Dans notre Paracha, un verset, à l'analyse, paraît tout à fait étonnant. La Torah donne la généalogie de la tribu de Réouven, et en passant, mentionne le nom des deux semeurs de trouble connus : Dathan et Aviram, les arrière-petits-fils de Réouven.
«(...) Dathan et Aviram sont ceux-là mêmes convoqués par l'assemblée qui avaient comploté contre Moché et Aharon, avec l'assemblée de Kora'h quand ils se sont révoltés contre D.ieu. Alors la terre avait ouvert sa bouche et les avait engloutis, eux et Kora'h (...) avec la mort de l'assemblée quand le feu avait consumé deux cent cinquante hommes. Et ils devinrent un signe. Et les fils de Kora'h ne moururent pas.» (Bamidbar, 26 :9-11)
Le dernier verset est celui qui nous interpelle car il semble en fait contredire celui qui précède : «la terre ouvrit sa bouche et les avala, eux et leur maisonnée et tous ceux qui étaient avec Kora'h.»
Le verset affirme, sans équivoque, que tous ceux qui appartenaient au camp de Kora'h furent avalés vivants, y compris ses fils. A moins qu'il n'existe un moyen de rester vivant quand on est englouti dans la terre, la Torah nous propose deux récits inconciliables. Heureusement, le célèbre commentateur Rachi vient nous éclairer.
«Ils étaient (présents) dans le complot (dès) le début mais au moment de la dispute, ils eurent des pensées de repentir dans leur cœur ; c'est pourquoi il fut fortifié pour eux un endroit élevé dans le Gehinom (l'enfer) et ils s'y installèrent (Sanhédrine 110 a ).»
Na'halat Yaakov, un commentateur de Rachi, ajoute un détail important : le fait que le «séjour» des fils de Kora'h dans le Gehinom fut temporaire. Ils ne passèrent pas le reste de leur vie sous terre mais en sortirent finalement pour rejoindre la société, une fois que le scandale se fut apaisé et leurs comparses morts.
Injuste ?
Certes, il est réconfortant de savoir que certains survécurent à l'épreuve de force entre Moché et Kora'h mais nous pouvons nous demander pourquoi la Providence choisit tout particulièrement les fils de Kora'h, parmi tous les mutins pour survivre à ces événements.
«Les fils de Kora'h furent les premiers à s'impliquer dans la révolte» nous dit le Talmud (Sanhédrine 110 a). Il s'avère donc que ces hommes ne se joignirent pas à une rébellion contre Moché déjà en marche, mais ils la suscitèrent. Et pour le Judaïsme, le véritable pécheur est celui qui est l'instigateur d'un péché commun.
Comment donc comprendre cet heureux retournement de situation à la fin de l'histoire de Kora'h ? Non seulement ses fils échappèrent-ils à la mort spirituelle mais ils vécurent pour raconter l'histoire !
En fait, et selon nos Sages, ces hommes fondèrent des familles dont les descendants purent se vanter de compter parmi eux des géants spirituels comme le Prophète Chmouel et vingt-quatre gardes Lévites du Temple.
Et ce n'est pas tout. Selon le Talmud, alors qu'ils étaient dans cet «endroit particulier» du Gehinom qui leur était réservé, les fils de Kora'h «étaient assis et chantaient des louanges (à D.ieu)» ce qui fut, de façon tout à fait étonnante, inclus et immortalisé par le roi David dans ses Psaumes.
L'on peut citer pour exemple le premier verset du Psaume 87 : «Des fils de Kora'h, un chant avec un accompagnement musical dont le fondement se situe dans les montagnes sacrées».
Que firent donc ces profanateurs invétérés, pour atteindre du plus profond des abîmes de l'enfer le sommet des «montagnes sacrées» ?
Le remord juif'
En dépit de la gravité de leur faute, les fils de Kora'h, contrairement aux autres conspirateurs, conservèrent malgré tout une qualité : «durant la querelle ils eurent des pensées de Techouva (repentance) dans leur cœur.» Telle est la vertu qui les sauva : une mauvaise conscience.
Il est vrai que, de manière générale, le Judaïsme n'a que peu de patience pour des pensées et des sentiments saints qui ne se réalisent pas, et encore moins pour des remords qui restent vides. «L 'action est essentielle» nous enseignent les « Maximes des pères ». Et il est également vrai qu'aucune action concrète n'émergea des sentiments de regrets arborés par les fils de Kora'h.
Mais c'est précisément ici que réside la leçon : ne sous-estimez pas la puissance d'un sentiment de regret. N'écartez pas ces sentiments, même s'ils ne se traduisent pas en actes car ils sont le seul réel lien entre la transgression et la repentance. Sans eux, le pécheur n'a aucune chance de s'amender. Selon les paroles de nos Sages, «une fois qu'un individu s'habitue à une certaine transgression, elle lui devient permise» (Talmud, Sotah 22a).
La conscience est le garde-fou pour un comportement humain convenable.
Et malheureusement, nul n'est besoin de chercher loin des exemples pour observer ce qui arrive lorsque des individus sont dépourvus de conscience...
C'est le sens moral intérieur que possédaient les fils de Kora'h qui les distingua des autres et leur permit de mériter la rédemption. Les autres, eux, s'étaient totalement identifiés à la révolte contre D.ieu et Moché, dans l'esprit et dans le cœur. Mais les fils de Kora'h gardèrent le contact, même si temporairement ils s'en écartèrent, avec ce qui était bien et ce qui était mal. Ce dont ils manquèrent, au moment critique, fut de courage mais non de conviction, ce qui signifie que, du moins dans leur cœur, ils n'abandonnèrent jamais le chemin de la droiture.
La leçon
Dans Kohélète (l'Ecclésiaste), il nous est enseigné qu' «il n'existe pas un homme juste sur terre qui fait ce qui est juste et ne pèche jamais». Les manquements sont humains. La façon dont nous répondons aux attirances ponctuelles du péché est une autre chose.
Même si nos sentiments de remords s'avèrent incapables de nous conduire à une action rectificatrice, il nous faut préserver en nous ces sentiments de peur de nous désensibiliser ou nous immuniser contre les mauvaises actions et finir, le cas échéant, par nous identifier à notre mauvaise conduite.
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- Publication : 27 juin 2021