« Ton nom ne sera plus appelé Yaakov ; mais plutôt Israël sera ton nom. Car tu as lutté avec le divin et avec les hommes, et tu l’as emporté. » (Beréchit 32 :29)
Ainsi parla l’ange avec lequel Yaakov combattit une nuit entière avant sa rencontre avec Essav. Plus tard, nous lisons dans la Paracha que D.ieu Lui-même apparut à Yaakov et réitéra le changement de son nom en Israël.
Avraham avait également vu son nom changer (d’Avram en Avraham) par D.ieu. Mais pour lui, le changement avait été absolu. Le Talmud va jusqu’à affirmer : « Quiconque appelle Avraham « Avram » viole une interdiction de la Torah, comme il est écrit : « Ton nom ne sera plus appelé Avram ». A Yaakov également, il est dit « ton nom ne sera plus Yaakov » et pourtant, la Torah continue de l’appeler par les deux noms, souvent alternant entre Yaakov et Israël dans un même récit voire dans un même verset. Le Peuple Juif qui porte le nom de son illustre ancêtre est également nommé à la fois « Yaakov » et « Israël ».
Le changement du nom d’Avraham qui survint lorsqu’il se circoncit lui-même, obéissant à l’ordre de D.ieu, marqua son élévation d’Avram (« père exalté ») à Avraham (« père exalté de multitudes »). Le nom d’Avraham inclut toutes les lettres et toutes les significations d’Avram. Le changement consistait en un ajout d’une lettre supplémentaire (le Hé) et d’un rôle additionnel. Ainsi appeler Avraham « Avram » est le réduire à son moi et sa signification précédente.
Par contre, Yaakov et Israël sont deux noms différents, qui possèdent deux significations. S’il est vrai qu’Israël représente un état d’être plus élevé que Yaakov, l’attribut de Yaakov possède certaines qualités auxquelles Israël ne peut prétendre. C’est ainsi que Yaakov reste le nom du troisième Patriarche et du Peuple Juif en tant qu’entité. Israël peut représenter une évolution supérieure dans le développement du Juif que Yaakov mais la grandeur du Peuple Juif réside dans le fait qu’il y a à la fois des « Juifs Yaakov » et des « Juifs Israël » et des éléments de Yaakov et d’Israël dans chaque individu.

Le guerrier spirituel
L’une des différences entre ces deux personnalités est offerte par Bilaam, le prophète païen qui, sommé de maudire le Peuple Juif, prononce l’une des plus belles odes de la Torah à la vie et à la destinée juives.
« [D.ieu] ne voit aucune culpabilité en Yaakov, aucun mal en Israël » (Bamidbar 23 :21)
Cela implique que Yaakov expérimente le mal bien que ses combats et ses difficultés ne résultent pas en culpabilité aux yeux de D.ieu. Par ailleurs, Israël jouit d’une existence tranquille, dénuée de culpabilité mais aussi de mal.
La Torah nous donne deux interprétations du nom de Yaakov. Yaakov naquit attrapant le talon de son jumeau aîné, Essav. Il fut donc nommé Yaakov qui signifie : « au talon ». Des années plus tard, quand Yaakov se déguisa en Essav pour recevoir les bénédictions qu’Its’hak destinait à Essav, ce dernier proclama : « Peu étonnant qu’il soit appelé Yaakov (le rusé) ! Par deux fois, il m’a trompé : il m’a pris mon droit d’aînesse et maintenant il m’a pris mes bénédictions. »
Yaakov représente le Juif dans le feu de la bataille de la vie. Une bataille dans laquelle il est souvent « au talon », ayant à faire avec les aspects les plus bas de sa propre personnalité et de son entourage ; une bataille qu’il doit mener furtivement et avec ruse, car il est dans un territoire ennemi et il doit déguiser ses véritables intentions pour pouvoir manœuvrer ceux qui tentent de le piéger. Menacé par un monde hostile, sapé par ses propres insuffisances et ses mauvaises inclinaisons, le « Juif Yaakov » doit encore dépasser la condition de son humanité, le fait que « l’homme est né pour peiner » et que la vie humaine est une course d’obstacles et de défis lancés contre sa propre intégrité.
D.ieu ne voit pas de culpabilité en Yaakov car malgré tout ce à quoi Yaakov doit faire face, il lui a été attribué la capacité de l’emporter sur son détracteur. Même s’il succombe momentanément à certains défis intérieurs ou extérieurs, il ne perd jamais sa bonté et sa pureté intrinsèques qui finissent par s’affirmer, quelques réprimées qu’elles aient pu être par les épreuves de la vie. Mais s’il peut être dépourvu de tout péché, il n’est jamais libre d’efforts, du combat pour ne pas pécher. Pour Yaakov, la guerre de la vie continue à faire rage, malgré toutes les batailles qu’il a gagnées.
Israël (« le maître divin ») est le nom donné à Yaakov quand il eut combattu avec le divin et avec les hommes et l’eut emporté. Israël représente le Juif qui a conquis sa propre humanité, qui a intériorisé si parfaitement la perfection de son âme qu’il est désormais imperméable à tous changements et tentations. Il l’a emporté sur le décret divin selon lequel « l’homme est né pour peiner » et s’est dessiné une existence tranquille au sein même des turbulences de la vie.
Aussi Yaakov est-il le nom que l’on nous réserve quand la Torah se réfère à nous comme les « serviteurs » de D.ieu alors qu’Israël est le nom que D.ieu choisit quand Il nous parle comme à Ses « enfants ». L’élément qui définit la vie du serviteur est le service de son maître. L’enfant sert également son père, mais leur relation est telle que ce service n’est pas un labeur mais un plaisir. Ce qui pour le serviteur représente un travail imposé sur un moi et un environnement résistants est pour l’enfant la réalisation harmonieuse de son identité comme extension de l’essence de son père.
La première partie de la vie de Yaakov fut consumée par ses luttes contre son frère Essav, luttes qui commencèrent dès le giron maternel et continuèrent par leur confrontation à propos du droit d’aînesse et des bénédictions de leur père et culminèrent dans le combat nocturne de Yaakov contre l’ange d’Essav et la rencontre face à face le jour suivant. Entre-temps, Yaakov passa vingt ans de labeur, s’occupant du troupeau de Lavan « le fourbe », années durant lesquelles il dit : « la chaleur me consumait le jour et le gel la nuit, et le sommeil était banni de mes yeux ». Il fut forcé de devenir le « frère » de Lavan, en matière de tromperie. Le changement du nom de Yaakov en Israël marqua le point où de « serviteur de D.ieu » il devint l’ « enfant de D.ieu », où il passa d’une existence définie par les combats et la lutte à une réalisation harmonieuse de sa relation avec D.ieu.

Doux amer
Cependant, même après avoir été nommé Israël, Yaakov continua à être aussi Yaakov. La Torah utilise son ancien nom en même temps que le nouveau. Les événements de sa vie incluent désormais des périodes de tranquillité (comme les neuf ans depuis son retour de ‘Haran en Terre Sainte jusqu’à la vente de Yossef et les dix-sept années passées en Egypte) mais aussi des périodes de lutte (comme les vingt ans années où il pleura Yossef).
Yaakov est le père du peuple d’Israël et il représente donc le modèle des deux sortes de Juifs. Il est le tranquille enfant de D.ieu, en paix avec lui-même, son D.ieu et sa société. Sa vie harmonieuse est une source de lumière et d’illumination pour son entourage. Mais il est aussi le serviteur assiégé de D.ieu, en proie avec son moi et son caractère, sa relation avec D.ieu et sa place dans le monde. Car l’état d’être de Yaakov n’est pas seulement une étape préalable nécessaire pour atteindre celui d’Israël mais une fin en soi, un rôle indispensable dans le plan du Créateur sur terre.
Selon les mots de Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi : « Il existe deux types de plaisir devant D.ieu. Le premier vient d’une complète soumission du mal et de la transformation de l’amertume en douceur et de l’obscurité en clarté par les Tsadikkim [les Justes parfaits]. Le second plaisir vient quand le mal est repoussé alors qu’il encore dans toute sa force et sa puissance… par l’initiative des Beïnonim [les Intermédiaires]… L’analogie en est la nourriture matérielle dans laquelle existe deux types de mets délicats qui donnent du plaisir : le premier plaisir étant dérivé d’aliments sucrés et agréables et le second d’aliments forts et acides qui sont épicés et préparés de telle manière qu’ils deviennent délectables et font revivre l’âme. »