Pour le temps qui passe
Dans la dernière période, la société a paru traverser une sorte de stase, comme si tous les événements se ralentissaient, comme si seules comptaient les fêtes de commande du moment. Il est toujours impressionnant de relever le poids du calendrier social. Pour des raisons multiples, des réjouissances sont imposées par toute la puissance du tamtam médiatique. Et tout cela fait tant partie du quotidien qu’on finit par le ressentir comme naturel. Il n’est guère étonnant que le plus beau monument construit par le peuple juif soit son calendrier et que, au cours des temps, celui-ci ait été frappé d’interdiction par nombre de ses oppresseurs qui voyaient là un moyen d’effacer sa nature propre.
De fait, un calendrier est bien plus qu’un outil commode pour mesurer le passage du temps. Il porte en lui le cadre des rituels, comme une référence, une clé de lecture du monde. La computation des années renvoie ainsi à l’événement qu’on estime fondateur – pour le judaïsme, la création du monde. Le déroulement des mois dénote un rythme astronomique, qui met en accord les actes des hommes avec ce qui les dépasse. Autant dire que le temps n’est jamais un domaine neutre. Façonnant la vie, il est aussi l’expression d’une vision voire d’une aspiration. Comment ne pas relever que la semaine juive est une construction dont le point culminant est le Chabbat comme le faîte d’un toit sur un édifice audacieux ? Comment ne pas voir que l’élévation progressive des jours qui passent en est le préalable incontournable ? Du reste, ces derniers sont désignés non en tant que journées indépendantes mais par rapport au Chabbat comme pour nous dire que tout cela constitue une séquence unique tendue dans un objectif défini.
Certes, nul ne peut ignorer les temps sociaux. Lorsque l’on vit dans une société, suivre ses rythmes fait partie de la vie. Cependant, il doit exister dans la conscience un point plus profond et central, lié à l’essence de ce que l’on est, que rien ne peut altérer. Ce n’est pas de souvenir qu’il s’agit mais bien d’une fidélité vivante sur laquelle il est possible de construire un avenir. Le peuple juif a su ne jamais perdre ses attaches car il détient le secret de la préservation de l’essentiel, d’une certaine façon les clés du temps.
Un pauvre sur un âne
Zacharie, dans sa prophétie (9:9), décrit Machia’h comme «un pauvre sur un âne». Il faut comprendre le sens profond de cette idée.
La révélation divine au temps de Machia’h ne sera pas le résultat d’un « effort d’en bas ». Cela signifie qu’elle ne proviendra pas de l’œuvre spirituelle accomplie par l’homme. Au contraire, elle rayonnera comme un don de D.ieu si élevé qu’aucune initiative humaine ne pourrait le susciter. C’est pourquoi Machia’h est qualifié de « pauvre ».
(d’après Or Hatorah, p.260)
Chemot
Devant le nombre croissant des Enfants d’Israël en Egypte, le Pharaon les soumet à l’esclavage. Puis il ordonne aux sages-femmes juives, Chifrah et Pouah, de tuer tous les nouveau-nés garçons. Devant leur désobéissance, il ordonne que tous les bébés hébreux soient jetés dans le Nil. Amram et Yo’héved, la fille de Lévi, ont un fils qu’ils déposent dans une corbeille sur le Nil. Sa sœur Miryam surveille de loin et voit que la fille du Pharaon découvre l’enfant et le prend. Elle va l’élever comme son fils et le nommer Moché.
Moché, devenu un jeune homme, découvre les souffrances de ses frères. Voyant un Egyptien s’acharner sur un Hébreu, il le tue. Le lendemain, alors qu’il veut séparer deux Juifs qui se querellent, ces derniers le menacent de rapporter son crime. Moché fuit donc à Midian. Il est secouru par les filles de Yitro. Il se marie avec l’une d’entre elles, Tsipora, et devient le berger de son beau-père. (Chemot 1 :1- 6 :1)
Le livre des noms
Cette semaine, nous commençons le second livre de la Torah, le livre de Chemot, ce qui signifie littéralement « les noms ». Ce titre paraît étrange. La traduction française, « Exode », paraît plus adéquate puisqu’elle couvre le thème central du livre : l’exode d’Egypte et le Don de la Torah qui suivra.
On peut expliquer ce titre par le fait qu’on le trouve dans le premier verset du livre « voici les noms des Juifs qui descendirent en Egypte… » et la suite énumère ces noms.
Cependant, la question demeure dans la mesure où apparemment ce nom n’a aucun lien avec le reste du livre et nous savons que, dans la Torah, un nom n’est pas anodin et que le nom d’un livre ou d’une Paracha est lié à son ensemble, à son « âme ».
Quel est donc le sens d’un nom ?
Un nom présente, dans une certaine mesure, un paradoxe.
D’une part, il représente la partie la plus extérieure de la personne. C’est simplement le moyen grâce auquel on peut l’identifier, appeler son attention, lui parler. Si quelqu’un vit sur une île déserte, à moins qu’il ne se parle à lui-même, (ce qui risque probablement d’arriver au bout d’un certain temps), il n’a pas besoin de nom. Ainsi, le nom, bien qu’il soit une partie de nous, n’est qu’un aspect extérieur de notre personne.
Ce qui en découle est que D.ieu nous dit ici que bien que le livre commence par l’exil en Egypte, suivi par l’Exode, nous devons savoir qu’un Juif ne se trouve en exil qu’extérieurement. L’essence de notre âme reste libre, liée à D.ieu. C’est donc appelé le « Livre des Noms » car il commence par une longue description de l’exil d’Egypte, de sa libération. Tous les exils sont d’ailleurs appelés eux-aussi « Egypte ». En effet, le terme Mitsraïm (« Egypte ») signifie « oppression ». La Torah nous dit ici que l’exil ne nous oppresse que superficiellement. Seuls nos noms descendent en exil. »
« Voici les noms de ceux qui descendirent en Egypte » : quelle partie des Juifs fut exilée ? Seulement leur nom. L’essence de leur âme resta libre.
Mais il y a plus. Ce qui précède n’apporte un éclairage que sur le début du livre : l’exil. Mais qu’en est-il de l’Exode ? Cela pourrait signifier que même la partie externe des Juifs qui était en exil, leur nom, était maintenant libérée. Mais c’est encore plus profond.
Nous avons évoqué l’aspect paradoxal d’un nom.
Quel est le revers de la médaille ? D’un côté, le nom évoque l’aspect extérieur de l’individu mais, de l’autre, il révèle l’essence-même de ce que nous sommes.
Ainsi quand quelqu’un s’évanouit, à D.ieu ne plaise, on murmure à son oreille son nom juif et bien souvent il se réveille. Comment cela fonctionne-t-il ?
S’évanouir signifie que, dans une certaine mesure, l’âme s’est détachée du corps. Appeler par le nom signifie appeler la source de l’âme et la ramener dans le corps. Le nom a donc l’aptitude de faire revenir dans le corps l’énergie de l’âme.
Un autre exemple peut servir à illustrer la force du nom. Un jour, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi (premier Rabbi de Loubavitch et auteur du Tanya) portait sur ses genoux son petit-fils, Mena’hem Mendel, le futur Tséma’h Tsédèk (troisième Rabbi). Le Rabbi demanda à l’enfant :
- Où est grand-père ?
L’enfant pointa du doigt le nez du Rabbi.
- Non, ça c’est le nez de grand-père.
L’enfant mit alors sa main dans la barbe du Rabbi.
- Non, ça c’est la barbe de grand-père.
L’enfant quitta alors les genoux de son grand-père et se mit à jouer.
A un moment, il appela : « Grand-père ! ». Le Rabbi se tourna vers lui et lui dit : « Ça, c’est grand-père ».
L’appeler par son nom suscite une réponse où la personne tourne tout son être. Toute son attention se concentre sur celui qui appelle quand bien même ce nom est une étiquette extérieure. Bien sûr, ensuite, quand l’interaction, la conversation commencent, on peut engager ses émotions, son intellect, son comportement, la partie de la personnalité qui est concernée… Mais ce moment où l’on se tourne engage tout l’être.
Le point à souligner est donc que l’âme va en exil pour que dans l’exil, symbolisé par le nom, et à travers l’exil, elle révèle son essence profonde et son attachement profond à D.ieu.
En d’autres termes, avant qu’ils ne quittent Israël pour descendre en Egypte, les Juifs étaient, pour ainsi dire, libres, pieux et justes. Cependant, la nature de leur relation avec D.ieu était intellectuelle, émotionnelle, mais ils n’avaient pas donné leur essence profonde. Cette relation s’appuyait sur un niveau mesuré, structuré, prévisible.
Descendre en exil force la parcelle divine, qui est en chacun de nous, notre essence divine, à jaillir, précisément à cause de l’oppression qu’elle subit et à cause du grand voilement qui la dissimule. Tout comme un nom, ce voilement peut dévoiler l’essence même de notre être.
Tel est le sens de l’exil : malgré toute l’oppression qu’ils subirent, les Juifs restèrent fondamentalement loyaux à l’égard de D.ieu. Ils conservèrent leurs vêtements, leur langue et leur nom. Cela signifie que le cœur de leur Judaïsme qui n’avait jamais été révélé, actif, l’était maintenant.
Et cela était représenté par ce modèle du nom, tout extérieur soit-il, qui est le véhicule pour obtenir toute l’attention de la personne. D.ieu obtint, pour parler ainsi, toute notre attention non en Israël, avant l’exil, mais dans l’Egypte elle-même. En Israël, D.ieu avait notre intellect, nos émotions, notre comportement mais non notre essence. C’est en Egypte, en dépit des épreuves de l’Egypte, de l’obscurité de l’Egypte, du voilement de l’Egypte, que D.ieu nous posséda complètement avec tout notre être.
Et c’est donc pour cette raison que ce livre est appelé Chemot – les noms.
Il est interdit de se tatouer
L’usage des païens était de tatouer sur la peau des signes attestant qu’ils étaient dévoués à telle ou telle idole. C’est pourquoi la Torah a interdit toute forme de tatouage : « Une écriture de tatouage vous ne mettrez pas sur votre chair » (Vayikra – Lévitique 19 : 28).
Selon le Rambam, ce qui est interdit est la gravure profonde qu’on remplit de teinture. Cependant, Rachi estime qu’il s’agit d’écriture qui, ensuite, est gravée dans la chair. D’autres décisionnaires affirment que, d’une manière ou d’une autre, c’est interdit (que l’écriture précède ou non la gravure en profondeur).
Même une seule lettre, dans quelque langue que ce soit et même un seul signe, même si ce n’est pas une lettre sont interdits. Certains estiment que le seul fait de tracer un trait en profondeur est interdit.
Ce qui est seulement écrit et non gravé (et ne subsiste donc pas éternellement) n’entre pas dans la catégorie des tatouages interdits.
Aussi bien le tatoueur que la personne qui subit (ou qui demande) le tatouage transgressent l’interdiction.
La personne tatouée n’est pas obligée de chercher à tout prix à enlever le tatouage – même s’il avait agi intentionnellement. Mais celui qui veut l’enlever doit être encouragé pour cela à recourir au laser qui ne laisse que de faibles traces.
(d’après Rav Yossef Ginsburgh – Sichat Hachavoua N° 1598)
Pratiquante maintenant !
J’ai grandi en Israël dans une famille non pratiquante mais c’est surtout dans mes années de lycée que je me suis intéressée aux mouvements de gauche antireligieux. Dans cet internat de qualité, la plupart des éducateurs étaient affiliés à la gauche israélienne la plus dure. Donc, très jeune, je me définissais comme athée sans que ma famille s’en émeuve outre mesure.
Après le service militaire, je me suis inscrite à l’Université Hébraïque de Jérusalem et j’ai milité au sein du mouvement Meretz, puis dans le mouvement « La Paix maintenant » et surtout dans tout ce qui s’opposait à « la coercition religieuse ». Je participais à toutes les manifestations de protestation, réclamant par exemple l’ouverture des cinémas et centres commerciaux le Chabbat. Avec d’autres militants, j’allais de ville en village, rassemblant des plaintes des habitants contre les synagogues… Quand je me suis installée dans la ville de Modiine, j’ai été élue au Conseil Municipal, je me suis battue contre la corruption mais aussi pour les droits de la femme et, bien sûr, contre toute tentative de « coercition religieuse ».
Un journaliste de Tel-Aviv, Ye’hiel s’intéressa à nos activités et c’est ainsi que je l’ai connu, lui qui allait devenir mon mari – à l’occasion d’une manifestation contre l’ouverture prochaine d’une nouvelle synagogue.
Cependant, toute cette agitation ne me procurait pas la satisfaction escomptée. Je courrai après la célébrité et les reportages dans la presse sans m’intéresser vraiment à la justesse des causes que je défendais. Puis nous avons donc déménagé dans le sud du pays. Mon mari avait achevé son doctorat et voulait continuer ses études. Un jour, il est rentré à la maison avec une Kippa sur la tête ! Deux jours plus tard, il revint avec des Tsitsit ! J’étais sidérée ! Comment osait-il nous faire cela ? J’ai pensé qu’il était devenu fou. Nous avons discuté longtemps ; le choix était simple : ou divorcer ou apprendre à vivre ensemble autrement, chacun avec ses opinions.
Nous recherchions tous deux la vérité et nous étions passés par de nombreuses étapes. Nous avons conclu une sorte de compromis : la religion ne devait pas empiéter sur notre famille. Petit à petit, j’ai accepté beaucoup d’éléments concernant la maison : cacherout, Chabbat, Pureté familiale tout en espérant que ce n’était qu’une étape supplémentaire. D’un autre côté, je ne pouvais m’empêcher de réfléchir à la situation. En particulier, j’avais vécu de véritables miracles au cours d’une de mes grossesses et, même si j’avais essayé de balayer cela sous le tapis, j’avais été ébranlée dans mes convictions et forcée de reconnaître qu’un Etre Supérieur semblait bel et bien exister.
Au bout d’un an, nous avons encore déménagé, à Eliav et nous avons déniché là-bas pour les enfants une école mixte qui me plaisait. Notre fils y a commencé sa scolarité mais a vite demandé à changer d’école car il voulait apprendre davantage de Torah. Je n’étais pas du tout prête pour cela. Nous lui avons trouvé une école plus religieuse mais cela ne lui convenait pas non plus. Finalement il a gagné : nous l’avons inscrit dans une école Loubavitch ! Sa petite sœur l’a suivi tout naturellement, sans problème : elle n’a pas eu besoin de se battre pour cela ! Mon fils se sentait comme un poisson dans l’eau ; sa satisfaction m’interpela, évidemment. J’ai compris qu’en fait, depuis longtemps je connaissais la vérité et, d’un jour à l’autre, je me suis décidée : j’ai commandé une perruque, j’ai pris de grands sacs et y ai jeté pratiquement tous mes vêtements pour m’acheter des vêtements corrects, conformes à la tradition et à la discrétion d’une femme juive. Inutile de vous décrire l’étonnement de mes collègues dans le cabinet d’avocats où je travaille : non, ce ne fut pas facile mais ce qui m’aida dans ma détermination, ce fut le fait que j’étudiais intensément. Etudier ? Mon mari rédigeait des livres sur le mouvement Loubavitch qu’il commençait à mieux connaître de l’intérieur et j’étais chargée de les relire, non seulement pour m’assurer qu’ils ne contenaient pas de fautes de frappe mais aussi pour certifier que leur contenu était adapté à tous publics. Bien entendu, ces lectures m’impressionnèrent profondément et me renforcèrent dans notre nouveau style de vie.
Il y a trois ans, j’ai participé au Kinous Hachlou’hot, le Congrès international des femmes d’émissaires du Rabbi à New York. Je me suis retrouvée assise à côté de Mme Naava Slonim de Modiine. Au début, nous ne nous sommes pas reconnues mutuellement mais quand elle m’annonça d’où elle venait, je lui ai asséné : « Sais-tu qui je suis ? Je suis Anat ! ». Elle fut sidérée !
Il faut comprendre le contexte : quand j’avais fait partie du Conseil municipal de Modiine, j’avais mon mot à dire pour la répartition des terrains. J’avais lutté de toutes mes forces pour empêcher le mouvement Loubavitch d’acquérir un terrain, en prétextant que c’était une communauté minoritaire et, à cause de mon entêtement d’alors (que je regrette maintenant), la construction d’un Beth ‘Habad fut longtemps repoussée. La Rabbanit Slonim n’avait pas reçu de mes nouvelles durant toutes ces années et ignorait quel changement j’avais opéré. Et voilà qu’elle me retrouvait coiffée d’une perruque et habillée de façon classique, assise à côté d’elle au Kinous ! Elle n’en croyait pas ses yeux et ses oreilles !
Remarquez, bien que je ne sois nullement fière de ma conduite d’alors, le fait est qu’après mon départ de Modiine et du Conseil municipal, une autre équipe a accordé au mouvement Loubavitch un autre terrain, bien plus grand, moins cher et mieux situé !
Parfois c’est justement l’opposition qui se révèle bénéfique !
Anat Hariri – Michpa’ha ‘Hassidit N° 1733
Traduite par Feiga Lubecki