Que se passe-t-il lorsqu’un Sage parle ?

Le Rambam (Maïmonide) écrit (Michné TorahHil’hot Déot 5 :1) : «Tout comme un homme sage peut se reconnaître par sa sagesse et ses traits de caractère car ceux-ci lui permettent de se démarquer du reste des gens, il doit également être reconnu par sa conduite».

L’intention du Rambam, quand il écrit ces mots, est de signifier que l’approche juive de la sagesse doit être beaucoup plus que théorique. Les connaissances qu’a acquises l’individu doivent également former son caractère et, ce qui est beaucoup plus important, influencer son comportement. C’est cela qui en fait un Sage.

Parmi les types de conduite que le Rambam qualifie d’ «appropriées» pour le Sage, se détache le fait d’avoir un langage raffiné. Il le souligne en poursuivant : «un érudit en Torah ne doit pas parler fort ou crier… mais il doit parler à tous avec douceur… Il doit juger tout le monde dans une optique favorable, faire la louange de son collègue et ne jamais rien mentionner de gênant à son propos».

Le vocabulaire utilisé par le Rambam pour «juger… dans une optique favorable» et «ne jamais rien mentionner de gênant à son égard» implique qu’il est possible qu’il voit des manquements dans le caractère de son collègue. Mais même le cas échéant, il «fera la louange de son collègue». Et lorsqu’il s’adressera à lui à titre privé, il pourra, avec gentillesse et patience, le semoncer pour sa conduite (ibid. 6 :7). Mais en s’adressant aux autres et pour lui-même, il devra penser et parler de lui en termes favorables.

Il ne s’agit pas ici simplement du reflet du propre raffinement de l’érudit. Mais en soulignant continuellement les qualités positives d’une personne, on encourage réellement leur expression. Car la pensée et les paroles peuvent apporter d’appréciables transformations dans notre monde. C’est pour cette raison que le Maguid de Mézéritch prononçait, de temps à autre, des concepts que ceux qui l’écoutaient ne pouvaient comprendre. Son intention était d’ «attirer l’idée dans notre monde», de sorte que d’autres puissent la comprendre plus tard.

L’on peut évoquer une idée semblable dans le domaine des relations humaines. Nos Sages déclarent que le lachone hara (la médisance) tue trois personnes : celui qui le prononce, celui qui l’écoute et celui dont on parle. L’on peut aisément comprendre pourquoi une telle conversation affecte celui qui parle et celui qui écoute puisque tous deux se livrent à un péché que nos Sages considèrent comme équivalent aux effets combinés de l’idolâtrie, du meurtre et de l’adultère (Er’hinHil’hot Déot 7 :3). Mais pourquoi celui dont on parle devrait-il être affecté ? Lui n’a pas pris part à la transgression !

Pour répondre à cette interrogation, on peut expliquer qu’évoquer les traits négatifs de quelqu’un stimule leur expression. Bien que la personne puisse ne pas même être consciente qu’on parle d’elle, le fait que ses défauts soient discutés avive leur révélation. S’ils avaient été tus, il y a une grande probabilité pour qu‘ils fussent restés cachés.

«Les attributs positifs sont plus puissants que les attributs répressifs» (Sotah 11a) et d’autres concepts similaires s’appliquent au fait de parler des traits positifs d’une personne. La mention constante des qualités que l’on rencontre chez quelqu’un, et chaque personne est un réservoir infini de bonne volonté, facilite l’expression du bien dans sa conduite.

Le commandement de parler

Ce que l’on vient de développer est lié à notre Paracha, EmorEmor est un commandement enjoignant de parler. Dans le contexte de la lecture de la Torah, ce commandement a une application immédiate : communiquer les lois de la prêtrise. Néanmoins, le fait que ce terme soit utilisé pour nommer la Paracha indique sa signification plus large : une personne doit parler.

(Le lien de la Paracha avec la parole positive est également souligné dans sa conclusion, avec le récit du blasphémateur qui donne l’exemple de l’approche opposée (Vayikra 24 : 11…). C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette Paracha est toujours lue durant la période du Omer. En effet, c’est une époque où l’on pleure la mort des élèves de Rabbi Akiva. Or, diverses sources avancent que l’origine spirituelle de la plaie qui les atteignit se trouvait dans le fait qu’ils étaient incapables de se respecter les uns les autres.

Et pourtant, nous pouvons observer que nos Sages conseillent : «Parle peu» (Pirké Avot 1 :16) et «Je… n’ai rien trouvé de mieux pour un homme que le silence» (ibid.17), impliquant donc que la parole excessive n’est pas désirable.

Nous ne pouvons non plus affirmer qu’Emor se réfère au commandement de dire des paroles de Torah puisqu’à ce propos existe un commandement explicite : «et tu en parleras», nous encourageant à proliférer dans les paroles de Torah.

Emor se réfère donc plutôt au fait d’évoquer les qualités de ses collègues, comme nous l’avons vu précédemment.

Apprendre avec la lumière

Nos Sages (Yevamot 114 a) associent le commandement Emor avec l’obligation du ‘Hinou’h, de l’éducation des enfants. Le terme utilisé concernant l’importance de l’éducation, lehazhir, a la même racine que le mot zohar qui signifie «rayonnement», «splendeur». Cela nous enseigne une leçon fondamentale : l’éducation doit se caractériser par une lumière radieuse. En général, il existe deux manières de persuader les enfants de rejeter un comportement indésirable : souligner sa bassesse ou montrer une alternative positive.

Lehazhir souligne l’importance de répandre la lumière, car «une petite lumière repousse beaucoup d’obscurité» et en faisant briller la lumière, l’on allume la lumière intérieure que chacun possède.

Tout comme la lumière allume la lumière

Une dimension encore plus profonde marque le concept que l’on vient de développer. Dans son sens le plus complet, le ‘hinou’h de nos enfants, et d’une manière générale de tous ceux que l’on influence, ne doit pas être considéré comme une obligation qui est en dehors de notre service Divin, comme une tâche différente et supplémentaire que nous devons accomplir, mais comme faisant partie intégrante de ce service.

Quand le service Divin d’un homme atteint son sommet, et en relation avec l’élan qui le caractérise de ahavat Israël (amour du prochain) et a’hdout Israël (unité avec le prochain), il se lie à d’autres, ce contact encourage leur évolution personnelle. La lumière qui émane de sa conduite illumine et éduque ceux qu’il approche.

Et cet éclairage de la lumière par la lumière nous conduira à l’Ere où «le Sage brillera comme la splendeur du firmament» (Daniel 12 :3) et «Israël… quittera son exil avec miséricorde » (Zohar).

D’après Likouté Si’hot, Vol. XXVII, p. 159… ;

Séfèr HaSi’hot 5750, p. 443…