L’un des aspects les plus déconcertants, dans la description que donne la Torah de Moché, est sa difficulté à s’exprimer. Dans notre Paracha, il se décrit lui-même comme Aral Sfatayim, signifiant littéralement : « aux lèvres circoncises » et expliqué par les commentateurs comme impliquant qu’il avait une difficulté d’élocution. Il semble pour le moins curieux que Moché, le chef suprême du Peuple juif, d’une intelligence et d’une sainteté sublimes, trouve difficile de s’exprimer.

Il est évident que ce fait, comme tous les détails que donne la Torah, est significatif et vient nous apporter un enseignement.

La mystique juive explique cette caractéristique de Moché en s’attachant à sa nature spirituelle particulière.

Un peu plus loin, la Torah décrit Moché comme l’homme le plus humble de toute l’humanité et d’autres commentateurs ajoutent qu’il n’était pas seulement humble dans ses relations avec les hommes mais également avec D.ieu Lui-même. Moché avait une si extraordinaire humilité, une annulation de sa personne si totale, ce que l’on appelle Bitoul, en hébreu, qu’il se considérait comme « rien » devant son Créateur. Il avait une telle compréhension de la profondeur de la Divinité qu’il se sentait complètement annulé devant une telle révélation.

C’est d’ailleurs pour cette même raison que D.ieu choisit précisément Moché pour la tâche de transmettre Sa parole. Nous lirons plus tard que D.ieu s’exprimait par la « gorge de Moché ». Cela n’était possible que parce qu’il avait atteint un tel niveau d’humilité qu’aucune motivation personnelle, aucun égo ne venaient interférer avec la Révélation Divine.

Il arrive à chacun de nous de nous trouver parfois dans un contexte où c’est nous qui donnons et à d’autres occasions, où nous recevons.

Parfois nous donnons des ordres, parfois nous en recevons. Parfois nous réceptionnons des informations et parfois nous devons en transmettre aux autres.

Cependant, une chose est sûre, nous ne pouvons transmettre et recevoir au même moment.

Le même concept s’exprime dans la loi juive. Prenons pour exemple un morceau de viande. Il ne peut en même temps absorber quelque chose et donner du jus ou un goût. Ou bien il absorbe ou bien il donne quelque chose.

La même chose se passe au niveau spirituel.

Moché, dans sa grande humilité pouvait atteindre un très haut niveau de sainteté et recevoir une révélation extraordinaire. Mais il était dans une situation où il ne faisait qu’absorber, recevoir de plus en plus de sainteté, de plus en plus de Divinité. Et dans ces circonstances, il trouvait extrêmement difficile de devenir Machpia, « celui qui donne » à autrui.

Certes, à certains moments, il pouvait recevoir ces révélations et les transmettre ensuite, mais il désirait constamment être un réceptacle pour une révélation de plus en plus intense de l’Infini de D.ieu et se rapprocher de plus en plus de D.ieu.

Ce qui se passait au niveau spirituel s’exprimait également physiquement dans la personne de Moché. Il voulait toujours être celui qui écoute et trouvait très difficile pour lui de s’exprimer, c’est-à-dire de transmettre. La bouche étant l’organe par lequel passe cette transmission orale, c’est la raison pour laquelle il disait ne pas pouvoir parler correctement.

A la lumière de cette explication, l’on peut comprendre l’entêtement de Moché, sa réticence à accepter le commandement de D.ieu d’aller voir le Pharaon, pour lui demander la libération des Juifs.

Ne désirait-il pas se rapprocher de D.ieu en obtempérant à Son injonction ?

Mais nous pouvons désormais comprendre sa perspective. Certes, il désirait ardemment se rapprocher de D.ieu. Cependant, le chemin qu’il pensait devoir emprunter pour le faire n’était pas de transmettre la Parole de D.ieu mais de conserver sa proximité et son lien avec D.ieu, en absorbant la Divinité. La transmettre à autrui n’était pas sa manière, à lui, de servir D.ieu. C’est pourquoi il s’écria qu’il avait « les lèvres circoncises » ! Il trouvait difficile de parler aux autres.

Mais finalement, les faits ne lui donnaient pas raison puisqu’il devait aller parler au Pharaon et faire sortir les Juifs d’Egypte.

Cela vient nous enseigner qu’en dépit du fait que nous devons sans cesse aspirer à nous rapprocher de D.ieu et nous impliquer de tout notre être dans Sa connaissance et Sa sainteté, nous ne devons pas pour autant oublier qu’il est nécessaire que nous entretenions des liens étroits avec les autres, que nous partagions ce que nous connaissons. Ainsi, non seulement nous devons rester proches de D.ieu mais nous devons également rapprocher les autres de la Divinité et par là-même, nous lier tous ensemble à notre Source.

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