Il pense, dans son bocal confiné
Enfin quoi ! Serait-il un autre monde
Un ailleurs vers où je pourrais voguer
D’autres eaux qu’en ma demeure ronde ? Voilà donc un poisson philosophe qui parcourt inlassablement son univers sphérique. L’eau en est toujours maintenue parfaitement claire et une nourriture qui lui convient à merveille apparaît régulièrement à sa surface. Quel est donc ce prodige, s’interroge entre deux bulles notre poisson.
Sans doute, en effet, le bocal a-t-il un au-delà. Mais, aussi philosophe soit-il, que pourrait en penser notre poisson ? Quand on a derrière soi une vie déjà longue, surtout pour un poisson rouge, et qu’elle a été vécue dans un petit monde humide, comment penser les grands espaces aériens, inondés de soleil ou battus par les pluies et la profusion d’êtres qui les habitent ?
Notre bocal s’appelle l’espace-temps. A-t-il un ailleurs ? Non : il n’y a pas d’espace ailleurs que dans l’espace-temps. Mais cet espace-temps, nous le savons aujourd’hui, est crée. Il y a donc, hors de l’espace et hors du temps, un Autrement dont nous ne pouvons rien dire nous qui ne pouvons penser hors des catégories de l’espace et du temps, prisonniers de notre finitude. De cet Autrement nous ne pouvons rien dire sinon cependant qu’Il existe.
Notre poisson si rouge et son bocal si transparent au-delà duquel est pressenti un « ailleurs », détournent cependant notre regard, l’invitent indûment à se porter vers des « horizons » qu’il ne peut atteindre, vers cet absolument autre à jamais hors de portée. Mais, qu’en est-il à l’intérieur du bocal, dans notre monde ?
A l’intérieur du bocal
La compréhension que nous avons de notre univers, ce grandiose bocal, suit les fulgurantes avancées des sciences. Pourtant ces avancées nous conduisent avant tout à multiplier à l’infini les questions que nous nous posons. Au point que nous savons ne pas pouvoir évaluer l’étendue de ce que nous ignorons, que nous savons qu’il n’y a pas ici-bas une somme du savoir que nous pourrions un jour, même très lointain, rassembler dans sa totalité mais un infini inaccessible. Hors des techniques utiles, qui nous donnent un sentiment excessif de puissance, que connaissons-nous donc certainement ? La science est-elle autre chose qu’un discours en constante évolution, une manière, adéquate à un moment donné, de dire quelque chose du monde, un récit dont la cohérence serait d’abord interne ?
Et ce monde, pour y vivre au jour le jour, le connaissons –nous mieux que le poisson rouge son bocal ? La familiarité insouciante avec laquelle nous le considérons n’est-elle pas trompeuse ? Quelle est sa réalité effective ? L’arbre sous lequel je m’abrite du soleil existe-t-il ailleurs que dans le mot par lequel je le désigne et n’est-il pas, autrement, qu’une conjonction dynamique de particules microscopiques ?
Acceptons de ne pas poser cette question et feignons de prendre le monde comme il est, déjà là, offert, donnant à nos vies tous leurs contenus, des plus triviaux aux plus élevés. Ce monde là c’est le monde des choses, de leur amoncellement, un monde d’ailleurs où, si nous n’y prenons pas garde nous pouvons nous-mêmes nous chosifier à force de routine et de la répétition de rôles socialement convenus.
Fixité ou flux
On soulignera alors ici l’étrangeté de l’hébreu. Prenons ce mot essentiel du vocabulaire « être », à la fois verbe et nom commun en français. Le nom désigne des « étants » qui apparaissent dans une certaine immobilité, dans leur supposée permanence. Si nous redonnons à ce mot « être » toute sa « verbalité », son entière dimension de verbe, nous privilégions ce qui en lui exprime l’évènement, ce qui
advient dans l’être, ce qui change à chaque instant, qui est le contraire de la fixité, en un mot le temps. Dans l’hébreu biblique c’est la « verbalité » qui domine, le flux incessant de l’énergie qui s’affirme plutôt qu’une illusoire constance des choses. Les choses, du reste, ne sont que des mots : « davar » a le double sens de mot et de chose. Ce qui est réel, ce qui fait notre monde, sa seule constance, c’est ce flux.
Et D.ieu dans tout ça ? demande le poisson rouge. Posons-nous la même question : nous savons donc qu’Il est l’Existence dont nous ne pouvons rien dire (l’homme ne pourra me voir et demeurer vivant dit la Torah), l’absolument Autre, hors de notre bocal, l’espace-temps. Mais qu’en est-il à l’intérieur ? A l’intérieur, dès lors que nous faisons l’effort, d’abord sémantique, de ne plus voir un monde chosifié, des étants statufiés mais des devenirs, des êtres-en-mouvement qui surgissent de flux de lumière, d’énergie, nous nous ouvrons à Sa Présence et à la pleine réception de l’héritage que nous avons reçu des temps les plus anciens. Nous ressentons enfin qu’il n’est rien d’autre que Lui.
Barouh Ziegelman
Enfin quoi ! Serait-il un autre monde
Un ailleurs vers où je pourrais voguer
D’autres eaux qu’en ma demeure ronde ? Voilà donc un poisson philosophe qui parcourt inlassablement son univers sphérique. L’eau en est toujours maintenue parfaitement claire et une nourriture qui lui convient à merveille apparaît régulièrement à sa surface. Quel est donc ce prodige, s’interroge entre deux bulles notre poisson.
Sans doute, en effet, le bocal a-t-il un au-delà. Mais, aussi philosophe soit-il, que pourrait en penser notre poisson ? Quand on a derrière soi une vie déjà longue, surtout pour un poisson rouge, et qu’elle a été vécue dans un petit monde humide, comment penser les grands espaces aériens, inondés de soleil ou battus par les pluies et la profusion d’êtres qui les habitent ?
Notre bocal s’appelle l’espace-temps. A-t-il un ailleurs ? Non : il n’y a pas d’espace ailleurs que dans l’espace-temps. Mais cet espace-temps, nous le savons aujourd’hui, est crée. Il y a donc, hors de l’espace et hors du temps, un Autrement dont nous ne pouvons rien dire nous qui ne pouvons penser hors des catégories de l’espace et du temps, prisonniers de notre finitude. De cet Autrement nous ne pouvons rien dire sinon cependant qu’Il existe.
Notre poisson si rouge et son bocal si transparent au-delà duquel est pressenti un « ailleurs », détournent cependant notre regard, l’invitent indûment à se porter vers des « horizons » qu’il ne peut atteindre, vers cet absolument autre à jamais hors de portée. Mais, qu’en est-il à l’intérieur du bocal, dans notre monde ?
A l’intérieur du bocal
La compréhension que nous avons de notre univers, ce grandiose bocal, suit les fulgurantes avancées des sciences. Pourtant ces avancées nous conduisent avant tout à multiplier à l’infini les questions que nous nous posons. Au point que nous savons ne pas pouvoir évaluer l’étendue de ce que nous ignorons, que nous savons qu’il n’y a pas ici-bas une somme du savoir que nous pourrions un jour, même très lointain, rassembler dans sa totalité mais un infini inaccessible. Hors des techniques utiles, qui nous donnent un sentiment excessif de puissance, que connaissons-nous donc certainement ? La science est-elle autre chose qu’un discours en constante évolution, une manière, adéquate à un moment donné, de dire quelque chose du monde, un récit dont la cohérence serait d’abord interne ?
Et ce monde, pour y vivre au jour le jour, le connaissons –nous mieux que le poisson rouge son bocal ? La familiarité insouciante avec laquelle nous le considérons n’est-elle pas trompeuse ? Quelle est sa réalité effective ? L’arbre sous lequel je m’abrite du soleil existe-t-il ailleurs que dans le mot par lequel je le désigne et n’est-il pas, autrement, qu’une conjonction dynamique de particules microscopiques ?
Acceptons de ne pas poser cette question et feignons de prendre le monde comme il est, déjà là, offert, donnant à nos vies tous leurs contenus, des plus triviaux aux plus élevés. Ce monde là c’est le monde des choses, de leur amoncellement, un monde d’ailleurs où, si nous n’y prenons pas garde nous pouvons nous-mêmes nous chosifier à force de routine et de la répétition de rôles socialement convenus.
Fixité ou flux
On soulignera alors ici l’étrangeté de l’hébreu. Prenons ce mot essentiel du vocabulaire « être », à la fois verbe et nom commun en français. Le nom désigne des « étants » qui apparaissent dans une certaine immobilité, dans leur supposée permanence. Si nous redonnons à ce mot « être » toute sa « verbalité », son entière dimension de verbe, nous privilégions ce qui en lui exprime l’évènement, ce qui
advient dans l’être, ce qui change à chaque instant, qui est le contraire de la fixité, en un mot le temps. Dans l’hébreu biblique c’est la « verbalité » qui domine, le flux incessant de l’énergie qui s’affirme plutôt qu’une illusoire constance des choses. Les choses, du reste, ne sont que des mots : « davar » a le double sens de mot et de chose. Ce qui est réel, ce qui fait notre monde, sa seule constance, c’est ce flux.
Et D.ieu dans tout ça ? demande le poisson rouge. Posons-nous la même question : nous savons donc qu’Il est l’Existence dont nous ne pouvons rien dire (l’homme ne pourra me voir et demeurer vivant dit la Torah), l’absolument Autre, hors de notre bocal, l’espace-temps. Mais qu’en est-il à l’intérieur ? A l’intérieur, dès lors que nous faisons l’effort, d’abord sémantique, de ne plus voir un monde chosifié, des étants statufiés mais des devenirs, des êtres-en-mouvement qui surgissent de flux de lumière, d’énergie, nous nous ouvrons à Sa Présence et à la pleine réception de l’héritage que nous avons reçu des temps les plus anciens. Nous ressentons enfin qu’il n’est rien d’autre que Lui.
Barouh Ziegelman
- Détails
- Publication : 30 novembre -0001