bien et le véritable don impliquent souvent le fait de nourrir et de prendre soin, de la façon la plus discrète qui soit.

Nous sommes immortalisés, bien longtemps après avoir quitté ce monde, par les actes de bonté accomplis sur cette terre : les murmures de réconfort adressés à l’enfant effrayé, la consolation d’un cœur brisé, le don de la charité quand nous devons aller chercher loin, la patience et la tolérance pour un proche acariâtre, un repas apporté avec amour…

C’est par ces actes de bonté et de don que nous touchons le Divin et nous élevons plus haut dans le Ciel.

Pourquoi jeûner à Yom Kippour ?

Dans Ton immense compassion, Tu nous a donné ce jour de jeûne qu’est Yom Kippour, un jour où il est interdit de manger, interdit de boire… (Prière de Moussaf de Yom Kippour)

Dans le Monde Futur, il n’existe rien de tel que manger ou boire… (Talmud, Bera’hot 17a)

L’homme est fait d’un corps et d’une âme, d’une enveloppe physique de chair, de sang, de muscles et d’os, habitée et énergisée par une force spirituelle que les Maîtres de la ‘Hassidout décrivent comme « une véritable partie de D.ieu En Haut ».

La sagesse commune veut que l’esprit soit plus élevé que la matière et que l’âme soit plus sainte (c’est-à-dire plus proche du Divin) que le corps. Cette conception semble être confirmée par le fait que Yom Kippour, le jour où nous atteignons l’intimité la plus grande avec D.ieu, est déclaré par la Torah comme un jour de jeûne, un jour où nous semblons abandonner notre corps et ses besoins pour nous consacrer exclusivement aux activités spirituelles de la repentance et de la prière.

Mais en réalité, un jour de jeûne révèle une relation plus profonde, et non plus distante, avec le corps. Quand une personne mange, elle est nourrie par les aliments et les boissons qu’elle ingère. Mais un jour de jeûne, la vitalité vient du corps lui-même, de l’énergie emmagasinée dans ses cellules. En d’autres termes, les jours moins saints, c’est une force extérieure (que l’on trouve dans les aliments et les boissons) qui maintient ensemble le corps et l’âme. A Yom Kippour, cette union du corps et de l’âme vient du corps lui-même.

Ainsi, Yom Kippour nous offre-t-il un avant-goût du point culminant de la création, connu comme le Olam Haba, « le Monde Futur ». Le Talmud nous dit que « dans le Monde Futur, il n’existe rien de tel que manger ou de boire », une déclaration que l’on comprend parfois comme signifiant que dans son statut le plus parfait, la création est exclusivement spirituelle, dépourvue de corps et de tout ce qui est physique. Les enseignements de la Cabbale et de la ‘Hassidout, nous décrivent cependant le Monde Futur comme un monde dans lequel la dimension physique de l’existence n’est pas éradiquée mais est, au contraire, préservée et élevée. Le fait que « rien n’existe de tel que manger et boire » n’est pas dû à une absence des corps et de la vie matérielle mais au fait qu’alors « l’âme sera nourrie par le corps » lui-même et la symbiose entre la matière et l’esprit, qu’est l’homme, n’aura besoin de nulle source extérieure de nourriture pour la sustenter.

Deux véhicules

Le matériel et le spirituel sont des créations de D.ieu. Tous deux ont été créés par Lui ex nihilo et chacun porte l’empreinte du Créateur dans les caractéristiques qui le définissent.

Le spirituel, avec son intangibilité et sa transcendance du temps et de l’espace reflète l’aspect infini et sublime de D.ieu. Le spirituel est également, par nature, docile, prêt à accepter sa soumission à une vérité supérieure. Ce sont ces qualités qui le rendent « saint » et lui permettent d’être le véhicule de la relation avec D.ieu.

Par ailleurs, le matériel est tangible, égocentré et immanent, spécificités qui le montrent comme « profane » plutôt que saint, qui le caractérisent comme un obscurcissement plutôt que comme une révélation de la Vérité Divine. Car sa déclaration sans équivoque affirmant « j’existe » dément la vérité selon laquelle « il n’existe rien en dehors de Lui », que D.ieu est la seule source et la seule fin de toute existence.

Cependant, en dernier ressort, tout vient de D.ieu. Chaque trait de toute Sa création prend sa source en Lui et sert à révéler Sa vérité. Aujourd’hui, le monde de la matérialité ne nous découvre que sa face superficielle dans laquelle les caractéristiques divines sont cachées plutôt que révélées. Aujourd’hui, quand les objets matériels nous disent « j’existe », cela n’évoque pas la réalité de D.ieu mais une existence autonome, indépendante qui défie la Vérité Divine. Mais dans le Monde Futur, le produit du labeur de centaines de générations, pour sanctifier le monde matériel, permettra la révélation de la véritable face de la matérialité.

La matière ne sera pas moins un véhicule pour la Divinité que le spirituel. En fait, par bien des aspects, elle le surpassera. Car si le spirituel exprime des caractéristiques divines variées, l’infinité de D.ieu, Sa transcendance, etc., le matériel révèle, quant à lui, l’essence même de D.ieu.

Aujourd’hui, le corps doit se tourner vers l’âme pour qu’elle soit son guide moral, sa source de conscience de tout ce qui a trait au Divin. Mais dans le Monde Futur, « l’âme sera nourrie par le corps ». C’est ce dernier qui sera une source de la conscience Divine plus sainte encore que la vision spirituelle de l’âme elle-même.

Yom Kippour propose un avant-goût de ce retournement futur. C’est donc un jour au cours duquel nous sommes « nourris par la faim », dérivons notre subsistance du corps lui-même. En ce jour le plus saint, le corps devient notre source de vie et de nourriture plutôt que son réceptacle.

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