La Sibérie… Un pays immense de neige et de glace, un pays dont le nom à lui seul suffit à glacer le sang quand on pense aux millions d’esclaves réduits aux travaux forcés dans des conditions inhumaines, aussi bien par les Tsars que par les gouvernements soviétiques… Mais la Sibérie, aujourd’hui, ce sont de grandes villes, avec des communautés juives qui reviennent à la vie et dans lesquelles les Chlou’him (émissaires) du Rabbi fondent des écoles, des synagogues et toutes les structures communautaires qui facilitent la vie juive.

C’était le matin de Chavouot. Comme toutes les synagogues du monde, celle de Tioumen en Sibérie était remplie d’hommes, de femmes et d’enfants. Tous avaient répondu à l’appel du Rabbi, relayé par ses nombreux émissaires, de se rassembler pour écouter attentivement la lecture des Dix Commandements. Il ne fut pas facile d’obtenir le silence pour cette courte lecture mais finalement, le Baal Koré (le lecteur) parvint à d’une voix puissante à couvrir le brouhaha afin de rendre quitte tous les fidèles.

Sitôt l’office terminé, tous se retrouvèrent dans une salle attenante pour assister au Kiddouch qui fut suivi par une traditionnelle réception lactée : gâteaux au fromage, yaourts, glaces (oui, même en Sibérie, les enfants aiment les glaces…), friandises à base de lait, le tout sous stricte surveillance rabbinique depuis la traite du lait en présence d’un Juif, jusqu’à la production finale. Inutile de le préciser, les enfants étaient heureux ! Leurs yeux brillaient et ils n’avaient pas assez de deux mains pour se procurer et déguster tout ce qu’on leur offrait.

Au cours de ce Kiddouch, nous avions organisé pour tous les enfants présents un tirage au sort (de la manière prescrite selon la Hala’ha, la loi juive, pendant ce jour de fête). Nous avions prévu ceci depuis longtemps et nous nous étions procuré à l’avance de nombreux cadeaux afin que chacun gagne quelque chose. Certains enfants reçurent de petits jouets, d’autres un livre de Tehilim (Psaumes), un livre de prières…

Finalement, il ne resta plus que deux prix, ceux que tous les enfants regardaient avec les yeux brillants, espérant mériter l’un de ces gros lots : un vélo et une paire de patins à roulettes.

Nous avons tiré du chapeau les deux derniers numéros. C’est Daniel qui obtint le vélo et c’est Roma – qui venait pour la première fois à la synagogue – qui gagna les patins à roulettes. Inutile de préciser que tous deux étaient fous de joie, surtout Roma qui se voyait ainsi récompensée dès sa première visite à la synagogue ! Tous se pressèrent autour des heureux récipiendaires pour admirer ces objets impressionnants dont tous rêvaient. Mais je remarquai un enfant qui ne se joignait pas aux groupes qui s’étaient instinctivement formés autour de Daniel et Roma. Le petit Mikaël, âgé d’à peine cinq ans, restait prostré dans un coin : il pleurait.

A première vue, j’ai pensé qu’il était déçu ou même un peu jaloux de son grand frère Daniel qui avait gagné le vélo.

Ce n’est qu’après que tous les fidèles aient quitté le Centre Communautaire qu’une de nos monitrices nous expliqua la situation : Depuis Pessa’h, Mikaël a appris ce qu’était Chavouot : d’abord, on doit compter un par un les quarante-neuf jours de l’Omer. Chaque jour, il a veillé à ajouter une autre gommette sur le tableau suspendu dans la classe pour se préparer au grand jour, le jour de Chavouot quand D.ieu donne au peuple juif le plus beau des cadeaux : la Torah.

Finalement le grand jour est arrivé ; il s’est efforcé de rester très sage pendant la lecture des Dix Commandements comme le lui avait recommandé sa monitrice et il a aperçu tous les magnifiques cadeaux préparés pour les vainqueurs de la tombola, y compris des livres de Torah. Alors que le tirage au sort progressait, il gardait les yeux fixés sur ces livres en hébreu, attendant de recevoir «sa» Torah. Quand le tirage au sort s’est achevé et que tout ce qu’il avait obtenu, ce n’était «que» des jouets, il a éclaté en sanglots ! Déçu de constater que ses efforts n’avaient pas été récompensés comme il s’y attendait, il refusait à présent de participer au reste du programme.

Alors que nous rentrions de la synagogue avec nos enfants, ma femme Sternie et moi-même nous émerveillions de la sincérité de cet enfant.

Soudain notre rêverie fut interrompue par notre fille de six ans et demi : Moussia avait gagné un volume du Kitsour Choul’hane Arou’h (Code de la Loi Juive) traduit en russe :

- Papa, Maman ! J’ai une idée ! Je veux donner mon prix à Mikaël ! Moi, je possède déjà un Kitsour en hébreu à la maison et je n’ai pas vraiment besoin d’un autre traduit en russe !

Le lendemain de la fête, dès que Moussia arriva au jardin d’enfants, elle se précipita vers Mikaël et lui tendit son nouveau livre. Son visage s’illumina littéralement d’un immense sourire qui décrivait mieux que mille discours sa joie et son soulagement. Oui il était ainsi pleinement récompensé, mieux qu’avec des glaces et des jouets.

Mikaël avait enfin reçu «sa Torah».

Rav Yerachmiel Gorelik - Chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki