«VeAvraham veSarah zekénim baïm bayamim - Voilà qu’Avraham et Sarah étaient vieux, avancés en âge» (Beréchit 18 :11).
S’il est vrai qu’Avraham et Sarah étaient vieux, n’est-il pas évident qu’ils étaient «avancés en âge» ?
Cependant le mot hébreu baïm signifie littéralement «entraient» et le sens littéral de bayamim est «dans les jours».
Si bien que, en traduction plus fidèle, ce verset donne : «et Avraham et Sarah étaient vieux, ils entraient dans les jours…»
Ils entraient dans chaque jour comme l’on entre dans sa maison, totalement et sans retenue. Ils se liaient à chaque moment et l’étreignaient de toute leur force. Ils s’attachaient au temps et se laissaient attacher par le temps. Ils étaient totalement là où ils étaient, dans quelque lieu que ce fut et à quelque moment que ce fut.
C’est la raison pour laquelle la moitié du verset se réfère au nombre d’années, abondantes, vécues par Avraham et Sarah alors que la seconde partie indique la manière dont ils les vécurent.
Ils avaient connu des difficultés. Ils y avaient souvent été confrontés mais n’avaient jamais cherché à fuir. Ils ne s’étaient pas cachés devant les vicissitudes de la vie, ils les avaient affrontées du mieux possible. Ignorer l’appel du moment, estimaient-ils, c’est ignorer Celui qui appelle. Ils croyaient véritablement en «l’ici et le maintenant».

Sans rides
On a l’habitude de dire que l’âge ne s’évalue pas d’après la carte d’identité.
Il n’est pas rare de rencontrer deux êtres qui ont le même âge, qui sont peut-être nés le même jour, ont même mené une vie similaire et pourtant l’un n’a pas de rides et le visage de l’autre est parcheminé !
Le premier a construit autour de lui une forteresse inaccessible, effrayé à l’idée de faire la guerre. 
Le visage de l’autre est sillonné, porte les cicatrices de ses combats.
Le premier possède un système de défense complexe, des mécanismes pour conjurer les souffrances, le second a décidé de ne jamais en édifier, considérant que ce sont ces murs, et non la souffrance elle-même, qui représentent l’ennemi. Pour lui, aller à l’encontre de la vie, de quelque manière que ce soit, est équivalent de la mort.
La raison en est que les murs de sécurité impénétrables ne font pas la distinction entre la haine et l’amour. Ils font leur travail de façon indiscriminée, éloignant de la même façon l’ami et l’ennemi.
Les rides sont souvent le signe de difficultés et d’épreuves mais elles racontent également une histoire de rires et de joies.

Rester jeune
VeAvraham zaken ba bayamim. «Et voilà qu’Avraham était vieux, avancé en âge»(Beréchit 24 :1).
Ce verset apparaît quarante et un ans après le premier qui décrivait l’âge d’Avraham (et de Sarah).
Pourquoi ce nouveau constat ? N’est-il pas évident que quelqu’un, qui était déjà vieux bien des années auparavant, ne fait que vieillir davantage et continuer à avancer en âge, le temps passant ?
La question serait opportune si ce nouveau verset se référait au nombre d’années d’Avraham. Mais ce n’est pas le cas. Elle concerne, une fois encore, la qualité de vie d’Avraham.
Il appartient à la nature de l’homme de devenir moins enthousiaste, plus calme, avec les années. Car il est un fait que l’excitation et la nouveauté vont de pair. Puisque peu de choses lui sont nouvelles, il a tout vu, en bien et en mal, il se trouve donc bien souvent moins affecté par ce qui se passe. Son mode de vie, ses idées et ses réactions sont presque inscrits dans la pierre.
Mais Avraham était différent. En ce sens, il ne vieillit jamais. Il se peut qu’il ait accumulé les années mais il était resté jeune d’esprit. Il était prêt à apprendre, à changer, tout comme un jeune enfant lors de son premier jour d’école.
C’est ce que veut souligner la Torah en énonçant, à deux reprises, le même verset.
Quarante et un ans avaient passé, des années remplies de joies et de souffrances. Et pourtant, Avraham avait toujours un cœur jeune.
Dans cette période de quatre décennies, toute la région de Sodome avait été détruite. Sarah avait été enlevée par Avimélè’h puis libérée. Après une période de stérilité, elle avait mis un fils au monde. Avraham avait été obligé de renvoyer de sa maison Hagar et Ichmaël. Il y avait eu la dispute avec Avimélè’h, à propos de sa propriété. Puis l’accord. Entre-temps, il avait ouvert une auberge et s’était jeté dans une campagne révolutionnaire pour diffuser le monothéisme. Il avait été réuni avec son fils repentant, Ichmaël. Il avait subi de la part de D.ieu de nombreuses épreuves, culminant avec le sacrifice d’Its’hak. Et plus récemment, sa compagne de vie, son roc, son épouse bien aimée, Sarah, avait quitté ce monde.
Tant d’épreuves, tant d’étapes, tant de changements… Et pourtant Avraham n’avait toujours pas vieilli. Chargé de plus d’années, certes, mais pas vieilli dans son caractère. 
Il avait tous les droits maintenant d’arrêter d’ «entrer» dans ses jours. Mais il ne considérait pas ce droit opportun. Il avait toutes les excuses au monde pour se retirer d’une vie trépidante. Mais se retirer aurait signifié expirer. Jusqu’à son dernier jour, il n’allait cesser de recevoir les messages de la vie. Il portait sa barbe blanche et ses cheveux blancs comme une médaille. Il considérait les rides, encerclant ses yeux et révélant d’innombrables sourires, comme des marques de beauté.

Et nous ?
Nous sommes parfois si occupés que nous oublions de vivre. Nous sommes parfois si occupés à faire que nous oublions d’être.
Nous sommes parfois si occupés à esquiver les aléas de la vie que nous oublions de nous en détourner quand ils frappent. Du temps passé ne signifie pas du temps vécu. Du temps géré ne signifie pas du temps bien passé.
Il nous faut donc toujours rester ouverts, par l’esprit, le cœur et l’âme car l’on ne cesse jamais d’apprendre. Chaque jour a sa chanson. Chaque heure nous appelle. Chaque seconde offre quelque chose d’unique et d’évanescent. A chaque moment, le Ciel frappe à notre porte.
Il est sûr que les blessures de la vie sont parfois intolérables et nécessitent, à juste titre, du répit mais les clés de la forteresse que l’on a érigée doivent toujours rester à notre portée. Sinon notre château-fort risque de devenir notre prison.

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