Chaque vendredi après-midi, j’installe une petite table dans une rue très fréquentée du marché de Tel Aviv, la rue Na’hat Binyamine. J’emporte trois paires de Téfilines avec moi, juste pour que d’autres garçons ou hommes puissent mettre les Téfilines ce jour-là, prononcer la bénédiction adéquate et réciter le verset «Chema Israël, Ado-naï Elo-hénou, Ado-naï E’had» (Ecoute Israël, l’Eternel est notre D.ieu, l’Eternel est Un). Même s’ils ne les mettent que pour une minute, ils auront ainsi acquis un immense mérite et une protection certaine.
Parfois je les interpelle : «Yedidi (mon ami) ! Viens mettre les Téfilines». Parfois, je change et j’appelle «A’hi! (mon frère !) et parfois, tout simplement, j’appelle «Yehudi», Juif!
Les hommes et les jeunes garçons juifs de toute origine, de tous niveaux sociaux et quelle que soit leur occupation acceptent, en général de «faire plaisir au Loubavitch de service» ou tout simplement, de prendre deux-trois minutes pour une Mitsva dont on leur facilite tant l’accomplissement.
Cela inclut des Juifs qui n’ont mis les Téfilines que pour leur Bar Mitsva, des Juifs qui ne les ont jamais mis et même des Juifs qui n’ont pas la moindre idée de ce que sont les Téfilines.
Un froid vendredi d’automne, je hélai ainsi quelqu’un qui passait par là : «Yehudi! Viens mettre les Téfilines!»
D’habitude les gens sourient et refusent, ou bien sourient et acceptent mais celui-là s’arrêta tout net, se tourna vers moi et me lança un regard qui me fit froid dans le dos.
Ma première impression, c’était qu’il allait me donner un coup. Il portait une fine moustache, de longs cheveux noirs noués en queue de cheval et une longue veste en cuir noir qu’il remplissait fièrement de sa musculature imposante : pas exactement la personne avec qui on se sent à l’aise pour discuter calmement.
A mon grand soulagement, il reprit son chemin. (La dernière fois que j’avais ressenti une terreur à peu près similaire, c’était aux Etats-Unis quand un skinhead avait tenté de m’attaquer, sans doute à cause de mon look religieux mais des passants s’étaient heureusement interposés. Tout ceci, D.ieu merci, c’était du passé). De toute manière, l’homme ne s’était pas attardé et je n’y pensai déjà plus.
Mais non.
Quelques secondes plus tard, alors que je regardai dans l’autre direction, à la recherche d’autres personnes que je pourrais encourager à mettre les Téfilines, je le vis soudain revenir vers moi. J’avais l’impression qu’il me toisait de haut, de très haut. Il me regarda droit dans les yeux et me dit d’un ton menaçant :
- Comment m’as-tu appelé ?
- Euh… (Je perdais facilement tous mes moyens dans un cas pareil…)
- Tu m’as interpelé tout à l’heure ! Comment m’as-tu appelé ?
J’avais l’impression qu’il tremblait. J’espérai juste qu’il était dans un état normal et que, puisqu’il ne m’avait pas bien compris, il désirait s’assurer que je n’avais rien dit d’offensant. J’affichai un sourire de façade et répondis : «J’ai dit ‘Yehudi’, Juif! Viens mettre les Téfilines! Je t’ai appelé Yehudi, pour moi c’est un terme affectueux!»
Les yeux humides, il remarqua : «C’était bien ce que j’avais compris! Tu m’as appelé Yehudi… C’est exactement cela! Tu as raison! Je suis Juif! Personne ne m’a jamais appelé ainsi!»
Et il enleva son manteau de cuir et me tendit son bras gauche pour que je l’aide à mettre les Téfilines.
Ce simple appel avait touché l’essence même de son âme, de son judaïsme.

Rav Tuvia Bolton
Ohrtmimim.org – L’Chaïm
traduit par Feiga Lubecki