Le Chabbat précédant Pessa’h est appelé «le Grand Chabbat» (Chabbat Hagadol) parce qu’un grand miracle eut lieu en ce jour…
Pourquoi [la commémoration de ce miracle] ne fut-elle pas instituée le 10 Nissan, quel que soit le jour de la semaine où cela tombe, comme toutes les commémorations [qui sont instituées le jour même] ? (Chou’han Harou’h HaRav , Ora’h ‘Hayim 430,1)

Dans le calendrier juif, pour distinguer un certain jour, nous nous référons à deux mesures de temps différentes : le cycle hebdomadaire de sept jours et le cycle lunaire de vingt-neuf jours et demi, ce qui nous donne des mois alternant entre vingt-neuf et trente jours. Ces deux systèmes de mesure du temps ne sont pas synchronisés : la position du jour dans le mois n’a aucune incidence sur sa position dans la semaine. Ainsi si le 10 Nissan tombe Chabbat une année, il se peut que l’année suivante, il tombe un lundi etc. Mais cette absence de synchronie entre le jour et le mois est due au fait que ces deux cycles temporaires reflètent deux domaines complètement différents de notre vie.

Le mois miraculeux
La semaine de sept jours constitue le cycle de temps naturel. D.ieu créa l’univers en sept jours, six jours d’implication créatrice suivis d’un septième jour de repos et de retrait. C’est ainsi qu’un cycle hebdomadaire de sept jours de travail et de repos s’est enraciné dans la création comme une horloge naturelle. C’est là le sens de la Mitsva du Chabbat.
Mais D.ieu veut plus, plus que notre développement de Son monde en harmonie avec son cycle créatif. Il veut que nous soyons des faiseurs de miracles : que nous nous réinventions et transcendions constamment les restrictions de la normalité et de la convention. C’est à cette fin que D.ieu introduisit le calendrier lunaire dans notre vie, nous instruisant, dans la première Mitsva qui nous fut commandée en tant que peuple, d’établir un calendrier basé sur les phases de la lune.
Par opposition à la semaine régulière, monotone, le mois lunaire change et se régénère sans cesse. Tout comme la lune naît et grandit dans le ciel de la nuit, le mois lunaire suit ce rythme. En fait, le mot hébreu pour «mois» - ‘Hodech, signifie «renouvellement». Car, alors que la semaine représente le potentiel humain naturel, le mois lunaire évoque ce qui est innovant, original et miraculeux dans nos accomplissements.
Cela explique pourquoi toutes les fêtes du calendrier juif sont établies en accord avec le jour du mois plutôt qu’avec le jour de la semaine. Les fêtes représentent une transcendance de l’ordre naturel, l’Exode à Pessa’h, les miracles de ‘Hanouka et Pourim, etc. Chaque année, quand ces jours reviennent, il nous est offert des occasions pour nous approvisionner à ces réservoirs de surnaturel et de les transformer en miracles personnels.

La mutinerie des premiers-nés
Il existe néanmoins une exception à cette règle, un cas pour lequel la date de l’événement miraculeux dans notre histoire est identifiée pour la postérité avec sa place dans le cycle hebdomadaire. Cette exception est «Chabbat Hagadol», le grand Chabbat, qui commémore un «grand miracle» qui eut lieu peu de temps avant notre sortie d’Egypte.
Ce miracle se produisit le 10 Nissan 2448 (1313 avant l’ère commune), cinq jours avant l’Exode. Le Peuple Juif quitta la terre d’Egypte le jeudi 15 Nissan, si bien que le Chabbat précédent était le 10 Nissan. Mais au lieu de commémorer le miracle à la date correspondant sur le calendrier lunaire, ce que l’on fait pour toutes les autres fêtes ou dates commémoratives, cet événement est rappelé chaque année le Chabbat qui précède Pessa’h.
L’on trouve diverses explications pour cet écart de la norme. Mais le nom donné à ce jour, Chabbat Hagadol, suggère également une raison plus profonde, liée au sens même du Chabbat et du cycle hebdomadaire.
Que se passa-t-il en ce jour, cinq jours avant la sortie d’Egypte ?
A la veille de son départ, le peuple juif reçut l’ordre d’apporter «un sacrifice pascal (Korban Pessa’h) à D.ieu». Chacun devrait le préparer le 10 du mois, le garder vivant jusqu’au 14 et l’offrir alors en sacrifice. A ce moment Dieu « passerait sur l’Egypte » et abattrait tous les premiers-nés. Le Talmud relate ce qui eut lieu lorsque 600.000 Juifs commencèrent à rassembler leurs agneaux le 10 Nissan. L’agneau étant divinisé en Egypte, cela créa un effarement dans le pays. Les premiers-nés égyptiens, qui détenaient les positions sociales et religieuses clé dans la société égyptienne, demandèrent aux Juifs la raison de leurs agissements. Et les Juifs leur expliquèrent ce qui allait se passer.
Les premiers-nés égyptiens, qui avaient déjà été témoins que les neuf premières plaies s’étaient passées exactement comme Moché l’avait annoncé, furent, à juste titre, alarmés. Ils se rendirent donc chez le Pharaon en exigeant que les Juifs soient immédiatement libérés. Quand le tyran refusa, les premiers-nés prirent les armes contre les troupes du pharaon en faisant de multiples victimes. Cet événement trouve son écho chez le Psalmiste qui chante : «[Remerciez D.ieu] qui frappa les Egyptiens par leurs premiers-nés»

Où est le miracle ?
Mais qu’y avait-il de si exceptionnel dans ce miracle ? Après tout, toute l’Egypte avait été, à neuf reprises, le témoin de l’efficacité absolue des plaies précédentes (ce qui est étonnant est l’étendue de l’entêtement de Pharaon, rendu seulement possible par le fait que «D.ieu endurcit son cœur»). Bien plus, leur mutinerie échoua. Et nos conditions en Egypte restèrent inchangées après les événements du Grand Chabbat !
Cela explique la raison pour laquelle ces événements appartiennent à ce qui est «hebdomadaire» ou naturel dans le cycle temporel de notre vie plutôt qu’à son orbite mensuelle ou miraculeuse. Le «grand miracle» fut en fait un événement tout à fait normal à la fois dans les prévisions de ses développements et dans le fait qu’il ne changea rien à la nature essentielle des circonstances dominantes. Et pourtant, nous célébrons cet événement comme un miracle, en fait un unique «grand miracle» ! Car la véritable grandeur ne réside pas dans le retournement des circonstances de notre existence mais dans le travail à l’intérieur même de ces circonstances pour les rendre miraculeuses.
C’est ce que nous avons accompli en Egypte le «grand Chabbat». Nous étions les esclaves des Egyptiens et pourtant, nous refusâmes d’être intimidés par une société qui déifiait la matérialité et proclamait qu’un agneau était un dieu. Nous nous mîmes à abattre l’idole de nos maîtres. Sans hésitation, nous expliquâmes nos actes aux chefs de la superpuissance qui nous dirigeait.
Ce Chabbat Hagadol, eut lieu une transformation. Non un changement qui bouleversa les paramètres naturels de la réalité mais une transformation dans laquelle la réalité elle-même fut convertie à notre cause. En agissant courageusement dans l’accomplissement de la volonté divine, nous réussîmes à obliger les membres les plus prestigieux de la société égyptienne à se battre pour notre rédemption. Ainsi ce Chabbat donne un puissant exemple de la dimension du «temps naturel» dans notre vie.