Samedi, 30 avril 2022

  • A'harei
Editorial

 La voie du progrès

C’est une grande chose d’avoir vécu des temps forts, qui marquent le cœur et l’esprit. C’est une chose merveilleuse que d’avoir conquis, une fois de plus, sa liberté et d’avoir brisé les chaînes de l’esclavage, matériel ou spirituel. En d’autres termes, Pessa’h a tenu ses promesses : il a été cette fête prodigieuse dont les effets ne cessent pas avec sa conclusion mais que nous emmenons avec nous tout au long de l’année pour en tirer les ressources de notre libération constante. Pourtant, alors même qu’elle se déroulait, c’est une entreprise nouvelle qui, parallèlement, commençait : le compte de l’Omer.

Compter les jours qui s’étendent entre Pessa’h, la sortie d’Egypte, et Chavouot, le Don de la Torah… Compter le temps… Quelle idée étonnante ! Tout se passe comme si ce simple compte changeait profondément l’existant, comme si un acte rituel, dont on a peine à mesurer la portée, donnait à notre vie un sens nouveau. Peut-on, en effet, affirmer avec plus d’éclat la grandeur de l’idée de progrès ? Souvenons-nous : les Juifs qui quittent l’Egypte, nouvellement libérés, sont alors au « 49ème degré de l’impureté ». Ils doivent pourtant, sept semaines plus tard, se tenir devant D.ieu au mont Sinaï, recevoir la Torah. Est-il seulement possible d’imaginer un tel passage ? Comment aller, en une si courte période, du plus profond des abîmes au sommet le plus élevé ? La tentation est grande de penser que, finalement, le défi est trop grand, peut-être insurmontable. Mais c’est ici que l’inattendu devient réalité : jour après jour, les Juifs gravissent les degrés du spirituel et, le moment venu, ils sont dignes de leur rencontre avec la Divinité.

Une idée nouvelle est ainsi apparue dans le monde : le progrès est possible. Les situations ne sont jamais figées et la volonté de l’homme, soutenue par l’aide Divine, est éternellement capable de réaliser des prodiges. Même si le point de départ paraît désespérément éloigné de celui d’arrivée, le voyage mérite d’être entrepris. Et ce voyage même est, en soi, une partie de la réponse. L’homme est enfin un être perfectible. Qui qu’il soit, il sait que tout peut toujours être amendé et que rien ne reste jamais fermé à qui le désire vraiment. Avec le compte de l’Omer, la liberté prend son plein sens. Les hommes savent à présent que plus aucune chaîne ne les entrave, même pas celles de l’histoire individuelle ou collective. Le progrès est né et il ne cessera plus d’enchanter la conscience des hommes. Et aujourd’hui, l’entreprise continue. De degré en degré, nous nous élevons jusqu’au but final qui nous ouvrira de nouveaux champs de l’histoire : la venue de Machia’h.

Etincelles de Machiah

 L’attente confiante

Dans son Michné Torah, Maïmonide (Hil’hot Mela’him, chap. 11) expose les lois relatives à Machia’h. Il y souligne notamment l’importance de l’attente de la venue de Machia’h et relève : « Celui qui ne croit pas en lui ou n’attend pas sa venue, renie non seulement les autres prophètes mais également la Torah et Moïse notre maître ».

L’insistance sur Moïse est chargée de sens. En effet, sa prophétie présente une solidité particulière dans la mesure où elle fut confirmée par le fait qu’au mont Sinaï, où elle retentit, chacun fut le témoin direct de la révélation Divine. Comme Maïmonide le souligne : « Chacun vit et entendit ». Ce fait confère à la prophétie de Moïse une « fiabilité qui dure éternellement » et donne à tous une confiance absolue dans l’avènement final de Machia’h.

Vivre avec la Paracha

 A’haré

La mort de Nadav et Avihou

Notre Paracha commence par le verset : « Et l’Eternel parla à Moché après la mort des deux fils d’Aharon, lorsqu’ils s’approchèrent de l’Eternel et qu’ils moururent » (Vayikra 10). Pourquoi la Torah ajoute-t-elle : « ils moururent » alors qu’il a déjà été mentionné : « après la mort des deux fils d’Aharon » ?

Le Midrach cite les explications suivantes : ils avaient pénétré le Saint des Saints ; ils ne portaient pas les habits sacerdotaux nécessaires pour leur service, ils n’avaient pas d’enfants et n’étaient pas mariés. Une seconde question se soulève donc : où le Midrach prend-il sa source ? Où dans la Torah ces fautes sont-elles évoquées ?

Bien plus encore : comment supposer que les deux fils d’Aharon, Nadav et Avihou, aient pu se rendre coupables d’un péché ? Le Midrach relate que Moché dit à Aharon : « Aharon, mon frère, je savais que le Sanctuaire serait sanctifié par ceux qui sont les bien-aimés et les proches de D.ieu. Maintenant je sais qu’ils (Nadav et Avihou) sont plus grands que nous deux ». Comment donc ces mêmes hommes ont-ils pu pécher ?

Une extase fatale

Une explication ‘hassidique avance que les deux fils d’Aharon ne péchèrent pas, au sens littéral. Leur « péché » fut celui de désirer s’approcher de D.ieu au point d’en mourir. Leur corps ne pouvait plus contenir leur âme. C’est pourquoi la Torah nous dit que « ils s’approchèrent de D.ieu (avec une telle passion) qu’ils moururent ». Et c’est cela qui est considéré comme une faute ! Car de même qu’un Juif doit se débarrasser de ses préoccupations matérielles au moment où il se tient plongé dans l’extase de son âme, il doit aussi revenir au travail que l’âme doit accomplir dans une existence matérielle.

Il est écrit dans les Maximes de nos Pères (Traité Avot 4 :22) « Contre ta volonté tu vis ». Face au désir de l’âme de s’élever au-dessus du monde, s’impose la tâche de créer une résidence pour D.ieu à l’intérieur du monde. Nadav et Avihou parvinrent à l’extase mais non au retour. C’était là leur faute et la raison de leur mort. Ils « s’approchèrent de D.ieu et moururent ». Ils permirent à leur passion spirituelle de l’emporter sur leur mission dans ce monde. Ils dépassèrent le monde et la vie elle-même.

Cet acte réside dans le cœur de chacune des quatre fautes évoquées par le Midrach.

Ils « pénétrèrent le Saint des Saints », les profondeurs les plus extrêmes de l’esprit, sans penser à leur retour dans le monde extérieur.

Ils ne « portaient pas les habits sacerdotaux », c’est-à-dire qu’ils étaient préoccupés par le fait de se dévêtir de l’habit du monde et de devenir purement spirituels. Ils avaient abandonné les vêtements nécessaires dans lesquels est vêtu le monde de D.ieu : les Mitsvot, les actions matérielles qui sanctifient un environnement matériel.

« Ils n’avaient pas d’enfants et n’étaient pas mariés », ils n’accomplissaient donc pas le commandement de D.ieu de croître et de multiplier et de faire ainsi venir de nouvelles âmes dans le monde. Ils firent tout le contraire. Ils retirèrent leur propre âme de ce monde.

Toutes leurs fautes proviennent d’une erreur unique : croire que le Juif doit s’approcher de D.ieu par le retrait du monde plutôt qu’en s’y investissant. Or les deux attitudes sont nécessaires. Et c’est la raison pour laquelle, le jour de l’année où nous sommes le plus éloigné des préoccupations matérielles, Yom Kippour, nous commençons la lecture de la Torah par ces versets, pour nous rappeler notre tâche ultime.

De l’expérience à l’action

Tous les récits de la Torah ont un enseignement qui s’applique à chaque Juif et pas seulement à ceux d’entre nous qui ont atteint une grandeur extraordinaire. Quelle est donc alors la portée universelle de l’histoire de Nadav et Avihou ? Il est sûr que tout le monde ne peut atteindre un niveau d’extase qui met sa vie en danger. Très peu ont besoin de cet avertissement mais qu’en est-il de tous les autres ?

Mais une chose est sûre, chaque Juif se trouve parfois réveillé par une expérience religieuse intense, le Chabbat ou les fêtes, tout particulièrement pendant les jours solennels qui précèdent les fêtes de Tichri et plus encore à Yom Kippour. Pendant un certain temps, il se trouve porté en dehors de sa routine quotidienne, de ses anxiétés habituelles et il s’élève intérieurement en dehors des confins de son mode de pensée ordinaire.

C’est à ce moment-là qu’il doit se rappeler que quelle que soit son expérience spirituelle de ce moment privilégié, il doit la ramener avec lui lorsqu’il revient dans son monde quotidien. Il ne doit pas rechercher l’extase ou l’inspiration en elles-mêmes mais le retour qui les suivra. Une expérience religieuse ne doit pas rester un souvenir ; elle doit rester active et animer l’ensemble de sa vie. Il doit rapprocher D.ieu et le monde dans une synthèse harmonieuse.

La bénédiction de D.ieu

Le lien entre la manière d’entrer et de sortir du royaume de la sainteté ne s’applique pas uniquement au service du Juif mais aussi au monde matériel lui-même. Car tous les besoins du Juif, qu’ils soient matériels ou spirituels, émanent directement de D.ieu : « si tu marches selon Mes statuts et que tu gardes Mes commandements et les accomplis, Je te donnerai la pluie en son temps et la terre donnera ses produits… » (Vayikra 26: 3-4). Ce n’est que par l’intermédiaire d’une solide attache avec D.ieu que le Juif se trouve comblé matériellement. Celui qui dit : «il me conviendra de marcher selon l’entêtement de mon cœur » est toujours, en dernière analyse, dans l’erreur.

Et c’est ce que nous intime notre Paracha par la description de la procédure du service du Grand Prêtre. Ce n’est qu’après être entré dans le Saint des Saints qu’il avait la possibilité de prier pour la subsistance du Peuple et l’assurer.

C’est donc que le monde public que le Juif habite et le monde privé de son expérience religieuse sont intrinsèquement liés. Car s’il transfère cette expérience dans le monde, ce dernier s’en trouve sanctifié par l’homme et béni par D.ieu.

Le Coin de la Halacha

 Pourquoi lit-on un chapitre de Pirké Avot, les « Maximes de nos Pères »,

chaque samedi après-midi, entre Pessa’h et Chavouot ?

Entre Pessa’h et Chavouot, nous nous préparons à revivre le don de la Torah au mont Sinaï. Pirké Avot est un traité talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales. En lisant un chapitre par Chabbat, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah.

Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces six chapitres tout au long de l’été jusqu’au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l’été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des Mitsvot : il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement.

Le Recit de la Semaine

 Deux Juifs, deux âmes…

Quand vous le voyez, vous avez l’impression que c’est un rabbin vénérable, avec une longue barbe blanche. Mais, de fait, il se présente actuellement comme « chamaane », une sorte de gourou des Andes…

Nous avons établi un contact de façon curieuse, grâce au groupe WhatsApp des trekers, ces touristes qui crapahutent dans les montagnes des Andes en quête d’émotions fortes, d’air pur, de sport, de vues à couper le souffle et… de spiritualité. Dans ce groupe, j’ai remarqué l’annonce d’un de ces promeneurs qui invitait tous les autres à des cérémonies typiques des indigènes des montagnes, bref un culte tout ce qu’il y a d’idolâtre.

Je lui ai écrit en privé et il m’expliqua qu’il s’agissait d’une expérience spirituelle. Je l’ai invité à visiter le Beth ‘Habad pour découvrir une « expérience de judaïsme authentique ». Il me répondit entre autres : « De fait, en vérité, le chamaane est aussi juif… Son père et sa mère sont originaires de Lituanie et sont arrivés jusqu’ici, en Bolivie. Et, d’une manière ou d’une autre, il est devenu chamaane des Andes…

Je me suis alors souvenu qu’il y a quelques années, j’avais organisé l’enterrement d’une femme juive d’Uruguay qui avait émis le souhait d’être enterrée en Bolivie car elle était née et avait grandi à La Paz (capitale de la Bolivie). Son fils était venu, accompagné d’une bande formée de toutes sortes de gens « bizarres », comme des membres de sectes plus étranges et même plus violentes les unes que les autres. Dans une telle situation, je n’avais pas vraiment réussi à parler avec lui… Par la suite, je me suis rendu en visite de condoléances pendant les Chiva, les sept jours de deuil. Il me raconta qu’il allait partir en Inde : je lui alors donné les numéros de téléphone des différents Beth ‘Habad édifiés en Inde, au cas où il aurait besoin de leurs services, par exemple pour réciter le Kaddich à la mémoire de sa mère pendant l’année de deuil comme le demande notre tradition.

Effectivement, il m’avait même écrit plusieurs fois de là-bas puis, soudain, plus de nouvelles : il avait sans doute changé de numéro de téléphone ou perdu tous ses contacts…

Et voilà qu’au bout de sept ou huit ans, ce promeneur m’invitait à une cérémonie idolâtre et renouait le lien avec nous. Nous devions nous rencontrer mais il attrapa soudain le corona et, ici, en Bolivie, la maladie sévit de façon très grave. Impossible de le rencontrer avant de longs mois, quand il pourra retourner à La Paz.

Hier, tôt le matin, nous nous sommes retrouvés dans sa maison. Au début, j’étais un peu angoissé : la maison était remplie de symboles religieux, d’épées, de sabres et de toutes sortes d’objets de culte idolâtre. Comment parviendrais-je à lui parler dans un tel environnement ?

Mais le cœur juif se révéla dans toute sa splendeur. Nous avons bavardé amicalement pendant une demi-heure puis il accepta de mettre les Téfilines. A ma grande joie, il m’étonna car il possédait encore un Talit ; les Téfilines qu’il avait reçus de son grand-père, il les avait donnés à son fils. Par « chance », j’avais sur moi un Siddour, un livre de prières traduit en espagnol. Après qu’il ait lu les bénédictions et le Chema en hébreu, il me demanda la permission de les lire en espagnol et il m’étonna par la concentration avec laquelle il lisait et comprenait chaque mot.

Bien entendu, après une telle prière, je lui laissai le livre en cadeau. Je lui expliquai l’importance de réciter le Chema matin et soir. Quand il apporta des fruits et de l’eau, je lui montrai les bénédictions dans le livre et cela l’intéressa prodigieusement.

Moi qui pensais le « rapprocher » du Rabbi et du judaïsme, il s’avéra qu’en fait, il avait passé la fête de Pessa’h à Crown Heights en 1993 ou 1994 mais avait été déçu de ne pas avoir mérité de voir le Rabbi, déjà malade à cette époque. Cependant, un lien s’était déjà forgé à ce moment. Nous avons décidé de nous rencontrer au moins une fois par semaine : il y aura donc certainement une suite à cette histoire.

Au fait, j’ai continué à correspondre avec le touriste qui m’avait mis en contact avec lui : il avait continué son voyage vers le Pérou et m’écrivit qu’il était justement en train de mettre les Téfilines avec les Loubavitch de l’endroit : le Bon D.ieu possède de nombreux émissaires !

En sortant de là, je reçus un appel d’un certain Rav : « C’est le bureau du Grand Rabbin d’Israël qui cherche à vous joindre… ». Moi ? Et Pourquoi ?

- Un juif vient de mourir et les gens veulent l’incinérer…

Quelques minutes plus tard, une femme en pleurs me téléphona d’Israël. J’ai eu tellement de mal à comprendre ce qu’elle voulait que son fils, à côté d’elle, m’expliqua la situation : le père de la dame était décédé et son fils (donc le frère de cette dame) avait décidé de l’incinérer. Cette femme était pratiquante et, apparemment, le frère et la sœur n’avaient plus de contact depuis des années. L’idée de brûler le corps de son père la révulsait, à juste titre. Dans deux heures, l’homme qui se prétendait athée passera à l’action, D.ieu préserve. Je lui téléphonai plusieurs fois jusqu’à ce qu’il accepte de me répondre. Il parlait hébreu. C’était un garçon charmant. Je lui fis part de mes condoléances. De fait, il habitait depuis plusieurs années à La Paz mais n’avait aucun lien avec la communauté juive. Il m’avait déjà aperçu dans la rue, avec mes enfants mais n’avait pas eu l’idée de m’approcher. Nous avons bavardé, j’ai évité de parler du sujet qui fâche. Nous avons convenu de nous rencontrer dans l’après-midi. Pendant ce temps, j’ai demandé à sa sœur qui se trouvait en Israël, de préparer tous les documents prouvant que le défunt était juif afin que la communauté accepte de l’enterrer dans son cimetière. De son côté, la secrétaire de la communauté contacta le jeune homme et lui expliqua, naïvement sans doute, comment se déroule un enterrement. Quant à moi, j’insistai sur l’importance d’un enterrement en rappelant que les nazis avaient tenu à brûler de façon horrible les corps de leurs malheureuses victimes. Il réalisa alors qu’en fait, il ne connaissait rien aux traditions et qu’il ignorait combien l’incinération était contraire à l’esprit du judaïsme qui considère que le corps doit être respecté et enterré dignement. Finalement, tout s’est arrangé : grâce à ses émissaires disséminés partout dans le monde, le Rabbi veille à chaque Juif, vivant ou non.

Ce fut compliqué (l’homme était mort du corona…) mais la cérémonie fut retransmise en direct aux enfants du défunt en Israël et en Hollande.

Après la cérémonie, l’homme accepta de mettre les Téfilines, ce qu’il n’avait pas fait depuis sa Bar Mitsva. Et nous restons en contact depuis.

J’ai encore de nombreuses histoires à vous raconter mais je dois me dépêcher pour préparer Chabbat pour nos 40 invités dans le Beth ‘Habad…

M. Kupchik - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Traduit par Feiga Lubecki

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