Samedi, 21 mars 2020

  • Vayakhel - Pekoudeï
Editorial

 Notre naissance !

Que peut-on faire encore lorsqu’on a déjà vécu la grandeur, la victoire et le bonheur ? Comment envisager un au-delà de cet absolu que la fête de Pourim vient d’incarner pour chacun ? Ce sont là des sentiments bien mélangés qui nous envahissent alors que Pourim s’éloigne inéluctablement à l’horizon des jours. Il est vrai qu’on ne peut pas toujours respirer l’air des sommets et qu’il est sans doute nécessaire de redescendre parfois dans la vallée. Cependant, n’a-t-on pas alors l’impression que la perspective se rétrécit ?

Mais le calendrier juif est une admirable construction. Œuvre de D.ieu, il scande le temps des hommes et lui donne ce sens sans lequel il ne serait que déroulement des jours, monotone et parfois désespéré. Voici donc que la libération de Pourim ne nous abandonne pas sur le sable après le reflux de la vague conquérante. Au contraire, elle nous entraîne vers une autre aventure. Et celle-ci a déjà de hautes couleurs : elle s’appelle Pessa’h et arbore celles de la liberté. C’est que Pourim, toute libératrice soit la célébration, nous a laissés, selon les termes des sages, « serviteurs d’Assuérus ». En d’autres termes, l’exil historique de Babylone ne se termina pas à ce moment même si, avec cette victoire, un temps nouveau commençait. Nous nous dirigeons à présent vers un temps où la servitude n’a plus place. C’est un temps où toutes les chaînes se brisent. En un certain sens, c’est à notre propre naissance que nous allons assister.

Pessa’h : un mot qui renvoie à l’idée de « saut ». C’est bien de cela qu’il s’agit. Il existe deux moyens d’avancer. Le plus évident est de progresser pas à pas mais le plus audacieux, et sans doute, le plus révolutionnaire au sens strict, est de « sauter », passant sans transition d’un niveau à un autre infiniment supérieur. C’est à cela que nous convie la fête à venir et nos sages savent parfaitement l’exprimer quand ils voient dans la célébration successive de Pourim et Pessa’h un « rapprochement d’une libération à une autre ».

La liberté est une grande idée. Pour nous, elle n’est pas qu’une théorie séduisante qu’il faudrait peut-être limiter dans la crainte d’incontrôlables excès. Elle est une réalité qui se construit jour après jour et dont le développement ne peut s’arrêter. Entre la fête passée et celle qui vient, c’est sur son chemin que nous marchons. Il faut nous y préparer, c’est un chemin des cimes que nous empruntons ainsi. Il conduit plus loin et plus haut que l’on pense. Se préparer, un bien grand mot… Mais si la liberté était au bout de l’effort ?

Etincelles de Machiah

 De l’autre monde à celui-ci

Quand le Machia’h viendra, tous les Justes des générations passées reviendront. Tous, y compris Moïse et les patriarches, descendront du « lieu » où ils se trouvent, au plus haut des mondes spirituels. Ils reviendront dans ce monde, se revêtiront de corps matériels et ressusciteront.

Pourquoi cela en vaut-il la peine ? Car, en ce temps nouveau, la révélation divine dans ce monde-ci sera bien plus haute que celle dont on jouit dans les mondes spirituels.

(D’après Likoutei Torah Bamidbar p.49a)

Vivre avec la Paracha

 Vayakhel

Moché réunit le peuple d’Israël et réitère le commandement d’observer le Chabbat. Il transmet alors les instructions de D.ieu concernant la construction du Michkane (le Tabernacle). Le peuple fait don, en abondance, des matériaux requis, apportant de l’or, de l’argent et du cuivre, de la laine teinte en bleu, violet et pourpre, des poils de chèvre, du lin tissé, des peaux de bête, de la laine, du bois, de l’huile d’olive, des herbes et des pierres précieuses. Moché doit leur demander de cesser leurs dons.

Une équipe d’artisans au cœur sage construit le Michkane et son mobilier (comme cela a été décrit dans les Parachiot précédentes : Teroumah, Tétsavé et Ki Tissa) : trois couches pour les couvertures du toit, 48 panneaux muraux plaqués d’or et 100 socles d’argent pour les fondations, le Paro’hèt (voile) qui sépare les deux chambres du Sanctuaire et le Massa’h (écran) pour le devant, l’Arche et son couvercle avec les Chérubins, la Table et ses Pains de Proposition, la Menorah à sept branches avec son huile tout spécialement préparée, l’autel d’or et les encens qui y sont brûlés, l’huile d’onction, l’autel extérieur pour les offrandes que l’on doit brûler et tout son équipement, les cintres, les poteaux, et les socles de fondation pour la cour et enfin le bassin et son piédestal, fait de miroirs de cuivre.

 

Pekoudé

On procède au décompte de l’or, de l’argent et du cuivre donnés par le peuple pour la fabrication du Michkane. Betsalel, Aholiav et leurs assistants fabriquent les huit habits sacerdotaux : le tablier, le pectoral, le manteau, la couronne, le chapeau, la ceinture et les pantalons, selon les instructions communiquées par Moché dans la Paracha Tétsavé.

Le Michkane est achevé et tous ses composants sont présentés à Moché qui l’érige et l’oint avec l’huile d’onction. Il initie à la prêtrise Aharon et ses quatre fils. Une nuée apparaît au-dessus de Michkane, signifiant que la Présence Divine est venue y résider.

Les parties assemblées

Le nom donné, en Langue Sainte, à quoi que ce soit, constitue son âme et son essence. Ainsi en va-t-il du nom de la Paracha et notamment de celui des deux dernières Parachiot qui ferment le livre de Chemot : Vayakhel et Pekoudé.

Ce qui est toutefois intéressant est le fait que les noms de ces deux Parachiot, qui se suivent dans la Torah ou qui, comme cette année, sont unies dans une seule lecture, expriment deux idées opposées. Le nom Vayakhel, lié au mot hébreu signifiant « communauté », évoque le concept de collectivité, alors que le mot Pekoudé, « être décompté », renvoie à l’idée de l’individu comme unité singulière.

De plus, on a l’impression que leurs noms ont été inversés et que le nom de chacune serait plus approprié pour désigner l’autre.

Vayakhel commence en relatant la façon dont Moché rassembla le Peuple d’Israël pour l’instruire de l’observance du Chabbat et de la construction du Tabernacle. Mais le reste de la Paracha consiste dans la description de tous les détails particuliers de la construction du Sanctuaire avec leurs mesures, leurs matériaux et leur architecture.

Pekoudé signifie « le décompte » et la Paracha commence avec la déclaration : « voici les décomptes du Tabernacle », ce qui exprime l’idée d’attention particulière au détail. Mais la majeure partie de la Paracha concerne l’assemblage du Tabernacle.

En d’autres termes, Vayakhel décrit la nature particulière des constituants du Sanctuaire alors que Pekoudé montre comme ils sont rassemblés pour former la structure globale, le contraire-même de ce que signifie son nom.

Cinq leçons

Résumons :

  • La Torah inclut une Paracha appelée Vayakhel et une autre : Pekoudé.
  • Certaines années, elles sont jointes et forment une entité unique appelée Vayakhel-Pekoudé.
  • Les autres années, elles sont séparées et constituent chacune la lecture d’une semaine différente.
  • Vayakhel signifie « communauté » mais son contenu souligne la valeur de l’individualité. Pekoudé implique l’ « individualité » mais elle parle de l’avantage de l’union et de l’intégration.
  • Vayakhel vient d’abord, suivi de Pekoudé.

Chacune de ces nuances est significative. Chacune illumine la relation entre notre identité individuelle et notre identité communautaire.

Leçon 1 : Nous avons les deux et avons besoin des deux. Le fait que la Torah contienne deux Parachiot nommées Vayakhel et Pekoudé nous enseigne que notre besoin d’une communauté et celui d’une différenciation individuelle sont deux des composants importants et désirables de l’âme humaine.

Leçon 2 : Nous pouvons parvenir à la synthèse des deux. Si Vayakhel et Pekoudé ne devaient toujours apparaître dans la Torah que comme deux Parachiot séparées, cela impliquerait que, tout en étant toutes deux nécessaires, chacune doit intervenir à un moment et à un lieu précis.

Le fait-même que, certaines années, elles soient jointes pour constituer une lecture unique nous enseigne que nous devons parvenir à une synthèse des deux : une communauté d’individus, chacun contribuant par sa personnalité au but commun, alors que la communauté donne le cadre général où chacun peut exprimer le meilleur de lui-même.

Leçon 3 : Il nous faut également considérer chacune des deux comme quelque chose de valeur en et par elle-même. Le fait que ces Parachiot apparaissent également sous la forme de deux lectures indépendantes nous enseigne que la communauté et l’individualité sont également des objectifs à atteindre en eux-mêmes. La perfection individuelle possède une valeur indépendamment du rôle qu’elle joue dans le bien commun. Et la création d’une communauté est également une fin en elle-même car elle représente un statut plus grand que ne l’est la somme des individualités.

Leçon 4 : La Torah va encore plus loin. Elle nous enseigne que même lorsque chacune est considérée comme une fin en soi, les deux sont inexorablement liées l’une à l’autre.

Cette leçon vient du fait que le contenu de Vayakhel concerne des éléments individuels alors que Pekoudé décrit l’assemblement de parties diverses en un tout plus grand. La Torah indique ici que quand bien même l’objectif n’est que la création d’une parfaite communauté, la meilleure d’entre elles est celle qui est faite d’individus qui expriment totalement leur individualité.

Leçon 5 : Des individus imparfaits forment une communauté parfaite. La question qui subsiste est : qu’est-ce qui devrait être prioritaire ? Dans la Torah, Vayakhel vient avant Pekoudé, nous enseignant que notre tout premier dessein doit être de rassembler, quel que soit le statut personnel de chaque individu. Le perfectionnement de chacun suivra, nourri par l’amour des uns pour les autres.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que la Matsa Chmourah ?

En hébreu, « Chmourah » signifie « gardée » et ce terme décrit parfaitement ce qu’est cette Matsa. La farine utilisée pour sa fabrication est gardée, protégée de tout contact avec de l’eau, depuis le moment de la moisson. En effet, si elle venait à être mouillée, elle pourrait lever et devenir impropre à la consommation pendant Pessa’h.

Ces Matsot sont rondes, pétries à la main et ressemblent à celles que les enfants d’Israël consommèrent lorsqu’ils quittèrent l’Egypte. Elles sont cuites en moins de dix-huit minutes sous stricte surveillance rabbinique, afin de s’assurer qu’elles ne puissent en aucune façon augmenter de volume et devenir levain pendant la fabrication. La Matsa Chmourah doit être utilisée pendant les deux nuits du Séder, c’est-à-dire mercredi soir 8 avril et jeudi soir 9 avril 2020, en particulier pour les trois Matsot posées sur le plateau. Chaque convive à la table du Séder mangera de la Matsa Chmourah. Certains ont la coutume d’en consommer pendant toute la fête.

Le Zohar appelle la Matsa Chmourah : l’aliment de la Foi et l’aliment de la Guérison.

Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son ménage de Pessa’h pour acheter les Matsot ; il suffira de les stocker à l’abri de tout ‘Hamets et de toute humidité.

 (d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)

Le Recit de la Semaine

 La bénédiction de Sarah

Quand je lis certains messages sur les réseaux sociaux, je perçois instinctivement que je veux les garder dans un tiroir de mon esprit parce qu’ils m’ont touchés. Tel est le cas de celui qu’avait envoyé il y a quelques années Rav Tsa’hi Yits’hak Parnessiss, Chalia’h du Rabbi dans la région de la Mer Morte et que je vais rapporter ici.

J’ai lu cette semaine que sa mère est décédée et qu’il observait actuellement la semaine de deuil.

Voici donc ce qu’il écrivait alors et puissent ces lignes être un hommage à sa défunte mère, cette grande dame, Ziva bat Be’hor ‘Haïm, que son âme soit liée au faisceau de la vie.

« Quand ma mère a compris que j’avais décidé de devenir pratiquant et, qui plus est, Loubavitch, elle se précipita chez Sarah, notre voisine du 2 rue Herzl, au 2ème étage.

Sarah Oren avait un visage un peu effrayant. Elle était toujours assise sur une chaise roulante. Enfant, j’avais peur d’elle, de sa façon de parler, de vous regarder… C’était une rescapée des camps : elle avait subi d’horribles expériences « médicales » du terrifiant Mengele – que son nom soit effacé. Ce monstre l’avait torturée, soi-disant au nom de la science et elle en porta les séquelles toute sa vie.

Sarah savait écouter et donner de bons conseils. Pour ma mère, c’était la personne à consulter pour exposer son « problème », comment réagir quand son fils devenait pratiquant et Loubavitch en plus !

- Loubavitch ? s’intéressa Sarah. Je vais te raconter quelque chose à propos du Rabbi de Loubavitch. Cela s’est passé il y a quelques années, alors que je devais subir une opération importante aux États-Unis. On m’avait dit qu’il y avait un grand Rabbi à New York : il distribuait des dollars à remettre à la charité et ses bénédictions se réalisaient. J’ai décidé d’aller le voir. Pourtant tu me connais, les rabbins et la religion, très peu pour moi… Mais bon, je suis passée devant le Rabbi et j’ai demandé une bénédiction pour la réussite de cette opération. Le Rabbi s’est étonné : « Vous avez besoin d’une bénédiction de ma part ? Mais vous-même, vous avez la capacité de bénir ! ».

Sarah ne comprit pas le sens des paroles du Rabbi. Elle redemanda, un peu plus fort, mais le Rabbi répéta : « Vous avez la capacité de bénir, après tout ce que vous avez enduré dans les camps, vous possédez des forces spéciales, vous n’avez pas besoin de mes bénédictions ! ».

Sarah expliqua à ma mère que, depuis ce jour, sa vie s’était transformée, sa vision du monde avait changé, son appréciation de la religion avait évolué. Et elle s’était rendu compte qu’elle avait une capacité spéciale pour conseiller et bénir les gens autour d’elle.

Ma mère est d’origine bulgare, ses parents avaient été des communistes convaincus, elle votait pour les partis les plus à gauche et voilà que son fils devenait pratiquant ! Peut-être ne mangerait-il plus chez elle, peut-être ne le verrait-elle plus… Mais maintenant elle comprenait qu’il existait un grand Rabbi, très érudit et très compréhensif, qui s’occupait de tous et qui aimait chaque Juif – quelles que soient ses convictions. Elle cessa de s’inquiéter et observa avec intérêt la suite de mon évolution ».

Tel était le message que Tsa’hi avait posté sur son compte.

Je n’avais pas prêté attention aux réactions que son message avait suscitées. Mais en y regardant de plus près, je n’ai pas pu m’empêcher d’essuyer une larme de mes yeux. En effet, j’ai distingué parmi tous les commentaires suscités par son texte un message posté par sa propre mère :

« Mon fils ! Il manque quelque chose, il manque la fin de l’histoire ! C’est que… moi aussi je suis devenue pratiquante ! ».

Rav Tsa’hi, « que l’Omni Présent te console parmi les endeuillés de Tsione et Jérusalem » !

Rav Zalmen Wishedski – Chalia’h à Bâle (Suisse)

Traduit par Feiga Lubecki

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