On peut concevoir la vie comme opérant selon deux modes : le premier consiste en une immersion dans la spiritualité, loin de toute matérialité profane. Cela suggère que l'on est dans un état de calme et de paix absolus et dans une inaction relative, comme durant le Chabbat. Et puis se présente le second mode, l'entrée et l'engagement dans le monde, la confrontation avec tous les problèmes et la lutte pour l'améliorer et créer un environnement meilleur, une société plus intègre, un monde où domine le bien.
Chabbat et les jours de la semaine proposent un exemple de ce double mode de vie. Un autre exemple nous est fourni par le temps de la prière quotidienne, la récitation du Chéma et des autres prières, comparés aux autres activités tourbillonnantes d'une journée besogneuse.
La Torah nous offre une illustration de ce double processus. Dans le livre de Devarim, le cinquième livre de la Torah, nous voyons le Peuple Juif camper dans le désert sur la rive orientale du Jourdain, non loin de Jéricho. Il s'agit de l'ultime année de leur long séjour dans le désert et leur chef suprême, Moché, âgé maintenant de près de 120 ans, les prépare à pénétrer sur la Terre d'Israël.
L'atmosphère dans le grand camp du Peuple Juif, comprenant 600 000 maisonnées et décrit par nos Sages comme occupant douze mille mètres carrés, est remarquable. Au centre, domine le merveilleux Sanctuaire, fait d'or et d'argent, de bois de cèdre et de tapisseries exquises. C'était le prototype du Temple qui serait plus tard construit à Jérusalem. Le jour, une colonne de nuées et la nuit une colonne de feu témoignent de la Présence Divine. Fréquemment, le Peuple se rassemble et écoute les discours pleins d'inspiration donnés par Moché, discours qu'il mit aussi par écrit dans le Livre de Devarim, une forme unique écrite sous la dictée de D.ieu.
Que mange le Peuple ? La Manne du ciel. Chaque matin, à l'exception du Chabbat, la terre aride qui entoure le campement est recouverte d'une substance douce, ressemblant à du cristal, que les Juifs viennent ramasser. C'est leur nourriture. Elle est délicieuse. En fait, nos Sages nous disent qu'elle prend le goût de ce que l'on désire consommer. Quand la personne mange la Manne, elle se sent participer à quelque chose de spirituel. La Manne ne possède pas les caractéristiques d'un aliment concret, dont l'estomac est avide. Quand on en mange, on se sent saint.
L'atmosphère spirituelle du campement dans le désert ne devait pas durer éternellement. Le projet de D.ieu pour le Peuple Juif était qu'il pénètre dans la Terre d'Israël, sème et récolte, élève du gros et du menu bétail et que, quand il consomme de la nourriture, cela soit, du moins de temps à autre, avec "désir". Il allait l'apprécier, pas seulement spirituellement mais également physiquement.
Ce changement est symbolisé par le fait que c'est seulement en entrant en Terre d'Israël, que les Juifs pourraient manger de la viande ordinaire. Dans la Torah, une partie spéciale est consacrée aux instructions au peuple sur le fait de manger "la viande du désir" quand il allait entrer en Israël, incluant les lois de la Che'hita (l'abattage rituel), nécessaires pour que la viande soit Cachère. 
Notre mission, en tant que Juifs, n'est pas de rester dans l'atmosphère spirituelle du désert ni de nous complaire dans une longue semaine chabbatique, pas plus que de passer notre vie, immergés dans la prière. Nous avons besoin de ces moments, dans notre histoire comme peuple et dans les cycles de la vie, hebdomadaires et quotidiens. Mais nous devons aussi être aptes à nous lever et avancer, entrer le monde de la quotidienneté et travailler à l'améliorer. Une partie de ce processus implique qu'il faut jouir de la vie, y compris de la nourriture et des autres plaisirs, mais d'une manière remplie de sens.
Nous apportons la Divinité et la Sainteté dans le monde concret, dans les royaumes de notre désir. Les règles de la Torah, comme les lois de la Che'hita et de la Cacherout, pénètrent dans notre vie pratique, nos activités matérielles et les conduisent à un nouveau degré de sainteté.
Il ne s'agit pas là de la sainteté des quarante années dans le désert, avec les colonnes de nuées et de feu. Il s'agit de quelque chose de plus. C'est faire de ce monde - un monde de plaisir et de désir (et parfois même de tentation) - une résidence pour le Divin. C'est là notre véritable tâche, symbolisée par le cheminement de la Manne vers la viande, la transition du mode exclusivement spirituel vers celui de la vie pratique et de la réalité.

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