Après avoir achevé mes études à la Sorbonne, je m’intéressai à mes racines juives et fis la connaissance de Rav Na’houm Pinson qui habite près de la Yechiva Loubavitch de Brunoy. Il m’a invité pour le Séder chez lui, il y a quatre ans.
Tout au long de la cérémonie, j’ai scrupuleusement suivi ses instructions : debout, assis, accoudé, le Kiddouch sur le vin, l’oignon, la Matsa brisée, les Quatre Questions et finalement la Matsa. Je remarquai alors que Rav Pinson mangeait une autre Matsa que le reste de sa famille et lui en demandai la raison.
Il m’expliqua que son père, Rav Nissan Pinson, est l’émissaire du Rabbi en Tunisie depuis presque un demi-siècle. Là-bas, il a l’habitude de cuire lui-même ses propres Matsot et il surveille le processus du début à la fin, c’est-à-dire depuis la plantation du blé jusqu’à la cuisson en passant par la récolte et l’inspection de chaque grain sans compter le puisage de l’eau et le pétrissage à la main. Sa production est très restreinte, ce qui explique que Rav Nissan ne peut faire parvenir que quelques Matsot à chacun de ses enfants dispersés de par le monde.
C’était la première fois que je voyais une telle Matsa. J’avais très envie d’en goûter et Rav Na’houm m’en offrit donc un morceau. Pour moi ce fut une expérience très spéciale : je peux affirmer que cette Matsa a éveillé en moi des impressions particulières. Je demandai donc à mon hôte davantage de détails sur la fabrication de la Matsa et aussi sur la mission que ses parents remplissent depuis si longtemps pour le Rabbi en Tunisie.
Rav Na’houm me raconta alors qu’au début des années soixante, son père avait l’habitude de se rendre à Bizerte, chaque année avant Pessa’h ? afin de rendre visite aux Juifs qui y travaillaient, sur la base navale française. A l’époque, les routes n’étaient pas pavées et un tel voyage n’était pas une entreprise aisée. Par ailleurs, les Tunisiens cherchaient à gagner leur indépendance vis-à-vis de la France. Et malgré toutes ces difficultés, Rav Nissan recherchait les Juifs français stationnés à Bizerte pour leur apporter de la Matsa Chmourah qu’il avait lui-même fabriquée. En particulier, il en apportait au médecin-chef qui effectuait une période militaire de deux ans.
Alors que je savourais la Matsa, je me souvins tout-à-coup que mon père m’avait raconté, avant ma Bar Mitsva, que les ‘Hassidim de Loubavitch aident les Juifs à optimiser leur observance du judaïsme. Il avait ajouté que si jamais j’avais besoin de quoi que ce soit, matériellement ou spirituellement, je pouvais faire appel à eux et compter sur eux pour m’aider.
C’est alors que des souvenirs profondément enfouis dans ma mémoire resurgirent.
Mon père avait travaillé à Bizerte à l’époque où Rav Nissan s’était occupé du personnel français de la base navale. Cela signifiait – et nous l’avons réalisé tous les deux avec une grande émotion – que le médecin à qui Rav Nissan avait apporté de la Matsa Chmourah il y a plus de quarante ans était mon propre père, Docteur Rubin Schuman. La Providence divine avait voulu que le fils du rabbin et le fils du docteur étaient maintenant assis à la même table et mangeaient la même Matsa !
La Matsa est appelée «l’aliment de la foi» et c’est sans doute cette Matsa si spéciale que j’ai consommée dans la maison de Rav Na’houm qui m’a convaincu d’explorer plus sérieusement mes racines spirituelles. Je décidai de m’accorder une année sabbatique de mes études à la Sorbonne afin d’étudier à la Yechiva Hadar Hatorah à Brooklyn : c’est une Yechiva spécialement conçue pour des jeunes étudiants comme moi qui commencent à s’intéresser au judaïsme.
Coïncidence – on peut-être non… - le directeur de Hadar Hatorah, Rav Yaakov Goldberg est lui aussi français. Vous l’avez deviné : son père était le directeur de la Yechiva de Brunoy il y a des années.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts durant ces années : je me suis marié et nous nous sommes installés en France où j’ai continué à enseigner à la Sorbonne. Et j’ai continué de suivre le conseil de mon père, celui dont je m’étais justement souvenu ce Pessa’h-là : tu peux faire appel aux ‘Hassidim de Loubavitch et compter sur eux pour t’aider, matériellement ou spirituellement.

Avi Schuman
«Le’haïm»
traduit par Feiga Lubecki

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