Ne cuisinez pas le veau dans le lait de sa mère (Chemot 23:19).
La viande a son origine dans l’attribut divin de justice, le lait dans celui de la miséricorde (Chaloh).
Dans le monde futur de Machia’h, l’interdiction de mélanger la viande et le lait sera annulée (Rabbénou Be’hayé).
Le monde de l’expérience de nos cinq sens est diversifié et présente de nombreuses facettes. Nous faisons la distinction entre la matière et l’esprit, la lumière et l’obscurité, l’animé et l’inanimé, le masculin et le féminin; nous faisons entrer dans des catégories les plantes et les animaux, selon leur espèce, et évaluons les minéraux selon leur valeur marchande. Mais dans quelle mesure ces distinctions sont-elles réelles ?
Car nous ressentons également une unité dans l’univers. Cette unicité sous-jacente complète notre perception spirituelle de la réalité: toute entité et toute force existantes ne sont qu’une seule expression de la vérité singulière de D.ieu, Qui les a créées dans un but unique et unificateur.
En fait, la pluralité de notre monde fait partie intégrante du dessein divin pour l’existence. Au cours des six jours de la création, nous voyons D.ieu faire des catégories d’espèces et placer les limites entre la lumière et l’obscurité, la matière et l’esprit, la terre et la mer. Et de fait, le Nom divin qui connote l’implication de D.ieu dans la création, Elokim, est au pluriel, mettant l’emphase sur l’implication spécifique de D.ieu dans les détails et les distinctions qui marquent Sa création.
C’est pourquoi, la Torah, les instructions que D.ieu communique à l’humanité, ne fait pas que “séparer entre le pur et l’impur”, définissant le permis et l’interdit, mais interdit également le mélange des espèces et des catégories dans le domaine du permis lui-même. La Torah précise les animaux dont le Juif peut manger le lait et la viande, et les espèces dont le lait et la viande sont interdits; mais elle interdit également la consommation du lait et de la viande cuits ensemble, même si chacun, seul, est autorisé. De la même façon, les lois des Kilayim (hybrides) interdisent de porter un vêtement combinant le lin et la laine, le croisement de certaines espèces animales et la greffe ou les semailles de certaines espèces végétales.
Trois catégories
Toutefois, il existe des exceptions. Malgré l’interdiction de mélanger le lin et la laine dans la confection d’un vêtement, la Torah donne l’instruction spécifique d’élaborer un tel mélange pour fabriquer plusieurs des habits sacerdotaux portés par les Cohanim dans leur service du Beth Hamikdach (le Saint Temple). Et également, juste après l’injonction: “ne portez pas de Chaatnez - lin et laine ensemble”, la Torah nous commande “faites des franges aux quatre coins de vos habits”, le Talmud nous expliquant qu’il est permis de mélanger la laine et le lin pour observer la Mitsva des Tsitsit.
Cependant, la permission de mêler deux espèces pour accomplir une Mitsva n’est accordée que dans le cas des Tsitsit. En ce qui concerne les autres interdictions des Kilayim, nous ne trouvons aucune autre exception. Et d’ailleurs, à propos de la viande et du lait, la Torah va même jusqu’à nous instruire spécifiquement qu’ils ne peuvent être combinés, même dans le but de servir D.ieu.
Dans Chemot 23:19, nous lisons: “les premières récoltes de votre terre, vous les apporterez à la Maison de l’Eternel, votre D.ieu; ne cuisez pas un veau dans le lait de sa mère”. Pourquoi ces deux lois, apparemment sans lien, sont-elles citées dans le même verset? Le Midrach explique que la Torah désire préciser que l’interdiction de mélanger la viande et le lait s’applique également dans le cas de la cuisson des Kodachim, la viande sainte des offrandes apportées à D.ieu dans le Beth Hamikdach.
Une observation attentive nous permet de distinguer trois catégories de mélanges interdits:
a) le mélange de lin et de laine ;
b) la cuisson de la viande avec du lait, interdite spécifiquement par la Torah, même pour des desseins exclusivement saints.
c) l’interdiction sans équivoque de croiser les plantes et les animaux.
Une paix graduelle
Le but proclamé de la Torah est de “faire la paix dans le monde”. Faire la paix signifie unir et intégrer, rassembler des éléments divergents, des individus et des peuples en une entité harmonieuse. Aussi le prophète Tséphania décrit-il l’ère messianique, la réalisation du plan de la Torah pour la vie sur terre, dans ces termes: “Alors Je convertirai toutes les nations dans un langage plus pur pour qu’elles clament le Nom de D.ieu pour Le servir dans un consentement uni”. Aujourd’hui, l’humanité et la nature sont fragmentées et en conflit, puisque chacun de leurs composants multiples cherche l’accomplissement et la réalisation par des voies différentes et conflictuelles. La Torah vient apporter à tous un dessein unique, les unifier dans le but commun de servir leur Créateur.
Comment concilier cela avec le rôle de la Torah décrit plus haut qui renforce les limites? N’avons-nous pas affirmé que la Torah différencie et distingue, préserve les démarcations de la création de D.ieu ?
En réalité, toutefois, il n’y a pas de contradictions. La paix ne consiste pas à effacer les frontières et à oblitérer les identités. La paix ne dicte pas aux nations et aux individus de désavouer leur particularisme et de fusionner en un tout sans distinction. Bien au contraire, une telle “paix” est toujours superficielle et artificielle, puisqu’elle va à l’encontre de la nature et de l’essence de ses partenaires et en dernier ressort elle se désintègre en chaos et anarchie. La paix véritable est un état dans lequel les entités diverses unissent leurs forces vers un but commun, chacune contribuant à l’accomplissement de cette harmonie par ses qualités distinctes.
Et c’est là que réside le sens profond de ces trois catégories de mélanges définies par la Torah.
Croiser des espèces différentes est toujours négatif, même lorsque l’objectif est une Mitsva, l’acte ultime de servir le Tout Puissant. Le croisement crée une créature nouvelle, hybride, qui n’est ni l’un ni l’autre de ses géniteurs, une créature dans laquelle les différences entre les deux espèces ont été éradiquées. La frontière définie de la création est effacée, causant un hiatus plutôt qu’une consolidation, dans le développement universel de la paix.
Par ailleurs, la combinaison du lin et de la laine dans la confection d’un vêtement ne viole l’intégrité d’aucun de ces composants. La laine reste de la laine et le lin reste du lin.
Néanmoins, une telle combinaison, quand elle est utilisée à des fins profanes ou personnelles, est négative et destructrice. Certains éléments (comme le lin et la laine) représentent des forces spirituellement divergentes qui vont inévitablement se confronter plutôt que s’unifier. Selon les Cabalistes, la laine représente le ‘Hessed (la bienveillance) et le lin la Guevoura (la sévérité, la retenue). C’est pourquoi la Torah a interdit leur union. Ce n’est que lorsqu’elles sont unies dans la réalisation ultime de leur dessein: servir leur Créateur, que ces forces convergent harmonieusement plutôt que de façon conflictuelle.
Une troisième catégorie, qui se place entre les deux précédentes, est le mélange, par la cuisson, du lait et de la viande. Ici, l’effacement de la distinction n’est pas si absolu que dans le cas du croisement, où la quintessence des deux espèces (c'est-à-dire leur force de reproduction) a été effacée : seules les propriétés physiques (le goût, l’arôme, la couleur etc.) de la viande et du lait sont mêlées mais leurs substances essentielles restent inaffectées. C’est pourquoi la Torah doit spécifiquement indiquer qu’il n’en est rien, la cuisson de lait et de viande est une violation plus sévère des frontières de la création que le Chaatnez.
Une vue future
Citant des sources de la Cabbale, Rabbénou Bé’hayé (Rabbi Bé’hayé ben Acher 1265?-1340?) écrit qu’à l’époque de Machia’h, l’interdiction du mélange du lait et de la viande sera abolie.
Le monde de Machia’h est un monde dans lequel “ton Maître ne sera plus enveloppé de mystère; tes yeux verront ton Maître”, un monde dans lequel la matérialité de notre existence ne renfermera plus et ne cachera plus l’Essence divine de la réalité.
La combinaison du lait et de la viande sera permise parce que deux changements auront lieu. Tout d’abord, la vie ne consistera plus en domaines “profane” et “saint”. Dans un monde imprégné de l’immanence et de la conscience de D.ieu, tous nos actes et nos accomplissements seront des actions saintes, des actions en harmonie parfaite avec la raison d’être de chaque création.
D’autre part, notre perception de la réalité sera plus profonde et plus vraie qu’elle ne l’est aujourd’hui. Dans la réalité superficielle que nous habitons aujourd’hui, le lait et la viande cuits ensemble sont devenus virtuellement un seul aliment; nous n’avons pas accès aux différentes forces combinées ensemble. C’est donc Kilayim, une destruction des frontières naturelles. Mais à la lumière de leur quintessence, la viande et le lait restent deux entités, aussi complètement qu’ait pu être effectué le mélange ; en fin de compte, ils ressemblent à la combinaison du lin et de la laine du Chaatnez, plutôt qu’à la réalité hybride des Kilayim des animaux et de végétaux croisés. Dans la réalité de Machia’h, une telle combinaison ne compromettra pas l’unicité de chaque élément. En réalité, lorsque l’essence spirituelle de chaque chose sera réelle et tangible, la viande et le lait représenteront un véhicule de véritable harmonie dans lequel les éléments variés de la création de D.ieu s’unissent pour Le servir.
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- Publication : 15 février 2020