Les membres du groupe qui s’étaient rendus en pleine nuit dans les villages alentour rejoignirent leurs compagnons d’infortune dans la forêt avec un véritable trésor : un poulet vivant ! C’était vraiment une trouvaille extraordinaire capable de les nourrir pendant un certain temps. L’un de ces Juifs qui se cachaient devant l’avancée allemande dans la région avait été Cho’het (abatteur rituel, dans un autre temps, sans doute une autre planète, quand on vivait normalement, sans la guerre et les pogromes…). Il s’apprêta à abattre rituellement le poulet mais un de ses amis, Reb Chlomo Dickstein l’arrêta.

Ce Reb Dickstein était né à Loutsk, en Pologne (actuellement l’Ukraine) en 1915. En 1941, la ville avait été conquise par les Nazis et, avec quelques autres Juifs, il avait réussi à fuir dans les épaisses forêts où seuls les habitants locaux pouvaient s’aventurer. Son oncle avait dirigé le petit groupe – jusqu’à ce qu’il fut tué par les Nazis lors d’une de ses expéditions nocturnes en ville pour rapporter à manger. Reb Chlomo réussit à faire cacher ses quatre enfants dans des familles chrétiennes et même dans un couvent : tous survécurent à la guerre. D’ailleurs, il avait réussi à sauver de nombreux autres Juifs, comme cela est rappelé sur sa pierre tombale (il décéda en 1990).

La fuite dans la forêt était très pénible : le froid glacial en hiver, les animaux sauvages… mais surtout le manque de nourriture étaient insupportables. N’ayant pas le choix, les plus jeunes membres du groupe effectuaient des virées nocturnes dans les fermes aux alentours pour rapporter quelques pommes de terre ou des oignons pour assouvir leur faim. Parfois, ils rapportaient même quelques quignons de pain : mais un poulet ? Voilà qui constituerait un repas de fête !

  • Ne m’as-tu pas expliqué que ton couteau n’était plus vraiment cachère pour la Che’hita ? s’inquiéta Reb Chlomo. (En effet, les lois concernant l’état parfait de la lame sont très strictes !).
  • C’est vrai, répondit le Cho’het, mon couteau n’est plus tout-à-fait aiguisé comme il convient. Il présente même une minuscule entaille… Mais nous sommes dans une situation particulière, nous risquons de mourir de faim et j’ai pensé qu’il vaut mieux procéder à la Che’hita avec un couteau pareil…
  • Montre-moi ce couteau, s’il te plaît.

Le Cho’het sortit le couteau de sa poche : Reb Chlomo remarqua immédiatement l’entaille et, sans hésiter, sous les yeux horrifiés du Cho’het, cassa complètement la lame !

  • Il est vrai que nous sommes dans une situation de vie ou de mort, nous ne disposons pas de couteau cachère pour la Che’hita et, selon la Loi juive, nous avons le droit de manger de la viande non-abattue rituellement. Mais cela signifie que nous aurons mangé de la viande non-cachère ! On ne procède pas à la Che’hita « comme si ». La Torah est Vérité et un Juif ne joue pas avec la loi pour se sentir bien ! Telle n’est pas la voie du judaïsme ! Il vaut mieux tuer le poulet d’une autre manière et ne pas s’imaginer qu’on l’a abattu rituellement !

A la suite de cet incident, Reb Chlomo réfléchit longtemps comment obtenir malgré tout un couteau correct. Doué de mains en or, il repéra dans une poubelle un morceau de métal qu’il se mit à nettoyer et aiguiser durant de longues heures épuisantes. Mais finalement, il possédait un couteau cachère.

Au fur et à mesure que la guerre se poursuivait, Reb Chlomo réalisa qu’il lui serait impossible de conserver longtemps ce morceau de métal et décida de le cacher sous un arbre : mentalement, il fixa dans son esprit des indices qui lui permettraient éventuellement de le retrouver.

Il survécut encore deux ans dans la forêt mais fut finalement attrapé par les Nazis qui le déportèrent dans le camp d’extermination de Maidanek, près de Lublin.

Il y resta dix-huit mois : comme il était de constitution robuste, il fut choisi pour servir dans les terribles « Sonder-Commandos » chargés de récupérer les corps et de les incinérer dans les fours crématoires. Il fut enfin libéré par l’armée rouge (soviétique) après qu’il se soit caché sous une pile de cadavres.

Il put alors émigrer en Terre Sainte, non sans avoir au préalable récupéré son précieux « couteau » de Che’hita, exactement à l’emplacement qu’il avait mémorisé tout ce temps.

En Israël, Reb Chlomo fonda une famille et mérita d’avoir de nombreux enfants, petits-enfants et arrières-petits-enfants. Il confectionna pour son couteau un manche ainsi qu’un coffret particulier.

Quarante ans plus tard, il l’offrit à son fils aîné, Rav Moché Dickstein qui avait reçu son diplôme de Cho’het : bien qu’il n’ait pas l’habitude de parler en public et surtout de parler de lui-même, Reb Chlomo raconta à cette occasion l’histoire de ce morceau de métal.

Vingt-cinq ans plus tard, son petit-fils Chalom Dov Ber, fils de Rav Moché, reçut lui aussi son diplôme de Cho’het et, en même temps, le coffret avec le couteau.

Il est actuellement Cho’het à Melbourne (Australie). Il a affiné ce couteau et l’a si bien aiguisé qu’il peut maintenant s’en servir. Il a choisi de ne l’utiliser qu’une fois par an : la veille de Yom Kippour pour le poulet des Kapparot.

Si’hat Hachavoua N° 1788

Traduit par Feiga Lubecki