La découverte
Quand nous sortons à peine de la fête de Pessa’h, comment ne pas s’arrêter un instant pour regarder le chemin qui s’ouvre ? C’est clair : nous venons de vivre des jours de noblesse et de grandeur. Entrés de plain-pied dans la liberté, nous sommes à présent emplis d’une conscience nouvelle. Mais c’est alors que commence à monter une sorte de sourde inquiétude. Il est difficile de franchir le seuil du retour au quotidien. Pessa’h nous a véritablement élevés, très concrètement portés sur un autre plan. Nous nous croyions presque parvenus au-delà de l’horizon. Et voici que cesse ce flamboiement, voici que les choses se pressent pour reprendre leur place. Rien n’aurait-il donc changé ?
Face à de telles considérations, il faut d’abord se souvenir que Pessa’h ne s’arrête pas vraiment. Certes, toutes célébrations achevées, il faut bien accepter cette conclusion. Pourtant cette dernière ne constitue pas un point d’arrêt ; nous emmenons la fête au rythme de nos pas. Elle devient partie intégrante de nous-mêmes. Devenus hommes libres, le temps de notre liberté ne peut que rester avec nous par nature. Simplement, il nous revient de passer à une seconde étape. Après l’expérience de la servitude en Egypte, après l’ivresse de la liberté donnée par D.ieu, nous levons les yeux sur cette large route qui s’étend au-devant de nous. Il nous appartient d’y avancer jour après jour, de découvrir les merveilles qui apparaissent à chaque détour. Ici commence donc la découverte.
Et c’est d’abord de nous-mêmes qu’il s’agit. En fait, découvrir le monde ne revient jamais qu’à porter son regard sur ce qui nous est extérieur. Ici, l’ambition est plus haute : regarder vers l’intérieur, en nous-mêmes, et faire de cette avancée une marche de progrès. C’est ainsi que nous comptons les jours qui passent par le décompte de l’Omer. Chacun d’eux est un nouvel échelon de cette élévation qui nous conduit jusqu’au pied du mont Sinaï, à la réception de la Torah. Et chacun est décidément un acquis radicalement nouveau, une découverte à nulle autre pareille. Tout est, à présent, en devenir. Changer soi et le monde n’est plus un rêve naïf. Engageons-nous dans ce voyage !
Le baiser du secret
Le Machia’h enseignera à tous le sens profond de la Torah ainsi que les raisons des Mitsvot qui seront révélées alors. C’est ce que déclare le Cantique des cantiques (1:2) : «Embrasse-moi des baisers de ta bouche. » Rachi commente ce verset ainsi : « Et nous avons Son assurance qu’Il leur apparaîtra pour leur expliquer le sens profond et caché. »
Lors de la résurrection des morts, Moïse et tous les Sages ressusciteront et Machia’h leur enseignera également.
(D’après Likoutei Torah Vayukra p.17a)
A’haré
Après la mort de Nadav et Avihou, D.ieu donne un avertissement interdisant l’entrée non autorisée « dans le Saint des Saints ». Une seule personne, le Cohen Gadol (le Grand Prêtre) peut, une seule fois dans l’année, à Yom Kippour, pénétrer dans la pièce la plus intérieure du Sanctuaire pour y offrir à D.ieu le sacrifice des Ketorèt (encens).
Une des autres caractéristiques du service du Jour du Pardon est le « tirage au sort » exercé sur deux béliers, pour déterminer lequel sera offert à D.ieu et lequel sera envoyé dans le désert, chargé des péchés du Peuple d’Israël.
La Paracha A’haré avertit également contre le fait de n’apporter des Korbanot (offrandes animales ou alimentaires) nulle part ailleurs que dans le Temple, interdit la consommation du sang et détaille les lois prohibant l’inceste et d’autres relations déviantes.
Dans la Paracha Chemini, nous avions vu l’inauguration du Tabernacle et le début de son fonctionnement, dans le but de faire descendre la Présence Divine dans la vie quotidienne et la conscience du peuple. Mais l’excitation et l’extase de ce jour si particulier, le premier jour de Nissan 2449, furent endeuillées par la mort tragique de Nadav et Avihou, les deux fils aînés d’Aharon. Ils moururent prématurément parce que, d’une certaine façon, c’est ce à quoi ils aspiraient : quitter les entraves de la matérialité et expirer dans l’extase de la révélation Divine.
La réponse de D.ieu à cette erreur de jugement fut d’enseigner à Son peuple que, certes il convient, et c’est même crucial, de vouloir se détacher de la conscience étriquée de ce monde pour s’attacher à D.ieu, mais que cela doit toujours rester un seul aspect de notre service, et l’aspect secondaire. L’accent principal dans notre vie doit être placé sur le fait de remplir notre mission, but pour lequel nous (et le monde) avons été créés. Il s’agit d’élever et de raffiner la réalité de telle façon que le Présence Divine soit également manifeste ici-bas.
Deux raisons peuvent expliquer le désir de s’échapper de ce monde. Conscients de la douceur sublime de se délecter dans la Divinité, nous pouvons souhaiter accéder à cette béatitude.
Ou bien, devant la perception de la dégradation que nous a fait subir l’implication dans la vie matérielle, nous pouvons éprouver le désir de renoncer à cet engagement et nous échapper dans l’abri du sanctuaire de la sainteté.
C’est la raison pour laquelle, D.ieu partagea Son enseignement sur l’importance de l’impératif divin d’accomplir notre rôle dans ce monde en deux parties.
La première consiste à « ne pas boire jusqu’à en être enivré », ne pas boire tant de « vin de sainteté » que cela nous rend inconscients du monde qui nous entoure. Dans leur tentative d’atteindre l’extase Divine, Nadav et Avihou burent trop de vin, à la fois au sens littéral et métaphoriquement.
D.ieu nous instruisit donc immédiatement de ne pas agir ainsi, comme cela est relaté tout de suite après le récit de la mort de Nadav et Avihou, dans la Paracha Chemini.
La seconde partie de cet enseignement était « de ne pas pénétrer dans le Sanctuaire, à n’importe quel moment », car mus par leur zèle Divin, Nadav et Avihou avaient pénétré le Sanctuaire de leur propre initiative plutôt qu’en réponse à un appel ou une injonction de D.ieu. Bien que D.ieu prononçât également cette partie de la leçon le Roch ‘Hodech Nissan, elle n’est évoquée que dans la Paracha présente, A’haré, c’est-à-dire deux Parachiot et demie plus tard, à la suite des lois de la Cacherout données dans la seconde moitié de Chemini et les lois de l’impureté transmises dans Tazria et Metsora.
Cela soulève une question évidente : pourquoi le récit des événements du 1er Nissan est-il interrompu par une si longue digression concernant les lois spirituelles et rituelles de la pureté ?
La raison en est que l’essence des lois de la Cacherout comme celles de la pureté et de l’impureté a pour but de nous enseigner comment, tout en étant plongés dans la vie matérielle, nous devons néanmoins rester toujours conscients de la Présence de D.ieu.
Dans cette perspective, il est essentiel de savoir comment faire la distinction entre ce qui est cachère ou « pur » et ce qui ne l’est pas. En d’autres termes, comprendre ce qui nous conduit à la conscience Divine et la renforce et ce qui nous en éloigne. Pour forger une relation avec D.ieu, nous devons être alertes devant les écueils de la vie qui menacent cette relation et savoir comment les éviter.
Il nous faut également être lucides qu’en tant qu’êtres humains, nous courons le risque de succomber devant ces écueils. Et si cela venait à se produire, nous devons également être conscients qu’un mécanisme existe pour contrer cette perte de conscience : la Techouva. Le processus de Techouva, la réorientation individuelle vers la Divinité, atteint son apogée à Yom Kippour, le Jour du Pardon.
Le commandement de « ne pas entrer dans le Sanctuaire à n’importe quel moment » appartient aux lois de Yom Kippour évoquées dans les Paracha précédentes qui nous montrent comment identifier les impuretés de ce monde et atteindre la purification.
Mais une partie intégrante de cette loi signifie qu’il ne faut pas échapper à ce monde, la seconde raison de l’acte de Nadav et Avihou. La réponse qui est apportée ici indique que quand nous sommes envahis de remords pour avoir succombé aux exigences de la vie et désirons nous enfuir dans la sécurité de la sainteté, nous ne devons jamais perdre de vue notre but et notre mission dans la vie.
La Paracha A’haré, dont le nom signifie « après », nous projette dans le futur ultime : l’Ère de la Délivrance qui dépend de notre conduite et de nos efforts pour saisir chaque opportunité d’accomplir un commandement Divin ou une bonne action, révélant ainsi la Divinité dans le monde que nous habitons.
Qu’est-ce que le compte du Omer ?
C’est une Mitsva de la Torah de compter les quarante-neuf jours de l’Omer à partir du second soir de Pessa’h (samedi soir 20 avril 2019) jusqu’à la veille de Chavouot (samedi soir 8 juin 2019). Si on n’a pas compté de suite après la prière du soir (Arvit), on peut encore compter durant la nuit jusqu’à l’aube. Si on ne s’en souvient que pendant la journée, on peut compter, mais sans réciter la bénédiction. Et le soir suivant, on continue de compter avec la bénédiction. Si on a oublié toute une journée, on devra dorénavant compter chaque soir sans la bénédiction.
Quelles sont les lois de cette période du Omer ?
Hommes et femmes ont l’habitude de ne pas entreprendre de « travaux » (tels que ceux interdits à ‘Hol Hamoed) depuis le coucher du soleil jusqu’à ce qu’ils aient compté le Omer.
On ne célèbre pas de mariage et on ne se coupe pas les cheveux, en souvenir de l’épidémie qui décima les 24.000 élèves de Rabbi Akiba à cette époque du Omer. Les Séfarades respectent ces lois de deuil jusqu’au 19 Iyar (vendredi 24 mai 2019) ; les Achkenazes depuis le 1er Iyar (lundi 6 mai 2019) jusqu’au 3 Sivan au matin (jeudi 6 juin 2019) à part la journée de Lag Baomer (jeudi 23 mai 2019).
La coutume du Ari Zal, suivie par la communauté ‘Habad, veut qu’on ne prononce pas la bénédiction de Chéhé’héyanou (sur un fruit nouveau par exemple) durant toute la période du Omer et qu’on ne se coupe pas les cheveux jusqu’à la veille de Chavouot (cette année vendredi matin 7 juin 2019).
Un garçon qui aura trois ans après Pessa’h, fêtera sa première coupe de cheveux à Lag Baomer (jeudi 23 mai 2019) et celui qui aura trois ans après Lag Baomer la fêtera la veille de Chavouot (vendredi 7 juin 2019).
Il n’y aucune restriction sur les promenades ou les séances de piscine et baignade.
Pourquoi lit-on un chapitre de Pirké Avot, les « Maximes de nos Pères », chaque samedi après-midi, entre Pessa’h et Chavouot ?
Entre Pessa’h et Chavouot, nous nous préparons à revivre le don de la Torah au mont Sinaï. Pirké Avot est un traité talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales. En lisant un chapitre par Chabbat, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah.
Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces six chapitres tout au long de l’été jusqu’au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l’été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des Mitsvot : il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement.
La reine, le prince et le Rav
Rav Marvin Hier, né en 1939 à New York, fonda et dirigea le Centre Simon Wiesenthal et le Musée de la Tolérance.
Un jour, Rav Marvin Hier fut convié à un dîner très spécial dans la ville de Victoria, au Canada, par Sa Majesté, la reine d’Angleterre (qui est aussi la reine d’autres nations du Commonwealth comme le Canada) et son mari, le prince Philip. Il se déclara flatté et honoré par l’invitation mais, à son grand regret devait décliner cette invitation à cause de son régime alimentaire particulier, la cacherout.
Mais le Gouvernement canadien estimait beaucoup Rav Hier – qui dirigea la synagogue Chaaré Tsédek Congregation de Vancouver de 1964 à 1977. On était prêt à satisfaire toutes ses requêtes : on lui procura donc des assiettes spéciales, des couverts à part et, bien sûr, une nourriture strictement cachère.
Salués par la reine Elizabeth elle-même, Rav Hier et son épouse étaient très honorés de participer à ce repas en compagnie d’hôtes si distingués. Mais leur satisfaction fut de courte durée quand on annonça après le premier plat que, pour mieux faire connaissance les uns des autres, les convives devraient changer de place.
C’était une idée originale mais, pour Rav Hier et son épouse, cela créait une grosse difficulté : que se passerait-il avec leurs assiettes, couverts et nourriture ? Bien que cela puisse paraître étrange, tous deux décidèrent d’emporter leurs assiettes et couverts là où ils devraient s’asseoir. Surpris, nombre de convives les regardèrent avec des yeux ronds, considérant ceci comme étrange et même déplacé et malpoli.
De fait, un Juif présent, peu pratiquant estimait que c’était même un ‘Hiloul Hachem, une profanation du Nom divin et s’indigna : comment un rabbin pouvait-il se conduire de façon aussi peu protocolaire alors que la famille royale avait consenti à de gros efforts pour l’accommoder ?
Mais quoi que cet homme ait pu penser, Rav Hier n’était pas impressionné par ses arguments et n’allait certainement pas passer outre ses convictions. C’est ainsi qu’il passa de place en place, tout en tenant son assiette. La reine et son mari allaient eux aussi d’un endroit à l’autre pour saluer leurs invités. Le prince Philip remarqua le rabbin debout avec son assiette et lui demanda la raison de sa conduite peu ordinaire.
Rav Hier expliqua la raison pour laquelle il devait garder son assiette et ses couverts ; son discours impressionna le prince. Celui-ci demanda des précisions sur cette pratique religieuse et s’intéressa beaucoup au sujet. Passionné par les explications du rabbin, le prince appela même la reine pour qu’elle profite elle aussi de cette conversation.
Remarquant peu après combien le rabbin avait été chaleureusement salué par le couple royal, l’homme peu pratiquant qui s’était auparavant indigné de son manque de « savoir-vivre », décida lui aussi de revendiquer son judaïsme pour se faire bien voir. Il s’approcha du prince Philip et se présenta lui aussi comme juif. Mais le prince lui jeta un regard surpris : « Si vous êtes juif, où sont vos couverts et votre assiette ? ».
Inutile de décrire l’embarras de cet homme qui s’empressa de s’éloigner…
Un autre convive était un amiral canadien vêtu d’un kilt : il clamait haut et fort que la recherche d’ethnicité ruinait le Canada. Il s’adressa de façon hautaine au rabbin : « Voyez ce rabbin ! Nous mangeons tous ensemble et lui estime qu’il doit manger différemment ! ».
Très digne, Rav Hier ne perdit pas sa verve et répliqua poliment : « Avec tout le respect que je vous dois, j’estime que si vous n’êtes pas gêné de manger avec nous en portant une jupe, je ne pense pas que je doive être gêné par ce que je choisis de manger ! ».
Yerachmiel Tilles – Ascent Safed
Traduit par Feiga Lubecki