Né dans une famille juive pratiquante, je n’en fus pas moins enrôlé dans l’armée du Tsar avant la première Guerre Mondiale. J’y combattis vaillamment et je gagnais même 
plusieurs médailles pour actes de bravoure. A la fin de mon service militaire, j’étais donc considéré comme un citoyen loyal, exemplaire.
Mais vint la Révolution Communiste en 1917. Je fus convoqué devant un “ Tribunal du Peuple ” et, pensant naïvement que mes actes de bravoure et mes médailles prouveraient ma loyauté à la patrie, je me présentais en toute confiance devant le tribunal qui me fit aussitôt comprendre que l’échelle des valeurs avait changé.
Après un procès expéditif de dix minutes, je fus condamné à quinze ans de “ travaux forcés de rééducation en Sibérie ” pour le crime d’avoir “ maintenu une loyauté sans faille à l’ancien régime ”. Complètement abasourdi par ce retournement de situation, je fus amené immédiatement en prison où je croupis plusieurs semaines avant d’être envoyé par train, dans des conditions horribles, vers un camp de travail.
Puis vint une “ meilleure ” nouvelle : le gouvernement avait besoin de volontaires pour un navire brise-glace qui devait se frayer un chemin vers un obscur territoire de Sibérie, sous des températures de moins cinquante degrés, afin de construire un camp militaire.
Là-bas, la nourriture serait bien meilleure, il y aurait moins d’heures de travail et (encore une raison pour s’enrôler), chaque année passée sur ce bateau compterait pour trois années. Je sautais sur cette “ chance ”. Au bout de cinq ans d’enfer, la plupart des membres d’équipage étaient morts de froid ou de maladies mystérieuses. Le projet fut abandonné et ceux qui avaient survécu furent renvoyés chez eux. Miraculeusement je fus un des survivants.
J’aurais dû être reconnaissant… mais une pensée me hantait : je ne pouvais accepter le fait que rien, absolument rien n’avait résulté de tous mes efforts. Je n’arrêtais pas de me dire que tout cela avait un sens, une utilité, mais je n’arrivais pas à comprendre lesquels. Au début, c’était une question lancinante, mais bien vite cela devint une idée fixe, une obsession.
Puis un soir, alors que je marchais dans la rue, j’entendis des chants provenant de la synagogue. Un groupe de ‘Hassidim de Loubavitch étaient assis autour d’une table, mangeaient des cornichons et des harengs et buvaient un peu de vodka non sans avoir trinqué “ Le’haïm ”, “ A la vie ! ” Puis l’un d’entre eux se mit à parler :
“ Un jour, un vieux baron polonais, très riche, eut une idée bizarre. Il voulait faire ériger sa propre statue à partir d’un certain marbre qu’on ne trouvait qu’en Extrême-Orient ; cette statue devait par la suite orner sa pierre tombale.
Il fit appel à un négociant en pierres précieuses, un Juif en qui il avait toute confiance et lui donna une grosse somme d’argent. Celui-ci devait se rendre en Inde, y acheter un gros bloc de ce marbre et le rapporter en Pologne.
Ce Juif était un ‘Hassid du saint Rabbi de Rougine : il se rendit d’abord chez son Rabbi qui lui accorda sa bénédiction et l’encouragea pour son voyage. Un mois plus tard, le négociant arrivait en Inde, certain de réussir puisqu’il avait reçu la bénédiction de son Rabbi. Il acheta le marbre et prit le chemin du retour.
Une nuit, au milieu du voyage, alors qu’il dormait dans la cabine du navire, il fut réveillé par un grand choc : il se précipita sur le pont et constata que le bateau faisait naufrage. Il ne trouva personne dans le bateau, les marins et les passagers avaient disparu ! Affolé, il trouva pourtant une embarcation de secours dans laquelle il put prendre place puis il dériva dans l’océan jusqu’à ce qu’il trouvât une île déserte. Il était sauvé ! Il avait réussi à prendre avec lui ses Téfilines et ses livres qui lui tinrent compagnie… durant trois ans, jusqu’à ce qu’il remarque qu’un bateau s’approchait de son île. On lui envoya un canot de secours, il put monter à bord et, quelques jours plus tard, retrouver la terre ferme.
Un mois plus tard, il atteignit la Pologne et se rendit au château du baron, mais ce dernier était mort, son château avait été vendu : il n’y avait plus de baron, plus d’argent, plus de marbre, plus de statue, plus rien ! Il retourna chez son Rabbi pour demander une explication.
“ Sache que des étincelles de sainteté étaient prisonnières sur ton île. Nul Juif ne s’y était jamais rendu ; aucune bénédiction n’y avait jamais été récitée, aucune Mitsva n’y avait jamais été effectuée. Durant les trois années que tu y as passé, tu as pu délivrer et purifier ces étincelles ! ”
Je n’avais jamais entendu une telle explication auparavant, mais je compris que je tenais là la réponse à ma question. En Sibérie, j’avais, sans m’en rendre compte, élevé des étincelles de sainteté.
Je décidai de rester avec ces ‘Hassidim et d’étudier avec eux.
Et voilà comment je suis devenu un ‘Hassid de Loubavitch.

Rav Né’hémia
Kfar ‘Habad – Israël
Traduit par Feiga Lubecki

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