Comme on le sait, sortir de Russie à l'époque du communisme triomphant était particulièrement ardu pour ne pas dire impossible. Surtout quand la destination prévue était la Terre Sainte ! Nombreux étaient ceux qui présentaient une demande d'émigration pour quitter le «paradis soviétique» à l'OVIR – le bureau chargé de gérer ces demandes – et qui se voyaient opposer une fin de non-recevoir, sans compter, parfois, une menace de perdre son emploi. Combien de fois avais-je déjà tenté ma chance et essuyé des réponses sèches et même brutales !

En 1966, mon beau-frère, le regretté Rav Moché Wishedski réussit à sortir de ce pays et, avec toute sa famille, à s'installer en Israël. Avant son départ, je l'avais supplié que, dès qu'il aurait le privilège de se rendre à Brooklyn auprès du Rabbi, qu'il mentionne mon nom afin que je puisse, moi aussi avec toute ma famille, sortir enfin pour pouvoir mener une vie juive normale et éduquer mes enfants dans le judaïsme sans être obligé de me cacher.
Au mois de Tichri de cette même année, j'ai fait un rêve troublant : un homme impressionnant, au beau visage entouré d'une barbe fournie, me tendait un papier en affirmant : «Avec ce papier, tu sortiras de Russie et tu monteras en Israël !»
Je voulus – toujours dans mon rêve – lui demander qui il était, quel était ce papier mais, avant que j'ai pu articuler un son, il avait disparu.
Bouleversé, je me suis réveillé : jamais il ne m'était arrivé pareille aventure. Je ne connaissais pas cet homme et tout ceci ne me semblait pas simple du tout. D'abord, j'ai pensé que, après tout, ce n'était qu'un rêve et qu'il ne convenait pas d'y attacher trop d'importance. Mais par ailleurs... cet homme avait l'air si sûr de ce qu'il affirmait... en quoi cela pouvait-il poser problème ? Je ne risquais rien à tenter à nouveau ma chance.
Le même jour, je me suis présenté à nouveau au bureau de l'OVIR et j'ai demandé pour la énième fois les formulaires d'émigration. Quand le fonctionnaire m'a aperçu – il me connaissait bien maintenant – il me regarda avec colère : «Ne t'avais-je pas déjà signalé que ta demande avait été refusée ? Pourquoi reviens-tu ?»
Je n'ai pas prêté attention à ses paroles acides et j'insistai pour obtenir à nouveau ces formulaires. Une fois les papiers remplis, je les ai tendus au fonctionnaire dans un silence glacial et j'ai attendu.
A peine quelques jours plus tard, je n'en crus pas mes yeux : un coursier, spécialement envoyé par l'OVIR, sonna à ma porte et m'apporta à la maison le permis tant espéré ! J'étais tellement troublé que je ne compris pas ce qui se passait : depuis tant d'années, j'avais déposé si souvent ma demande et là, même pas une semaine après mon dernier passage à l'OVIR, j'avais déjà le papier dans la main ! De plus, normalement, il fallait retourner se présenter au bureau en personne mais là, un coursier avait été spécialement sommé de m'apporter le papier à la maison ! Seuls ceux qui ont eu affaire à la bureaucratie en Union Soviétique peuvent comprendre ma stupéfaction.
Qui peut décrire notre soulagement à la vue de ce papier tant espéré, depuis autant d'années ? Nous avions maintenant déjà un pied au dehors et un pied en Israël !
Je compris que tout cela n'était pas simple et que le rêve que j'avais fait quelques jours auparavant était bien réel : certainement, y avait-il un lien avec cette permission miraculeuse !
Après les derniers préparatifs, nous avons enfin pu partir puis fouler le sol de la Terre Sainte. Mon beau-frère nous accueillit à notre descente d'avion et nous amena directement chez lui à Kfar 'Habad. Quand j'entrai chez lui, j'aperçus sur le mur un énorme portrait : je me suis arrêté comme frappé de paralysie. J'étais si bouleversé que je ne pouvais plus avancer : je regardai encore et encore ce portrait et ce n'est qu'au bout de quelques minutes que je parvins à demander :
- Qui est cet homme représenté sur ce portrait ?
- Comment ? Tu ne le connais pas ? C'est notre Rabbi !
- C'est incroyable, balbutiai-je... Cet homme... Cet homme... C'est lui que j'ai vu dans mon rêve... Il m'avait promis, oui il m'avait promis... que je sortirai de Russie et que je monterai en Israël... !
J'étais en proie à un tel choc que, respectueusement, les membres de ma famille attendirent un long moment que je me calme. Je ne pouvais détacher mes yeux de ce portrait du Rabbi, ce Rabbi que je n'avais jamais vu bien que je fus attaché de toutes les fibres de mon âme à tout ce qu'il représentait : les photos du Rabbi étaient inconnues en Union Soviétique même si son action était ressentie par ses 'Hassidim avec lesquels il entretenait une relation toute particulière et pour lesquels il luttait nuit et jour.
Tous restaient autour de moi, attendant que j'ouvre la bouche et que j'explique ce qui m'arrivait.
J'ai alors raconté ce rêve étrange qui m'avait poussé à demander encore une fois les visas tant attendus.
- Alors moi, je vais te raconter la première partie de l'histoire, déclara mon beau-frère. Lors de ma visite chez le Rabbi, il y a quelques mois justement, dès que je suis arrivé, j'ai écrit un mot au Rabbi en mentionnant ton nom et ceux de tous les membres de ta famille en demandant que vous puissiez bien vite sortir d'URSS. Le jour même, j'ai reçu une réponse du Rabbi comme quoi tu recevrais très rapidement les visas nécessaires.
Nous avons récapitulé les dates exactes de nos interventions respectives et toutes les pièces du puzzle se mirent en place à la perfection !

Rav Chalom Dov Ber Raskin (zal)
Kfar Chabad n° 1510
Traduit par Feiga Lubecki