(Le 25 Adar marque l’anniversaire de la regrettée Rabbanite ‘Haya Mouchka).

Au matin du 22 Chevat 1988, une des secrétaires de mon institution m’annonça, bouleversée :

- Avez-vous entendu ce qui est arrivé à la Rabbanite ?

Et moi, naïvement, j’ai répondu :

- Quelle Rabbanite ?

Quand j’ai compris la triste nouvelle (le décès de l’épouse du Rabbi), j’ai réuni toutes les élèves et nous avons étudié ensemble un chapitre de Michnayot pour l’élévation de son âme. En effet, la coutume veut qu’on étudie des chapitres de la Michna qui commencent avec les lettres du nom du défunt. C’est alors que je me suis demandé : «Au fait, comment s’appelait-elle ?».

Je savais qu’on l’appelait Moussia car c’est ainsi qu’on l’appelait chez nous, à la maison. Ma mère – qui était une des rares personnes à la connaître, encore de Russie – nous racontait souvent ce dont elle avait parlé au téléphone «avec la Rabbanite Moussia».

C’est ainsi que nous avons étudié les chapitres de la Michna commençant par les lettres formant les prénoms : «‘Haya Moussia»…

Ce n’est que plus tard que je compris que ce n’était que son surnom et que la Rabbanite s’appelait en fait ‘Haya Mouchka.

Ce détail apparemment insignifiant forme en fait le point central de la vie de la Rabbanite.

Les élèves de notre époque ont sans doute du mal à croire et ne peuvent pas comprendre comment un ‘Hassid peut évoquer «la Rabbanite» sans même avoir l’idée de se renseigner sur son prénom exact… Et les plus jeunes parmi nous sont sans doute en train de réfléchir : «A l’époque, les gens n’étaient pas vraiment attachés au Rabbi et à la Rabbanite…».

C’est peut-être vrai. Mais le fait est que cette discrétion, ce mystère provenaient de la Rabbanite elle-même. Elle occupait une position cruciale mais parvenait à rester dans l’ombre, à voir sans être vue… On ne la voyait pas, on ne savait rien d’elle, on n’entendait rien à son propos. Les ‘Hassidim ne parlaient pas d’elle. La plupart des jeunes gens qui ont étudié au 770 Eastern Parkway, dans la grande Yechiva Loubavitch, dans les années soixante-dix, ne l’ont jamais vue – bien qu’elle venait chaque jour rendre visite à sa mère, la Rabbanite Ne’hama Dina qui habitait au deuxième étage, au-dessus de la synagogue. Personne ne la remarquait quand elle entrait ou sortait : c’est absolument extraordinaire !

Les anecdotes que nous avons entendues après son décès proviennent de quelques rares personnes qui ont eu le privilège de la rencontrer.

Le Rabbi garda la coutume de prendre tous les repas de fête dans l’appartement du Rabbi précédent, comme de son vivant. Bien entendu, la place du Rabbi précédent restait vide et le Rabbi s’asseyait à la même place qu’auparavant, à la gauche de la place située en tête de la table (la place du Rabbi précédent) puisqu’il était le gendre le plus jeune. L’autre gendre, Rav Chmaryahu Gurary occupait la place à la droite du Rabbi précédent, face au Rabbi. (Tout cela prit fin au décès de la Rabbanite Ne’hama Dina, l’épouse de Rabbi Yossef Its’hak, le Rabbi précédent, le 10 Tévet 1971 : alors le Rabbi n’avait plus de raison de passer le Séder au deuxième étage du 770 et il se mit à célébrer les repas des jours de fête dans sa propre maison).

Le second soir de Pessa’h, vers 1 heure trente du matin, après que le Rabbi ait célébré le Séder dans la maison du Rabbi précédent, il avait l’habitude de descendre dans la synagogue pour un Farbrenguen spécial, devant très peu de gens encore réveillés à cette heure, afin de continuer la Mitsva de «raconter l’histoire de la Sortie d’Égypte toute cette nuit» : il expliquait des passages de la Hagada. La plupart des Si’hot rédigées par la suite ont été prononcées lors de ces réunions informelles.

Bien entendu, ces réunions nocturnes étaient bien différentes des autres puisqu’on n’avait pas le droit de trinquer Le’haïm (A la vie !) après avoir célébré le Séder et mangé l’Afikoman. Le Rabbi prononçait ces discours la plupart du temps avec les yeux fermés.

La réunion se terminait en général vers trois heures trente du matin.

Je me souviens, une année, à la fin des années soixante, j’avais décidé qu’à la fin de cette réunion, je resterais au 770 jusqu’à ce que le Rabbi sorte et je l’accompagnerais, de loin, jusqu’à sa maison.

Je restais assis dans la «petite salle» d’où je pouvais surveiller la porte du bureau du Rabbi et, quand il sortit, je le suivis discrètement. Le Rabbi descendit les marches du 770 et, à ma grande surprise, ne se dirigea pas vers la gauche (comme je m’y attendais) mais vers la droite ! Il prit Kingston Avenue puis tourna encore à droite, sur Union Street ! Il marchait lentement et, quand il arriva à la hauteur du 4ème bâtiment – celui qui abrite actuellement le Kollel et qui longe l’endroit où on célèbre Tachli’h à Roch Hachana, derrière le 770 - il s’arrêta un instant : la Rabbanite ‘Haya Mouchka sortit alors, en pleine nuit et se mit à marcher à côté du Rabbi… Avec quelques autres ‘Hassidim, j’ai mérité de les suivre de loin jusqu’à leur maison sur President Street.

La Rabbanite avait à l’évidence elle aussi célébré le Séder dans l’appartement du Rabbi précédent, aux côtés de sa mère. Il s’avérait donc qu’après le Séder, elle avait attendu la fin de la réunion ‘hassidique et était descendue en cachette, selon son habitude toute de discrétion, était passée devant la grande Souccah à côté du 770 puis devant l’endroit du Tachli’h et du Kollel jusque sur Union Street puis avait attendu le Rabbi…

L’apparition soudaine de la Rabbanite m’impressionna beaucoup ainsi que sa façon de marcher, lentement, à côté du Rabbi. Je ne pourrai jamais l’oublier.

Elle avait attendu le Rabbi dans l’obscurité et cela veut tout dire sur son dévouement immense.

Il est inutile de rajouter un mot… C’était là toute sa personnalité : elle était là pour le Rabbi – même si cela devait signifier l’attendre pendant deux heures, en pleine nuit, après le Séder…

Rav Yossef Yits’hak Chitrik - Kfar Chabad N° 1647

Traduit par Feiga Lubecki

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