Il ne dort ni ne sommeille
Nous vivons une période qui semble difficile à bien des égards tant du point de vue historique – ne commémorons-nous pas la destruction du Temple et le début de l’exil ? – que dans l’actualité, qu’elle soit celle d’Israël ou de France. Et monte l’interrogation hélas trop fréquente dans la conscience juive : peut-on encore vivre avec ce sentiment de sérénité indispensable à tout homme dans toute société ? Peut-on toujours se sentir libre d’aller et de venir en paix ? Peut-on, où que l’on soit, avoir une confiance sans faille dans l’avenir ? Les réponses à de telles questions sont littéralement essentielles. Car elles déterminent seules ce que peut devenir le monde qui nous entoure et comment chacun d’entre nous y aura sa place.
Il est clair que nul ne sait de quoi sera fait l’avenir et que toutes les spéculations, aussi étayées soient-elles, ne portent pas bien loin. Il est également clair que, partout, toutes les dispositions doivent être prises afin de garantir la sécurité des biens et des personnes. Cependant, au cours de sa si longue histoire, le peuple juif a connu assez de vicissitudes pour que son expérience lui serve de guide. Il est ainsi conscient depuis bien longtemps que sa vie, au travers des siècles et en dépit de tout, repose sur des éléments qui dépassent largement ceux que l’observation humaine a coutume de relever. En d’autres termes, pour lui et pour son existence maintenue, les ressorts de l’action sont ailleurs. L’étonnante longévité du peuple juif, issu de l’antiquité reculée et si intensément présent dans la modernité, ne peut s’expliquer par le seul enchaînement logique et prévisible des choses. Une telle conception ne résiste du reste guère à l’analyse.
Comme dans bien des cas, c’est dans une plus profonde vision juive que la clé peut être trouvée. Le peuple juif n’est pas une entité créée par des accidents de l’histoire que d’autres accidents pourraient détruire, qu’à D.ieu ne plaise. Il est un peuple désigné pour accomplir une mission au cœur de l’univers pour toute l’humanité. Et celle-ci portera le monde à son accomplissement, y établissant la résidence Divine. Ses actes ne se limitent donc pas à leur apparence, ils ont toujours une portée autre. Devant l’adversité, nous savons ainsi voir plus loin, avoir confiance, continuer la route, vivre pleinement : «Il ne dort ni ne sommeille, le Gardien d’Israël.»
Le sens profond de l’exil
«Bein Hamétsarim», la période qui s’étend entre le 17 Tamouz et le 9 Av, a une durée de trois semaines. Or le Talmud enseigne que le chiffre trois représente une certaine force, désigne une chose fixée.
Cela contient ici une allusion. L’intention profonde de la destruction du Temple et de l’exil est de parvenir à la grandeur du troisième Temple. Il s’agit d’une «chute pour parvenir à l’élévation».
(D’après Séfer Hasi’hot 5751 vol .2 p. 584)
Massé: Aller de l’avant
Les signes vitaux
«Vie» et «activité» sont des termes presque synonymes car le mouvement est l’un des signes vitaux fondamentaux. La matière inerte est limitée au lieu où elle se trouve ou à sa trajectoire particulière alors qu’une entité comme l’âme a la capacité de se déplacer selon son choix.
Plus encore, en ce qui concerne l’être humain, la tendance vers le mouvement physique, mental et spirituel exprime elle-même un désir d’ascension. L’homme cherche toujours à grandir et avancer. Cela est certainement vrai en ce qui concerne notre service divin. Car chacun possède, dans les profondeurs de sa conscience spirituelle, le désir de se dépasser, la volonté d’aller au-delà de ses propres limites et de gagner ainsi un sentiment d’accomplissement, en développant un lien avec sa source divine infinie.
Les voyages personnels
Ces concepts se retrouvent dans la Paracha de cette semaine : Massé. Massé signifie «voyages» et en effet, la Torah y énumère les 42 étapes du voyage entrepris par la nation juive naissante, depuis la terre d’Egypte jusqu’à son entrée en Erets Israël. Le Baal Chem Tov explique que ces 42 étapes du voyage de notre peuple sont reflétées dans la vie de chaque individu lorsqu’il procède de sa naissance, sa «sortie d’Egypte» personnelle, jusqu’à son entrée dans «la terre de Vie», la contrepartie spirituelle d’Erets Israël.
Tout ce voyage dans le désert (et dans la vie) a pour but de renvoyer à un développement spirituel constant. Même les étapes associées à des événements négatifs ont une influence qui est, à leur source, positive.
Prenons un exemple. L’un des campements du Peuple Juif était appelé Kivrot Hataava, «les tombes de [ceux qui étaient possédés par] des envies irrésistibles». Les Juifs y enterrèrent ceux qui avaient été punis pour leur désir insatiable pour la viande (Bamidbar 11 :15).
Le nom Kivrot Hataava indique littéralement «les tombes du désir». Cela signifie qu’en ce lieu, les Juifs allaient atteindre un tel désir de se lier à D.ieu qu’ils «enterrreraient» toutes leurs aspirations matérielles. Cependant, puisque D.ieu désire que les Juifs parviennent à leurs accomplissements spirituels par leurs propres moyens, Il leur donna le libre-arbitre, et dans ce cas précis, les Juifs échouèrent. Cependant, malgré cet échec, l’élan associé à cet endroit et le potentiel correspondant, que chaque Juif peut accomplir, sont positifs.
Cela va encore plus loin. Quand un homme ne réalise pas, de prime abord, le potentiel positif d’une étape particulière de sa vie et faiblit, face au défi spirituel auquel il est confronté, il doit savoir que son «voyage» n’est pas terminé. Il ne s’agit que d’une étape et une régression temporaire peut finalement conduire à une ascension, si elle est corrigée par le service de la Techouvah.
Campement ou voyage ?
Les concepts que l’on vient d’évoquer soulèvent une question à propos de la terminologie utilisée par la Torah. Comme cela a été mentionné, le mot massé signifie «voyages». Or dans la Torah, le sens du terme est «campement». D’une perspective linguistique, cette utilisation ne présente pas de difficulté dans la mesure où Rachi a précédemment commenté (Bamidbar 33 :1) : «Puisque [les Juifs] vont par la suite partir du lieu de ces campements, il convient de les décrire avec le terme massaot» (forme plurielle). Néanmoins, le fait que chaque campement soit explicitement nommé semble mettre l’accent sur ces étapes elles-mêmes.
Pourquoi donc la Torah s’y réfère-t-elle donc d’une façon qui souligne leur nature temporaire ?
Le but de notre service divin
On peut expliquer que la Torah utilise le terme massaot, «voyages» parce qu’il s’agit ici de l’expression du potentiel humain ultime. Comme cela a été dit, notre potentiel spirituel s’exprime dans le fait de pouvoir dépasser les circonstances immédiates. C’est pour souligner ce potentiel et pour établir son expression comme l’un des buts du service de D.ieu, que la Torah appelle ces campements massaot.
Mise en place du changement
Chaque avancée comporte deux phases : le départ de l’état précédent et l’approche de l’état suivant. Massé souligne tout particulièrement le départ. Qu’est-ce à dire ? Quand une personne peut voir sa destination, sa progression est définie. Massé, par contre, souligne le fait de se mettre en route vers des horizons inconnus puisque les Juifs suivaient, dans le désert, la colonne de nuée. Pour parvenir à un changement radical, il faut prendre un engagement absolu à changer.
L’ultime voyage
A propos du verset «Voici les voyages des enfants d’Israël qui quittèrent la terre d’Egypte», Rabbi Chnéor Zalman demande : «C’est en un voyage, de Ramses à Soukkot, que les Juifs quittèrent l’Egypte. Pourquoi les voyages suivants sont-ils associés à l’exode d’Egypte ?».
Il explique donc que le terme «voyages» est utilisé au pluriel parce que chaque voyage du Peuple Juif, au cours des siècles, commence «de la terre d’Egypte» (un état de limitations) et se dirige vers Erets Israël (l’état de la liberté ultime qui sera vécu à l’Ere de la Rédemption).
Se concentrer sur ce but ultime rend nos accomplissements secondaires. Car malgré leur grandeur, ils sont minimisés par la conscience du but ultime, la venue de Machia’h.
L’individu et le tout
Le voyage de l’humanité en tant qu’entité se retrouve dans le voyage personnel de chaque individu. Car chacun doit réaliser qu’il a sa propre mission à accomplir et un rythme à suivre pour le faire. Pour certains, le voyage implique d’aller au-delà d’états de conscience spirituelle déjà définis. Pour d’autres, cela implique se retenir de se plonger dans la matérialité et entreprendre le voyage vers plus de spiritualité.
Cependant, un dénominateur commun unit tous ces voyages individuels. Ils impliquent tous «un départ de l’Egypte» car même le statut le plus élevé est limité par rapport au but ultime. Et aucun de ces voyages n’a un objectif égocentré. Ils sont tous des étapes dans notre progression vers ce but.
Par un seul voyage, une personne peut quitter son Egypte personnelle et rejoindre le progrès de l’humanité vers la Rédemption. Et ce premier voyage en initie d’autres dans une séquence qui continuera jusqu’à ce que l’objectif ultime soit atteint et que nous pénétrions tous en Erets Israël, sous la conduite de Machia’h.
Quand commencent « les neuf jours » ?
A partir de Roch ‘Hodech Av (cette année lundi 28 juillet 2014), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin (sauf Chabbat) en souvenir des jours terribles qui aboutirent à la destruction du Temple de Jérusalem.
On ne fait pas de couture, on ne lave pas de linge (sauf pour les petits enfants ou les grands malades) et on ne repasse pas. On ne met pas de vêtements fraîchement lavés et repassés, sauf s’ils ont déjà été portés quelques instants avant cette période. On ne prend pas de bain et on évite les pratiques sportives dangereuses (par exemple la baignade en piscine ou à la mer).
On évite de passer en jugement.
Ces interdictions prennent fin le mercredi 6 août (10 Av) à midi.
Qu’est-ce qu’un Siyoum ?
Un « Siyoum » est une fête qu’on organise lorsqu’on a achevé l’étude d’un traité talmudique. Le Rabbi avait demandé qu’on organise un Siyoum pendant chacun des «neuf jours» puisqu’une telle joie sainte est permise durant cette période. On peut participer à un Siyoum sur certains sites Internet comme celui de Radiorcj.info ou en écoutant chaque jour à la radio juive une personne qui achève l’étude d’un traité. Restez à l’écoute !
« Mon émissaire personnel »
Le Rabbi a fait partie de ma vie depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. Peut-être le souvenir le plus lointain que j’en ai date de ma première coupe de cheveux, à l’âge de trois ans, comme le veut la coutume. Toute notre famille avait eu le privilège de pouvoir entrer dans le bureau du Rabbi pour une audience privée. Mes parents discutaient avec le Rabbi de sujets très importants tandis que moi, enfant turbulent de trois ans, je m’amusais et explorais le bureau en jouant. Le Rabbi se pencha vers moi et me tendit une pomme qu’il avait prise de son tiroir. Je n’avais jamais vu une aussi belle pomme : maintenant je sais qu’il s’agissait d’une pomme Golden Delicious.
Je me mis à saliver ; le Rabbi me sourit et me dit : «Prononce la bénédiction !».
La bénédiction correcte, bien sûr, est Boré Peri Haètz, «…Qui a créé le fruit de l’arbre». Mais je m’embrouillai et prononçai la bénédiction Chéhakol Nihya Bidvaro «…Qui a tout créé par Sa parole».
Mon père qui était un grand ‘Hassid, d’une immense humilité et d’une très grande bonté dut être horrifié de ma sottise ; je pouvais voir la sueur perler sur son front. Son jeune fils venait de se tromper de bénédiction juste devant le Rabbi ! Que pouvait-il arriver de pire ?
Mais le Rabbi calma immédiatement la situation et déclara : «Il n’y a aucun problème parce que la bénédiction Chéhakol rend quitte de toute autre bénédiction !». Et l’atmosphère se détendit par ce que le Rabbi avait dit. Bien sûr, telle est la loi tranchée : si, par erreur, on a prononcé Chéhakol au lieu de Haètz, on est quand même quitte de la bénédiction.
* * *
Avant ma Bar Mitsvah, ma famille fut reçue à nouveau par le Rabbi et cette audience, plus qu’aucune autre, je ne l’oublierai jamais. Après avoir parlé avec mon père, le Rabbi se tourna vers moi et me parla comme un général parle à ses soldats : «Quand tu grandiras, tu deviendras mon émissaire personnel !». Ces mots me touchèrent très, très profondément – bien que j’aie été encore très jeune. Et ce sont ces paroles qui ont donné tout son sens à ma vie et qui sont devenues la lumière qui me guide encore aujourd’hui. A partir de ce moment, j’ai ressenti un lien très spécial avec le Rabbi, quelque chose qui m’a aidé dans les moments difficiles et qui m’accompagne quand tout va bien également.
* * *
En 1980, je suis devenu Chalia’h (émissaire) du Rabbi en Californie, dans le quartier nord de Los Angeles qu’on appelle The Valley. Et là, je souhaite raconter combien le Rabbi avait d’influence sur ma communauté.
Un de nos grands donateurs s’enrichissait surtout à la Bourse : actions, obligations et que sais-je encore. Puis il décida d’investir presque toute sa fortune dans l’immobilier mais cela ne lui réussit pas trop. Il risquait de perdre tout son argent. Inutile de décrire sa déception qui frôlait même la dépression. J’écrivis immédiatement au Rabbi pour lui. Et le Rabbi répondit : «Vérifiez ses Téfilines et ses Mezouzot, je penserai à lui dans mes prières».
Nous avons donc procédé à l’examen attentif de ses Mezouzot : il avait une vaste demeure et donc de nombreuses Mezouzot, ce qui nous a pris beaucoup de temps. Nous avons aussi vérifié ses Téfilines. Les Mezouzot étaient correctes mais il y avait de petits problèmes avec les Téfilines et nous avons procédé aux corrections qui s’imposaient. Cependant, sa situation financière ne s’améliora pas, loin de là et devenait même dramatique. J’écrivis de nouveau au Rabbi qui, cette fois-ci, demanda uniquement : «Vérifiez les Mezouzot». Il n’avait pas mentionné les Téfilines et nous en fûmes soulagés. Nous avons de nouveau vérifié toutes les Mezouzot sans rien trouver de répréhensible. En attendant, l’homme continuait à perdre de l’argent, beaucoup d’argent !
J’écrivis au Rabbi pour la troisième fois et il répondit encore : «Vérifiez les Mezouzot !».
Nous savons qu’une Mezouza a la capacité étonnante de protéger une personne à l’intérieur comme à l’extérieur. Elle suscite la plus grande protection divine. Nous n’avons donc pas pris à la légère la directive du Rabbi, surtout qu’il nous demandait cela pour la troisième fois.
Je fis appel à un spécialiste des lois des Mezouzot, Rav Aharon Abend de North Hollywood. Il se rendit avec nous au domicile de cet homme et nous avons réfléchi ensemble où pouvait se cacher le problème.
Soudain la maîtresse de maison se souvint : «Nous avons une porte dans le jardin que nous avons condamnée. C’est encore une porte mais nous ne l’utilisons plus. La végétation l’a presqu’entièrement recouverte et je pense que nous n’avons pas vérifié la Mezouza !»
Nous avons couru dans le jardin, nous avons écarté les herbes folles qui poussaient tout autour et effectivement, nous avons trouvé une porte condamnée avec une petite Mezouza. Quand nous l’avons examinée, nous avons trouvé un problème : dans la dernière phrase «Kimé Hachamayim Al Haaretz», il manquait les deux derniers mots : Al Haaretz, c’est-à-dire «sur la terre», ce qui est une allusion claire à l’immobilier !
La Mezouza fut corrigée et l’homme retrouva toute sa fortune !
Imaginez-vous : le Rabbi était à Brooklyn et pourtant il savait qu’il se trouvait une Mezouza en Californie – de l’autre côté du continent nord-américain – qui avait un problème. Il nous demanda de la corriger non pas une fois, non pas deux fois mais trois fois jusqu’à ce qu’on localise le problème ! C’est absolument incroyable !
Rav Mordechai Einbinder – JEM – Avner Institute
Traduit par Feiga Lubecki