Je suis connu en Hollande, raconte Rav Binyamin Jacobs, grand rabbin de Hollande et émissaire du Rabbi. Je suis souvent interviewé par différents média.
Un jour, ma secrétaire m’informa que j’avais reçu un coup de téléphone d’une dame qui se présentait comme étant une femme pasteur protestante. Je n’ai pas voulu y répondre. Le lendemain aussi, elle téléphona mais je n’y prêtai pas attention. Ceci se reproduisit pendant plusieurs jours.

A cette époque, j’étais présent dans mon bureau tous les matins jusqu’à midi. Un jour, j’en sortis un peu plus tôt et, le lendemain, ma secrétaire raconta que la femme pasteur était venue en personne à midi moins cinq et avait exigé avec détermination que j’accepte de lui parler au téléphone. Je l’ai donc appelée et elle m’invita à passer la voir chez elle. Elle parlait avec une telle autorité que je ne pouvais pas refuser.

Quand je suis entré chez elle, j’ai vu qu’elle avait environ quatre-vingts ans ; elle était entourée de toutes sortes de «figurines» et autres souvenirs d’Indonésie. Nous avons fait connaissance et, petit à petit, j'ai compris qu’elle avait eu une vie incroyable. De fait, elle était originaire de Vienne et ses parents étaient juifs. Dans sa jeunesse, elle avait fait du théâtre et avait chanté à l’opéra et, comme elle le disait elle-même : «Tous ceux qui jouent au théâtre sont un peu fous et je l’étais aussi un peu…»

Elle devint célèbre et, à l’âge de vingt ans, elle reçut une proposition de mariage d’un non-Juif âgé de soixante-quatre ans. Elle accepta. C’était un Hollandais qui habitait en Indonésie et elle l’y suivit. Il était immensément riche et elle vécut à ses côtés dans l’opulence. Quelques années plus tard, il décéda mais il avait légué toute sa fortune à ses enfants issus d’un premier mariage et elle resta sans un sou, vraiment sans rien, même plus un toit sur sa tête.

Par un sursaut d’orgueil, elle ne voulait pas retourner à Vienne mais elle n’avait pas où aller. Elle resta donc en Indonésie, devint même SDF, dormant dans la rue.

Quelqu’un qui possédait un petit lopin de terre lui suggéra d’y planter des fleurs, ce qu’elle fit et la réussite lui sourit. En l’espace de cinq ans, elle acquit de grands terrains et employa une vingtaine d’ouvriers.

A peu près à cette époque, des missionnaires lui parlèrent, tant et si bien qu’elle se mit à croire dans ce qu’ils racontaient. Elle fit aussi la connaissance d’un baron hollandais, haut fonctionnaire dans le gouvernement local, directeur des télécommunications de toute l’Indonésie. Ils se marièrent et, arrivés à l’âge de la retraite, ils s’installèrent en Hollande. «Je n’avais pas encore trouvé mon identité, me raconta-t-elle, et c’est pourquoi je m’inscrivis à l’Université pour étudier la théologie».

A la fin de ses études, elle poursuivit ses recherches et finit par devenir pasteur d’une communauté protestante. Dans ce domaine également, elle manifesta des dons certains et devint responsable spirituelle d’autres pasteurs. Dernièrement, son mari était décédé et elle reconnaissait : «J’ai déjà quatre-vingt ans mais je remarque que même la croyance protestante ne me convient pas. Ce n’est pas ce qu’il me faut. J’ai décidé de changer de direction : peut-être trouverai-je la vérité justement dans mes origines. Je vous ai tout raconté, maintenant vous devez m’enseigner le judaïsme !»

Après ces révélations, je me rendis chez elle chaque semaine pour étudier une demi-heure, une heure. Je lui ai enseigné énormément d’idées et de pratiques sur le judaïsme. Elle commença à manger cachère et progressait dans la compréhension et la pratique quand, soudain, la terrible maladie se déclara. Sa situation empira très rapidement et je me posai la question : comment lui expliquer l’importance d’envisager un enterrement dans un cimetière juif ? Je savais qu’elle avait déjà pris toutes les dispositions et avait acheté une place dans un cimetière chrétien, à côté de la tombe de son mari. Comment pouvais-je évoquer le sujet ? Le fait que j’étudiais avec elle le judaïsme – la religion de ses parents – était resté secret : non seulement elle n’avait pas voulu déclarer publiquement qu’elle étudiait le judaïsme mais elle m’avait instamment prié de ne pas le révéler aux pasteurs qui étaient sous sa tutelle : après tout, elle était encore leur responsable spirituelle !

Mais la maladie empirait : elle dut interrompe ses prêches au centre protestant. Quand elle fut hospitalisée, j’ai compris qu’il fallait que je lui parle, en urgence. C’était très pénible car comment évoquer devant un malade le fait que sa mort approchait ?

J’arrivai à l’hôpital, je m’arrêtai dans un couloir et écrivis une lettre au Rabbi – lettre que j’envoyais immédiatement – et dans laquelle je demandai la réussite pour cette démarche délicate.

En entrant dans sa chambre, j’expliquai directement que je venais soulever un problème important et qu’il fallait en discuter ouvertement. Elle réagit sans émotion particulière et affirma qu’elle était tout à fait d’accord d’être enterrée dans un cimetière juif ; elle me demanda de remplir toutes les formalités nécessaires. Nous avons rédigé ensemble le texte à graver sur la pierre tombale. Durant plusieurs jours, elle pria, en pleurant, avec une ferveur remarquable. Elle rendait son âme à son Créateur avec une sincérité impressionnante.

Après son décès, alors que se répandait la nouvelle qu’elle serait enterrée dans un cimetière juif – conformément à ses dernières volontés – le scandale fut énorme. Nul n’avait jamais su qu’elle était juive. Un pasteur me téléphona et demanda la permission de prononcer un discours funèbre au nom de l’église de Hollande. Je répondis que nous étions dans les jours intermédiaires (‘Hol Hamoed) de la fête de Pessa’h et que la loi juive interdisait ce genre de discours à cette période. Je lui demandai d’excuser mon refus et affirmai que moi-même, je ne prononcerai pas de sermon. Il raccrocha le téléphone brusquement, très en colère.

Dix minutes plus tard, un autre pasteur me téléphona. Lui aussi aurait voulu parler à l’enterrement mais avait entendu mon premier interlocuteur affirmer que c’était interdit. «Vous pouvez m’expliquer la raison de cette loi ! Moi, je comprendrai car mon épouse aussi est juive !»

Bref, nous avons procédé à l’enterrement selon la stricte Hala’ha. Parmi les nombreuses personnes présentes, j’ai repéré le second pasteur car sa femme se tenait à côté de lui et, comme l’exprime joliment le proverbe yiddish, on remarque le «Kougel» sur le visage…

Après les obsèques, je l’ai saluée, je l’ai invitée chez nous et, petit à petit, vraiment très progressivement, elle retourna au judaïsme… elle aussi !

Une «Nechama» et encore une «Nechama»… Il n’y a pas que des fleurs et du fromage en Hollande !

Rav Binyamin Jacobs – Kfar Chabad n°1394
traduit par Feiga Lubecki

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