Comment la Torah perçoit-elle la richesse ? Comment considère-t-elle celui qui travaille très dur pour amasser de la richesse ? Ne devrait-il pas passer son temps à se consacrer à des occupations exclusivement spirituelles ?
La Paracha de cette semaine qui commence avec la rencontre fatidique entre Yaakov et Essav apporte une réponse à cette question.
Bien des années auparavant, Yaakov avait fui son frère Essav pour échapper à sa colère. Essav ressentait à tort avoir été lésé de son droit d’aînesse et des bénédictions de son père et il voulait tuer Yaakov. Yaakov avait donc dû se rendre auprès de son oncle Lavane, très loin vers l’est, à ‘Haran. Il s’y était marié, avait fondé une famille et avait prospéré. Il avait amassé de grands troupeaux de moutons et de bétail. Maintenant, il retournait chez lui, à Canaan.
Sur le chemin du retour, il dut faire face à une confrontation avec son frère Essav. Seraient-ils en paix ? Certainement mais peut-être pas immédiatement. On informa Yaakov qu’Essav se dirigeait vers lui, à la tête d’une armée hostile. Il procéda à des plans d’urgence. Il décida de lui envoyer un cadeau de paix de plusieurs têtes de différentes espèces de bétail, accompagné d’un message de conciliation : «Ainsi parle ton serviteur Yaakov : j’ai vécu temporairement avec Lavane et j’y suis resté jusqu’à maintenant. Je possède des bœufs et des ânes, des moutons, des serviteurs et des servantes et je t’envoie ce présent pour trouver faveur à tes yeux».
Les Sages s’interrogent : pourquoi Yaakov souligna-t-il que son séjour avait été temporaire ?
Ils répondent qu’ainsi Yaakov disait quelque chose sur la nature de la richesse qu’il avait amassée. Il est vrai qu’il avait travaillé dur, très dur et qu’il était devenu très riche. C’est pour cette raison qu’il envoyait un cadeau généreux à son frère. Mais il voulait également lui transmettre quelque chose sur son attitude par rapport à sa richesse. Les choses de ce monde sont importantes. Mais elles ne sont que temporaires.
Yaakov indiquait à son frère que le but principal de la vie n’est pas la richesse en soi mais la manière dont on peut en utiliser le moindre détail dans son service divin.
En fait la phrase : «j’ai vécu temporairement» s’exprime en hébreu par un terme unique : garti, qui possède la valeur numérique de 613. Yaakov disait ainsi : «j’ai vécu chez Lavane, l’idolâtre, je me suis consacré à subvenir aux besoins de ma famille et je suis devenu très riche. Mais le véritable but en était d’observer les 613 Commandements».
Dans l’esprit du Judaïsme, la richesse n’est pas le but, elle est le moyen ; le moyen de créer la belle atmosphère d’une maison juive, avec des enfants heureux et des invités réunis autour de sa table, le moyen de pouvoir donner du temps, de l’attention, de l’amour, une éducation juive, la charité, de pouvoir être capable de partager dans la communauté et de jouer son rôle pour le bien-être de tous.
Tel était le message de Yaakov à son frère Essav, parce qu’en dernier ressort, il s’agit du message du Juif au monde.

Une cause au-delà de l’entendement
Treize ans est l’âge auquel un garçon juif devient bar mitsva («fils du commandement»). A cette étape de sa vie, son esprit atteint le niveau de daat, la maturité de la conscience et de la compréhension qui rend l’individu maître de ses actes. A partir de là, il est un «homme», astreint aux commandements divins qui rendent un être humain responsable pour remplir sa mission dans la vie.
L’âge de daat prend sa source dans Béréchit, au chapitre 34, verset 25 où la Torah se livre au récit de la destruction de la ville de Ch’hem, entreprise par Chimone et Lévi en représailles pour l’abus commis sur leur sœur, Dina. Le verset narre : «au troisième jour… les deux fils de Yaakov, Chimone et Lévi, les frères de Dina, prirent chacun leur épée, et attaquèrent la ville avec confiance…». Le mot «homme» (ich) est utilisé comme s’appliquant aux deux frères, dont le plus jeune, Lévi, était alors âgé d’exactement treize ans. C’est donc ici que la Torah considère qu’un jeune homme de treize ans est un homme. (Nos Sages calculent qu’en ce qui concerne les jeunes filles qui mûrissent plus tôt, douze ans est l’âge du discernement.)
Mais le contexte d’où cette loi est tirée, semble quelque peu surprenant. L’acte de Chimone et de Lévi apparaît difficilement comme un exemple de daat. En effet, Yaakov, lui-même le dénonça comme irrationnel et immature et comme posant une question légitime quant au respect de la loi de la Torah dans des termes sévères : « Et Yaakov dit à Chimone et à Lévi : ‘vous m’avez sali, en me rendant odieux aux yeux des habitants du pays… Je suis surpassé par leur nombre, ils vont se grouper contre moi et me châtier et je serai détruit, moi et ma maisonnée’» (Beréchit 34 :30) et « Chimone et Lévi sont frères : instruments de la violence dans leur combat. Que mon âme ne se soumette pas à leur conseil, que mon honneur ne s’unisse pas à leur assemblée ; car dans leur colère, ils ont puni un homme et de manière délibérée, ils ont estropié un bœuf. Maudite soit leur colère, car elle est féroce et leur furie car elle est cruelle » (ibid., 49 :5-7).
Et pourtant, c’est ce même événement que choisit la Torah pour nous enseigner quel est l’âge de la raison, de la maturité, de la responsabilité et de l’engagement dans l’accomplissement des Mitsvot !

Le fondement
Comme le répondirent Chimone et Lévi à Yaakov, la situation qui occasionna leur acte ne leur permettait pas le luxe de considérations raisonnables et des conséquences. L’intégrité d’Israël était en jeu et les frères de Dina n’eurent aucune pensée à l’égard de leur propre personne, à la menace qui pèserait sur leur intégrité physique ou sur leur intégrité spirituelle à cause de la violence de leur acte. En fin de compte, leur réaction instinctive, émanant du plus profond de leur âme, plus profond que la raison, plus profond que la préoccupation personnelle, fut validée : D.ieu toléra leur action et leur vint même en aide.
C’est là le message que la Torah souhaite transmettre quand vient l’âge de raison et l’obligation des Mitsvot. Rares sont les individus appelés à agir comme Chimone et Lévi. Ce n’est pas la norme, bien plus la norme l’interdit. Mais l’essence de cet agissement devrait imprégner notre vie rationnelle. Chacune de nos Mitsvot doit être imprégnée du même sacrifice de soi et de la même profondeur dans l’engagement que ceux qui animèrent Chimone et Lévi.