Samedi, 23 avril 2016

  • Pessa'h
Editorial

 Au matin d’une liberté nouvelle

Toutes les fêtes résonnent dans notre conscience et chacune y produit sa sonorité particulière. Pourrait-il, du reste, en être autrement alors qu’elles sont intimement liées non seulement à notre histoire mais aussi à notre âme ? La fête de Pessa’h est, pourtant, peut-être différente. Est-ce parce que, comme l’affirme le prophète Ezéchiel, elle est le moment de «la naissance du peuple juif» en tant que peuple ? Force est de constater que chacun y est attaché et que nul n’a ménagé ses efforts pour en faire un de ces temps forts de l’année dont l’effet ne disparaît jamais.

C’est que l’enjeu est de toute première importance. Certes, c’est la sortie d’Egypte dont nous allons, une fois de plus, nous souvenir et que nous allons célébrer. Mais se contenter d’y voir un événement historique – même fondateur – serait, sans doute, commettre une grave erreur. Le texte de la Haggada, que nous disons le soir de la fête, s’empresse de nous mettre en garde : «Chacun est tenu de se considérer comme s’il était sorti ce jour-même d’Egypte» ! Pourtant, tout cela paraît si ancien…

Mais il existe plusieurs sortes d’Egypte. Celle du pharaon a irrévocablement disparu, engloutie par son orgueil. Il en subsiste une autre : notre Egypte intérieure qui nous retient en servitude spirituelle aussi sûrement que la première nous avait asservis matériellement. C’est de cet oppresseur intérieur qu’il faut, à présent, nous délivrer. Et le combat doit vraiment être mené car c’est notre liberté qui est en jeu : liberté de s’attacher à D.ieu, d’accomplir Sa volonté, liberté aussi de décider pour soi malgré les faux-semblants que, parfois, le monde nous propose. C’est une liberté chèrement acquise et d’autant plus précieuse que certains, aujourd’hui, entendent la menacer.

Pour la découvrir, tous se retrouvent à la table de la fête, celle du Séder où monte le chant de la liberté. Ils sont, dit la Haggada, «sages ou impies, naïfs ou ne sachant pas poser de questions» mais ils sont tous présents. Quant à ceux qui ne voient pas encore leur place dans cette liberté nouvelle, ils savent que la porte leur est ouverte, aussi grande que les plus beaux des arcs de triomphe. Car, nous le savons, la fête s’écoule et, avec elle, la liberté avance. Elle se répand telle une belle et puissante marée jusqu’à culminer au moment où se conclut la semaine de fête, selon la tradition ‘hassidique, par le repas de Machia’h. Comme le matin d’une liberté nouvelle.

Etincelles de Machiah

 « Accomplis ma volonté »

En conclusion du Séder de Pessa’h, l’Admour Hazakène avait coutume de dire :

«Maître du monde, j’ai fais Ta volonté et accomplis le Séder selon la règle. Toi aussi, à présent, accomplis ma volonté : ‘L’an prochain, à Jérusalem !’»

(D’après Séfer HaSi’hot 5696 p.235) 

Vivre avec la Paracha

 Pessa’h

Quand nous sommes devenus un peuple fait d’individus

Pessa’h marque la naissance du peuple juif. Puisque D.ieu nous délivra de l’esclavage égyptien pour nous donner la Torah au Mont Sinaï, nous ne sommes plus constitués d’une collection d’individus mais nous sommes au contraire devenus une entité entière, unie, dont tous les membres sont liés dans notre relation à D.ieu et à la Torah.

C’est la raison pour laquelle, lorsque nous célébrons notre sortie d’Egypte, nous devrions mettre l’accent sur l’unité juive, et les mitsvot et les traditions devraient souligner nos similitudes et notre unicité.

Et pourtant, il semble que les choses se passent exactement à l’inverse. Certaines des mitsvot centrales de Pessa’h paraissent souligner l’unicité de l’individu plutôt que celle du Peuple juif.

L’une des mitsvot fondamentales de Pessa’h consistait en l’offrande du sacrifice pascal. A l’époque du Temple de Jérusalem, chaque individu en particulier devait participer au sacrifice de Pessa’h et en manger sa viande. Il ne s’agissait pas là d’un sacrifice communautaire (offert au nom de la nation entière), comme l’étaient la plus grande partie des sacrifices apportés quotidiennement dans le Temple. Le sacrifice de Pessa’h était un sacrifice individuel, offert et consommé par chacun séparément, quand bien même il appartenait à un petit groupe.

Une autre mitsva fondamentale de Pessa’h est la récitation de la Haggadah qui relate la sortie d’Egypte. Au lieu de simplement lire l’histoire, nous la racontons sous forme de questions et réponses. Les enfants demandent le mah nichtanah, «pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits», et nous leur répondons par l’histoire de Pessa’h. En énonçant dans le détail les questions des enfants, la Torah fait référence à quatre types d’enfants : le fils sage, le fils impie, le fils simple et celui qui ne sait pas poser de question. Chaque enfant pose une question différente et nos réponses varient en fonction de leurs demandes et besoins individuels.

Pourquoi donc Pessa’h est-il célébré d’une façon qui met tant l’emphase sur l’individualité ? N’aurait-il pas été plus approprié de marquer la naissance de notre nation avec un sacrifice communautaire, un sacrifice qui nous attache et nous lie tous ensemble en un peuple ? Pourquoi la Haggadah doit-elle se concentrer sur quatre fils différents ? Est-ce le moment adéquat pour porter l’attention sur nos différences en tant que peuple ?

De fait, c’est ce paradoxe lui-même de la communauté et de l’individualité qui se joue dans le cœur de la structure du peuple juif. Bien que nous constituions «un peuple», am é’had, nous sommes divisés en douze tribus. Tout au long de la Torah, l’emphase est placée sur la séparation des tribus. Chacune d’entre elles traversa la mer rouge séparément, fut recensée séparément, campa dans le désert séparément, reçut des parts de la Terre d’Israël séparément, dans certaines circonstances, mena ses guerres séparément et dans certains cas, ne pouvait marier ses membres avec ceux d’autres tribus. Chaque tribu était également remarquée pour son rôle unique dans le peuple juif. Yehouda faisait partie de la tribu des rois, Lévi appartenait à la tribu des prêtres, Issa’har était de la tribu des érudits, Dan de celle des juges, etc.

Cette organisation semble étrange. Pourquoi était-il nécessaire d’avoir une quelconque division entre les tribus ? Si nous formons un peuple uni, pourquoi ne pas avoir simplement une société unique sans affiliations tribales ?

Notre peuple n’est pas ordinaire. Nous sommes un peuple paradoxal. Certes, nous sommes unis mais nous ne perdons jamais notre individualité.

Prenez par exemple, pour illustrer ce type de paradoxe, le corps humain. Chacun des membres, chacun des organes du corps est différent et possède une fonction qui lui est unique. Et pourtant, tous les membres et tous les organes sont unis dans un seul corps et opèrent en parfaite harmonie, malgré les différences qui les opposent. Chaque organe apporte quelque chose dont tous les autres ont besoin et c’est ainsi qu’ils se complètent tous les uns les autres.

On pourrait dire la même chose au niveau individuel. Nous sommes tous différents et avons une personnalité unique. Nous possédons tous quelque chose qu’il nous suffit de démontrer et qu’aucun autre Juif ne possède. Mais ce sont précisément ces différences qui nous lient les uns aux autres. Chaque individu possède une pièce du puzzle de D.ieu et ce puzzle ne peut être achevé que si chaque Juif joue son rôle unique.

C’est pour cela que le sacrifice pascal n’était pas communautaire. La nature individuelle du sacrifice apporte le message que nous sommes un peuple constitué d’individus. Notre aptitude à être unique et en même temps d’embrasser nos différences est ce qui fait de nous un peuple tout à fait particulier.

C’est également la raison pour laquelle, quand il s’agit de relater l’histoire de la sorte d’Egypte, nous attirons particulièrement l’attention sur les quatre fils. Nous explorons leurs différences et adaptons nos réponses à ce qu’ils recherchent, chacun individuellement. Le message vient ici nous dire qu’il est tout à fait acceptable d’être différent. Nous n’avons pas besoin de nous conformer à un modèle rigide. Notre peuple doit inclure les quatre fils car chacun apporte un ingrédient qui, sans lui, viendrait à manquer.

Ainsi, lorsque nous sommes tous assis autour de la table du Séder et que nous relatons l’histoire de la naissance de notre peuple, nous devons porter notre attention sur deux éléments.

Tout d’abord, nous devons chercher à explorer notre propre personne, en tant qu’individu unique, chercher cette pièce du puzzle qui n’appartient qu’à nous et que nous seuls pouvons apporter. Le reste du Peuple juif repose sur nous.

Et puis, nous devons nous tourner vers ceux qui sont assis à côté de nous et les accepter pour ce qu’ils sont, apprécier ce qu’ils ont de particulier et les mettre en valeur. Nous devons prendre conscience qu’en tant que nation, nous ne sommes pas complets sans la contribution de chacun.

Tel est le véritable sentiment de libération : se sentir bien en soi-même, heureux d’être ce que l’on est et en même temps, accepter et voir la valeur de tous ceux qui nous entourent.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le compte du Omer ?

C’est une Mitsva de la Torah de compter les quarante-neuf jours de l’Omer à partir du second soir de Pessa’h (samedi soir 23 avril 2016) jusqu’à la veille de Chavouot (vendredi soir 10 juin 2016 inclus). Si on n’a pas compté de suite après la prière du soir (Arvit), on peut encore compter durant la nuit jusqu’à l’aube. Si on ne s’en souvient que pendant la journée, on peut compter, mais sans réciter la bénédiction. Et le soir suivant, on continue de compter avec la bénédiction. Si on a oublié toute une journée, on devra dorénavant compter chaque soir sans la bénédiction.

Quelles sont les lois de cette période du Omer ?

Hommes et femmes ont l’habitude de ne pas entreprendre de «travaux» (tels que ceux interdits à ‘Hol Hamoed) depuis le coucher du soleil jusqu’à ce qu’ils aient compté le Omer.

On ne célèbre pas de mariage et on ne se coupe pas les cheveux, en souvenir de l’épidémie qui décima les 24 000 élèves de Rabbi Akiba à cette époque du Omer. Les Séfaradim respectent ces lois de deuil jusqu’au 19 Iyar (vendredi 27 mai 2016) ; les Achkenazim depuis le 1er Iyar (lundi 9 mai 2016) jusqu’au 3 Sivan au matin (jeudi 9 juin 2016) à part la journée de Lag Baomer (jeudi 26 mai 2016).

La coutume du Ari Zal, suivie par la communauté ‘Habad, veut qu’on ne prononce la bénédiction de Chéhé’héyanou (sur un fruit nouveau par exemple) que le Chabbat durant toute la période du Omer et qu’on ne se coupe pas les cheveux jusqu’à la veille de Chavouot (cette année vendredi 10 juin 2016).

Un garçon qui aura trois ans après Pessa’h fêtera sa première coupe de cheveux à Lag Baomer (jeudi 26 mai 2016) et celui qui aura trois ans après Lag Baomer la fêtera la veille de Chavouot (vendredi 10 juin 2016).

Il n’y aucune restriction sur les promenades ou les séances de piscine et baignade.    

Le Recit de la Semaine

 Raté ! Raté !

C’est maintenant devenu une tradition : au lieu de passer la fête de Pessa’h tranquillement chez leurs parents, les jeunes gens des Yechivot Loubavitch de par le monde visitent des communautés où ils peuvent aider à préparer Pessa’h.

C’est ainsi qu’en 1994, alors que l’Union Soviétique s’était disloquée, six jeunes gens américains et français se rendirent à St Petersburg pour aider les tout nouveaux émissaires du Rabbi, Rav Mendel Pewzner et son épouse Sarah.

Petit à petit, ils apprirent la langue et instituèrent des clubs de jeunes à qui ils enseignaient les rudiments du judaïsme.

Pour attirer un maximum de jeunes, ils organisèrent un concert de musique juive et, en à peine une semaine d’une campagne de publicité intense, réussirent à mobiliser cinq mille personnes. Les six jeunes gens en profitèrent pour tisser des liens avec de jeunes parents et leur proposer d’inscrire leurs enfants aux différentes activités qui leur étaient destinées.

Les jeunes étudiants de Yechiva avaient décidé d’offrir aux enfants juifs de la ville l’occasion d’expérimenter une «Matsa Bakery», un atelier de fabrication de Matsa. Comme ils avaient attiré tellement de gens lors de leurs précédents programmes et concerts, ils parièrent sur 5000 enfants qui viendraient participer à cette expérience. Pour cela, ils louèrent une très grande salle et achetèrent tous les objets nécessaires : rouleaux à pâtisserie, tabliers jetables… Ils préparèrent aussi un «Séder» miniature. Mais…

Une heure passa et personne ne vint. Personne ! Que se passait-il ? N’avaient-ils pas fait assez de publicité? Ne s’étaient-ils pas assez bien exprimés sur les prospectus ? Après tout, peut-être valait-il mieux fermer les portes plus tôt et remballer tout le matériel…

Enfin, à 16h30, une maman arriva avec ses deux enfants. Les six jeunes gens étaient aux anges et réservèrent le meilleur traitement à cette famille : ils expliquèrent patiemment tout le processus de la fabrication de la Matsa, répétèrent comment procéder au Séder, leur apprirent des chants… Puis ils prirent les renseignements administratifs habituels et chacun rentra chez soi.

Il ne restait plus aux jeunes gens qu’à remballer leur matériel et à se demander désespérément pourquoi tout avait raté, à quoi avaient servi tous leurs efforts…

Pin’has Turk, l’un des étudiants, était très triste de ce ratage monumental. Mais cette nuit, il téléphona à la famille afin de convenir d’un rendez-vous.

De fait, la famille habitait dans une banlieue éloignée. La maman raconta au téléphone qu’elle n’avait pas reçu d’éducation juive mais se souvenait avoir mangé de la Matsa au printemps lors d’un grand repas familial. La semaine précédant la Matsa Bakery, elle avait remarqué la publicité et avait décidé d’emmener ses enfants. Pin’has lui annonça qu’elle avait la possibilité d’envoyer ses enfants dans une colonie de vacances à Moscou où ils pourraient passer un véritable Pessa’h et elle accepta avec joie.

Après Pessa’h, Pin’has et un de ses amis se rendirent chez la famille et eurent la surprise de découvrir qu’en fait, il y avait quatre enfants, trois garçons et une fille. La maman avait trouvé des biscuits cachères dans un magasin et la conversation tourna autour de l’éducation : les jeunes gens, eux-mêmes issus de familles nombreuses, étaient en mesure de donner de précieux conseils ; puis on discuta Judaïsme. La maman proposa alors de leur présenter son mari. Elle envoya un des enfants frapper respectueusement à la porte de sa chambre pour annoncer au père que des rabbins américains étaient venus leur rendre visite. Le père - un colosse - entra et se mit à parler de façon volubile… de christianisme. Les jeunes gens étaient stupéfaits : toute la famille semblait si intéressée par le judaïsme et le père parlait avec enthousiasme du christianisme ! De fait, le père (qui était juif lui aussi) avait ressenti le besoin de parler de D.ieu à ses enfants et, comme il n’y avait qu’une seule école religieuse dans la ville, il avait envoyé les enfants dans cette école chrétienne. Il avait tenu à donner à ses enfants des prénoms bibliques : Sarah, Chalom, Lemouël (un nom qu’il avait trouvé dans la Bible) et… Babi Yar, en souvenir de plus de 100 000 Juifs qui avaient été massacrés dans la forêt du même nom par les Nazis en 1941.

Le père accepta avec plaisir toute proposition d’éducation juive et inscrivit ses enfants au Talmud Torah en leur permettant aussi de passer plusieurs fois le Chabbat avec les étudiants.

A la fin de l’année, les étudiants prirent congé de tous leurs élèves, retournèrent dans leurs Yechivot, laissant aux Chlou’him (émissaires du Rabbi) locaux les noms et adresses des personnes qu’ils avaient pu contacter au cours de leur séjour.

Peu de temps après, ces jeunes gens se marièrent et l’un d’entre eux, Mendel Gurewitz s’installa avec son épouse Rivka à Offenbach en Allemagne en 1998. Avant les fêtes, il mit au point des programmes pour les enfants juifs de la région, comme il avait appris à le faire quand il était étudiant auprès de Rav Mendel Pewzner à Petersburg. Il décida de faire appel à des étudiants de Yechiva pour l’aider à mettre au point une Matsa Bakery.

Après les deux premiers jours de fête, une fois que tout s’était un peu calmé, il prit le temps de faire plus ample connaissance avec les jeunes gens, de leur expliquer ses problèmes pour les préparer eux aussi aux défis qu’ils rencontreraient peut-être plus tard.

Cette année, en 2001, il raconta comment, bien des années auparavant, il avait «raté» une Matsa Bakery où presque personne n’était venu mais que ce genre d’expérience ne doit pas décourager un Chalia’h… il dévisageait ses interlocuteurs tout en parlant puis se tourna vers l’un d’entre eux :

- J’ai l’impression de t’avoir déjà rencontré ! Comment t’appelles-tu ? Et d’où viens-tu ?

- Je m’appelle Babi Yar, répondit le jeune étudiant ‘hassidique tout droit sorti d’une Yechiva et je viens de St Petersburg…

Post-Scriptum : De nombreux étudiants du groupe de Petersburg assistèrent au mariage de Babi Yar à Brooklyn il y a plus de dix ans…

David Zaklikowski - Chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki

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