Voilà déjà quelques mois, un vendredi après-midi, deux garçons arborant de larges feutres noirs l'ont arrêtée dans une rue du quartier du Marais.


Elle leur avait confirmé qu'elle était juive (rue des Rosiers, au cœur de ce qui reste de l'antique quartier juif de Paris, ça n'était pas vraiment un scoop).

Ils voulaient la convaincre d'allumer deux bougies. Pour D.ieu. Pour changer le monde. Pour Chabbat. Mais elle a dit « non ». Carrément, fermement, « non » !

Pourtant, elle avait toujours cherché un sens à sa vie. L'argent, la « réussite » sociale, ça ne pouvait pas être suffisant. Même les magazines bourrés de pubs le disaient.

Mais elle ne pensait pas avoir besoin de D.ieu, pour autant : trop encombrant quand on vit dans ce monde là. Peut-être pas assez « fashion » non plus, pas adapté à la tyrannie des apparences. Du sens oui, mais il faut que la photo plaise. Les deux jeunes gens lui étaient apparus sympathiques mais un peu hors du temps : alors, elle avait dit « non ».

Quelques semaines plus tard, même heure même endroit : elle repassait par là. C'était une semaine après Kippour (à Kippour, en fin de journée, elle avait fait une brève visite à une synagogue du quartier. Juste comme çà, pour marquer le coup). Donc, les deux jeunes étaient là. Cette fois, ils lui demandèrent d'agiter une branche de palmier avec des végétaux autour et une sorte de gros citron.

Allez savoir pourquoi, elle a accepté. Peut-être pensez-vous que là, sur le pavé parisien, elle a eu une manière de révélation immédiate, un tremblement intérieur ? Si tel était le cas vous auriez tort : elle n'a rien ressenti.

C'est seulement un peu plus tard, dans la soirée, qu'elle a éprouvé comme une différence. N'exagérons rien : une minuscule différence. Une sorte de contentement intime.

Un peu de temps a passé. Maintenant, tous les vendredis soirs, à l'heure requise, elle allume ses bougies de Chabbat. Qu'est-ce qui a changé ? Elle ne saurait le dire très précisément. Elle vit toujours dans ce monde là, bruyant et vulgaire, et si beau parfois aussi. Et elle en occupe toujours les quatre dimensions. Mais elle en a découvert une cinquième et son exploration est passionnante, vachement passionnante.

Daniel COHEN