Pour voir plus loin
La santé, collective et individuelle, est si évidemment devenue le sujet quasi unique des préoccupations de tous avec ses multiples déclinaisons en termes de vie sociale voire de pratique du judaïsme qu’il peut paraître difficile d’écrire un éditorial qui n’en parle pas. L’ensemble des médias en donne, du reste, une illustration frappante. Pourtant le peuple juif a une plus longue mémoire. Il sait s’inscrire dans un temps long, voyant d’où il vient et où il va, donnant un sens aux choses. C’est dire que nos dates rituelles ne sont jamais affadies, quels que soient les événements au dehors. Dans les tourbillons de l’histoire, porteurs d’élan ou destructeurs, elles ont toujours constitué des balises rayonnantes, à la fois guides et points de repère. Cette semaine est éclairée par Lag Baomer, le 33ème jour de l’Omer, le jour de la Hilloula de Rabbi Chimon bar Yo’haï.
Une telle date est éternellement d’actualité : la Hilloula de Rabbi Chimon n’est-elle pas le jour qui marque le don du sens profond de la Torah, tant il est lié au Zohar ? Mais parfois, parce que nous sommes des créatures soumises au déroulement du temps et que nous ne pouvons faire qu’en suivre les avancées et les changements, elle résonne avec une encore plus grande puissance dans nos consciences. De fait, nous traversons un temps plein de défis à relever et de limites à vaincre. Et parfois, levant les yeux vers le ciel, nous nous prenons à murmurer la célèbre phrase des psaumes « d’où viendra mon aide ? » en son sens premier. Oublieux de la suite du verset, « mon aide vient de D.ieu, Créateur du ciel et de la terre », nous en restons à cette interrogation angoissée, aux prises avec une obscurité si épaisse qu’elle en semble matérielle. Voici alors que, brutalement, Lag Baomer survient comme un éblouissant éclair qui, dans sa puissance, dissipe tout ce qui s’oppose à son irrésistible présence.
Le Talmud enseigne à propos de Rabbi Chimon : « On peut se reposer sur lui en temps de besoin. » Sans doute y sommes-nous. Le temps est là et Rabbi Chimon, au jour où sa grandeur se manifeste, assume son plein rôle. Le sens profond de la Torah, ce qu’il est dans son essence, dissipe les éléments négatifs. Il apporte à tous le plus grand des bonheurs. Par le Zohar, est-il dit, « le peuple juif sera libéré d’exil avec miséricorde. » De tous les exils, quelles qu’en soient la cause et les caractéristiques, intérieur ou extérieur. A nous de le vivre et de le concrétiser.
Une prière sereine
Un jour, à l’époque de Rabbi Chalom Dov Ber, le cinquième Rabbi de Loubavitch, des vieux ‘Hassidim étaient réunis et parlaient de la venue de Machia’h. Et la discussion se focalisa sur une question : que se passera-t-il en ces nouveaux temps ?
Il y avait, parmi les participants, un ‘Hassid très âgé qui avait connu les deux prédécesseurs de Rabbi Chalom Dov Ber et dont chaque mot était un enseignement. Il déclara : « Lorsque Machia’h viendra, on se lèvera le matin, on se mettra à prier et la prière d’elle-même, sans effort ni difficulté ».
(D’après la tradition ‘hassidique)
Behar Be’houkotaï
Behar
Sur le mont Sinaï, D.ieu donne à Moché les lois de l’année chabbatique : toutes les septièmes années, tout travail de la terre doit être interrompu et ses produits rendus accessibles à tous, hommes et animaux.
Sept cycles chabbatiques sont suivis d’une cinquantième année : l’année du Jubilée au cours de laquelle tout travail de la terre cesse, tous les serviteurs attachés à un propriétaire sont libérés et toutes les terres qui ont été vendues reviennent à leurs propriétaires originels.
Behar contient également des lois supplémentaires concernant la vente de terres et les interdictions de fraude et d’usure.
Be’houkotaï
D.ieu promet que si le Peuple d’Israël observe Ses commandements, il jouira de prospérité matérielle et résidera en paix sur sa terre. Mais Il donne également un avertissement sévère et le menace de l’exil, de la persécution et d’autres maux qui s’abattront sur lui s’il abandonne son alliance avec Lui.
Toutefois, « même quand ils seront sur la terre de leurs ennemis, Je ne les rejetterai pas, pas plus que Je ne les haïrai, ne les détruirai ou ne briserai Mon alliance avec eux. Car Je suis l’Eternel leur D.ieu ».
La Paracha se conclut avec les lois concernant la manière de calculer la valeur des différents types d’engagements pris pour D.ieu et la Mitsva de prélever un dixième des produits agricoles et du bétail.
Ce Chabbat, nous lisons les Parachiot Behar-Be’houkotaï. Bien qu’elles constituent deux parties différentes de la Torah (et certaines années, elles sont lues séparément), elles se combinent parfois, comme cette année, en une seule lecture. Nous devons donc tirer une leçon distincte de chacune de ces parties et une leçon de leur combinaison.
Behar (signifiant « la montagne ») se réfère au mont Sinaï. Quelquefois, il est appelé « le mont Sinaï » (comme dans le premier verset de cette Paracha), parfois Sinaï, comme on peut le lire dans le début des Pirké Avot (« les Maximes de nos Pères ») : « Moché reçut la Torah du Sinaï » et à d’autres occasions, « la montagne », comme l’indique le premier mot de la Paracha. Chacun de ces trois termes se réfère à un niveau différent. Le Midrach explique que D.ieu choisit le mont Sinaï car c’était la moins haute de toutes les montagnes.
Ainsi, l’expression « le mont Sinaï » fait allusion à un mélange de fierté et d’humilité.
La mention de « Sinaï » évoque la qualité de l’humilité. Quand le terme utilisé est Behar, « la montagne », il s’agit alors de mettre l’emphase sur la qualité de la fierté.
Chacun de ces différents niveaux trouve son application à différents moments.
L’humilité est nécessaire mais il nous faut également posséder « le huitième d’un huitième de fierté », garantissant que l’on reçoit d’autrui le respect mérité.
A certains moments, il faut davantage insister sur l’humilité. Ainsi, pour recevoir la Torah, l’annulation absolue de soi-même était indispensable. De même, Moché était-il « plus humble qu’aucun autre homme sur la surface de la terre ».
Mais dans d’autres circonstances, notre approche doit insister sur la fierté. Bien que le Talmud écrive à propos de celui qui est orgueilleux que « D.ieu dit : ‘Moi et lui ne pouvons résider dans le même monde’ », la fierté est parfois utile. Ainsi, quand un Juif rencontre un défi qui risque d’affaiblir son lien avec le judaïsme et avec D.ieu, il doit être sûr de lui, agir avec fermeté. Alors, « même le plus insouciant parmi les pécheurs d’Israël » sacrifiera sa vie, montrant force et fierté. Et cela n’entre pas en contradiction avec l’humilité.
La leçon que l’on peut tirer de Be’houkotaï est la suivante : Be’houkotaï se réfère aux Mitsvot que l’on appelle les ‘Houkim, « les décrets ».
Il existe trois catégories de Mitsvot : les Edot : « les témoignages », les Michpatim : « les jugements » et les ‘Houkim, « les décrets ».
Les Michpatim consistent en des lois que notre intellect peut saisir. Comme le déclare le Talmud : « Si la Torah n’avait pas été donnée (à D.ieu ne plaise), nous apprendrions la modestie d’un chat, etc. ».
Les Edot sont ces Mitsvot qui commémorent certains miracles ou événements historiques. Ce sont des commandements issus de D.ieu, au-dessus de notre perception intellectuelle, mais nous pouvons en comprendre la nécessité comme marque de gratitude.
Les ‘Houkim sont ces Mitsvot dont il est dit : « tu n’as pas le droit d’y réfléchir ». Elles sont totalement inaccessibles à notre compréhension.
Cette explication soulève une question : juste après la phrase « si tu marches dans (le sens de) Mes ‘Houkim », suit une promesse de bénédiction matérielle : « Je te donnerai les pluies en leur saison » et « la terre produira ses fruits » et une bénédiction spirituelle : « Je serai ton D.ieu et ferai de toi Mon Peuple ». Comment ces promesses correspondent-elles avec la nature supra-rationnelle des ‘Houkim ? Il apparaît de ces promesses que la raison d’accomplir les ‘Houkim en est la récompense.
Cependant, l’engagement nécessaire souligné dans les ‘Houkim doit également s’appliquer aux autres catégories de Mitsvot. Il faut accomplir les Edot et les Michpatim, non parce que nous les comprenons, mais parce que « D.ieu nous a sanctifiés par Ses commandements et nous (les) a ordonné(s) ». C’est pourquoi, malgré la récompense promise dans cette Paracha, nous devons montrer le même engagement, pour toutes les Mitsvot, que celui qui est requis pour les ‘Houkim. Certes, chaque Mitsva établit un lien entre le Juif et D.ieu. Cependant, nous ne devons pas même rechercher cette connexion mais simplement essayer d’accomplir la volonté de D.ieu. Be’houkotaï nous enseigne qu’il existe, dans notre service, un but plus élevé que la recherche d’un lien personnel : l’accomplissement des Mitsvot parce qu’elles émanent de la volonté de D.ieu.
Enfin, il nous faut tirer l’enseignement de la fusion de ces deux Parachiot.
Apparemment, elles semblent, par nature, opposées. Behar met l’accent sur la qualité de la fierté alors que Be’houkotaï met l’emphase sur l’effacement de soi : « tu n’as pas le droit d’y réfléchir », sur le fait de transcender nos propres forces intellectuelles.
Cependant, chacun de ces services doit se pratiquer au moment opportun. Avant la prière, il nous faut méditer sur « l’humilité de l’homme », c’est donc le temps du service de Be’houkotaï. Après la prière, nous allons « de la synagogue à la maison d’étude », l’étude de la Torah. Dans ce domaine, « le doux n’étudie pas ». Bien que la douceur soit l’une des caractéristiques distinctives du Peuple juif, quand il s’agit de la « guerre de la Torah », un Juif doit adopter une position de force, le service de Behar.
Parce que ces approches sont différentes et adéquates à des moments précis, elles sont souvent lues séparément. Pourtant, il arrive qu’elles soient combinées, dans des circonstances spécifiques. Un Juif peut joindre ces deux services dans le culte de D.ieu. Ainsi, l’observance du Chabbat est attachée à la fois à un commandement positif et à un commandement négatif mais c’est par une activité unique, celle de se reposer le Chabbat, que l’on accomplit les deux commandements.
La combinaison de ces deux qualités s’applique dans notre relation avec notre prochain. Nous devons aimer chaque Juif « comme nous-mêmes », mais, en même temps, veiller à « l’attirer à la Torah », c’est-à-dire à maintenir une position forte et ne pas abaisser la Torah à son niveau.
Par l’amour de notre prochain, l’amenant à la Torah, et le faisant avec une joie véritable, nous nous dirigerons vers la venue de Machia’h.
Qu’est-ce que Birkat Cohanim ?
Les Cohanim (descendants d’Aharon, le Grand-Prêtre) ont la Mitsva de bénir les Enfants d’Israël (Bamidbar - Nombres 6 : 22 à 27) : « Ainsi vous bénirez les Enfants d’Israël, qu’ils disent : Que D.ieu te bénisse et te protège. Que D.ieu éclaire Sa face vers toi et t’accorde Sa grâce. Que D.ieu élève Sa face vers toi et t’accorde la paix ».
En Israël, les Cohanim bénissent les fidèles tous les jours. En Diaspora, cette cérémonie de Birkat Cohanim ne s’effectue que les jours de fête.
On ne regarde pas les Cohanim quand ils élèvent leurs mains pour bénir les fidèles car la Che’hina (la Présence Divine) réside sur leurs mains : c’est pour cela qu’ils se couvrent le visage et les mains avec leur Talit (châle de prière). Cependant, le fidèle doit se trouver face au Cohen et non derrière lui. Il est d’usage que les fidèles aussi se couvrent le visage avec leur Talit : celui qui n’a pas de Talit se place sous le Talit de quelqu’un d’autre. Le père de famille prend ses enfants - même nourrissons - sous son Talit pendant la bénédiction des Cohanim. On se concentrera sur chacun des mots prononcés par le Cohen.
L’officiant lit chaque mot des bénédictions et les Cohanim les répètent, mot à mot. L’assemblée écoute attentivement et répond Amen à la fin de chacune des trois bénédictions.
Quand les Cohanim entonnent les trois derniers mots, les fidèles murmurent une prière pour demander que tous les rêves soient de bons présages ; cependant, il faut écouter attentivement les mots prononcés par les Cohanim.
(d’après Pinat Hahala’ha - Rav Yossef S. Ginsburgh)
Bonne pêche
Il y a plus de 20 ans, un jeune Chalia’h (émissaire du Rabbi) se rendait du Canada vers New York sur une autoroute américaine. Au bout de quelques heures, il sentit qu’il était trop fatigué et devait absolument se reposer - pour sa propre sécurité et celle des autres usagers. Dès l’aire de repos la plus proche, il entra dans un hôtel et demanda une chambre où il pourrait dormir. Malheureusement, on ne pouvait rien lui proposer, toutes les chambres étaient prises ! Épuisé, il demanda à l’hôtesse d’accueil s’il ne se trouvait pas près de là un endroit où il pourrait être hébergé pour la nuit : on lui indiqua une maison de retraite où on pourrait peut-être l’aider. Il reprit la voiture, se dirigea vers l’endroit en question où on l’accueillit sans problème. Justement, il y avait une seule chambre disponible pour la nuit. Il ne posa pas plus de questions, se laissa guider et s’écroula de fatigue sur le lit qu’on lui avait désigné.
Le lendemain matin, ragaillardi par un sommeil de qualité, il pria et, avant de repartir, se souvint de l’enseignement ‘hassidique : si un Juif se trouve dans un certain endroit, c’est pour y accomplir quelque chose de positif envers un autre Juif. Il demanda donc au secrétaire de l’établissement si un des pensionnaires était juif :
- Justement, il y en avait un mais il vient de décéder (dans la chambre qu’on venait de vous donner). Nous attendons le prêtre pour procéder aux funérailles.
Interloqué, le Chalia’h reprit :
- Vous voulez dire : le rabbin ?
- Non, le prêtre ! Vous savez, nous estimons que tous les hommes sont égaux et ont droit aux mêmes rites funéraires…
- Bien sûr, l’égalité est un très beau concept, concéda le jeune Chalia’h, mais cet homme est né juif et a droit à un enterrement juif !
- Il n’y a pas de communauté juive ici et personne ne pourrait assurer un enterrement juif, remarqua plutôt sèchement l’employé. Vous m’avez l’air d’être rabbin : si vous voulez vous en occuper…
Sans trop réfléchir, le Chalia’h releva le défi :
- Ok, je trouverai une solution !
- Bon, alors nous chargerons le cercueil dans votre voiture !
C’est ainsi qu’il repartit de la maison de retraite avec son chargement peu conventionnel. Au bout de quelques kilomètres, il arriva dans une autre ville, prit contact avec le rabbin de la communauté juive locale mais il n’était pas là et son secrétaire lui conseilla d’aller voir ailleurs. Il continua donc sa route, arriva dans une autre ville et là, le rabbin l’accueillit :
- Pas de problème ! Nous disposons ici de plusieurs places dans le cimetière juif justement pour ce genre de fidèles qui n’ont pas de famille et que personne ne connaît.
En étudiant les papiers d’identité apportés par le Chalia’h, le rabbin de la ville pâlit :
- C’est incroyable ! Le défunt était un des fidèles de notre communauté ! Il y a cinq ans, il a subitement disparu ! Il était probablement atteint de la maladie d’Alzheimer et, à la suite d’une promenade, n’a pas retrouvé son chemin. Nous l’avions cherché dans toute la région, nous avions fait appel à la police mais ne l’avons pas retrouvé.
Or il s’avère que cinq ans auparavant, cet homme avait versé une forte somme à la communauté afin qu’on réserve des places au cimetière pour les indigents ! Et la Hachga’ha Pratit, la Providence Divine l’a ramené exactement à cet endroit pour être enterré selon la loi juive ! Rien n’arrive « par hasard », chaque bonne action est récompensée - un jour ou l’autre !
La Torah évoque un animal (non-cachère) : le Chala’h (qu’on traduit par cormoran). Les commentateurs expliquent qu’il s’agit d’un oiseau qui plonge dans l’océan pour se nourrir de poissons.
Le Talmud rapporte que, quand Rabbi Yo’hanane apercevait un Chala’h, il citait le verset : « Tes jugements sont (aussi) profonds que l’abîme ». En effet, D.ieu désigne exactement quel poisson sera pêché par le Chala’h et ce fait extraordinaire nous permet d’admirer la Hachga’ha à l’œuvre, en live comme on dirait aujourd’hui. La Providence Divine ne s’exerce pas seulement pour le Juif et pour l’humain en général mais même pour les animaux, les plantes et les objets inanimés ! D.ieu se préoccupe aussi bien du train que nous attrapons ou que nous ratons que du repas du Chala’h et du tourbillonnement de la feuille morte ! Et de l’enterrement d’un Juif qui avait disparu, que presque personne ne connaissait et qui, par un extraordinaire concours de circonstances, a mérité de profiter de ses bonnes actions passées !
Les maîtres de la ‘Hassidout remarquent encore un détail intéressant : le Chala’h plonge dans la mer. Or la mer est le symbole d’un monde caché : en apparence, on ne voit que de l’eau sans qu’on puisse distinguer tous les trésors qui se cachent dans les profondeurs. L’océan est le symbole d’un monde caché que seul un œil averti comme celui du Chala’h peut percer pour y trouver sa nourriture. La nature en général s’appelle en hébreu Téva, un mot qui désigne aussi le fait de se noyer dans les profondeurs.
Il nous appartient de développer une vision plus profonde des événements, de rechercher comment comprendre au-delà de la surface de ce qui nous arrive et d’analyser ce qui se cache au-delà de notre vision première.
Rav Ne’hémia Wilhelm - Thaïlande
Traduit par Feiga Lubecki