Dans la modeste salle de conférence de l’hôtel Medziotoju Uzeiga de la ville de Šiauliai en Lituanie, un groupe de Juifs s’était rassemblé pour célébrer ensemble le Séder autour de deux jeunes étudiants de Yechiva américains.
L’assistance était variée : survivants de l’ancienne Lituanie et Russes transplantés par les hasards de la guerre et du communisme triomphant dans cet ancien bastion de la Torah lituanienne, jeunes étudiants ignorants de leur héritage juif mais curieux d’en apprendre davantage, grands-pères à la mémoire vacillante des Pessa’h d’antan… Mais ils avaient un point commun qu’aucun tyran et aucune assimilation ou ignorance ne pouvait leur enlever : ils étaient juifs.

Les deux jeunes Américains tentaient d’intéresser les convives au déroulement du repas festif de Pessa’h. Quelques sourires apparaissaient sur les visages ridés de ces gens marqués par les épreuves, des regards étonnés se lisaient sur ceux des plus jeunes dont la curiosité s’éveillait : un monde nouveau se révélait à eux, une histoire ancienne devenait des plus modernes, un tyran s’était effondré et les chaînes de l’esclavage disparaissaient.
Dans un coin, à l’écart de la table, un homme âgé observait la scène. Il s’appelait peut-être Mendel, peut-être Moché – en russe, on l’appelait Micha. Il ne savait que faire de ce Séder et de ces étudiants rabbiniques nés aux États-Unis. Ils l’avaient persuadé de se joindre à eux mais ce n’était vraiment pas le genre de divertissement auquel il s’attendait. Il avait compris ce repas de fête comme une autre nuit passée à boire de la vodka et à chanter à tue tête des refrains folkloriques pour se réveiller le lendemain avec encore plus de nostalgie et de tristesse.
Le Séder progressait, ils avaient mangé les herbes amères, ils dégustaient maintenant la Matsa et la soupe de poulet.
Le général restait recroquevillé dans son coin, silencieux, perdu dans ses pensées : une vie passée comme officier de l’armée rouge l’avait laissé de marbre pour tout ce qui concerne les rites et les coutumes. Cependant, quelque chose l’attirait dans cet endroit, quelque chose qu’il n’arrivait pas lui-même à définir dans son esprit.
Le Séder s’achevait, on ouvrit la porte pour Eliahou Hanavi, le prophète Elie. Micha se leva en pensant qu’il serait agréable de sortir, de prendre un peu d’air, de griller une cigarette ou même de s’éclipser sans que personne ne le remarque. Mais il resta. On reversa la coupe d’Eliahou dans la bouteille, une des bougies sur la table vacillait puis s’éteignit.
Soudain un des étudiants de Yechiva sauta et se mit à danser de toutes ses forces en chantant avec enthousiasme, en russe cette fois-ci : «Niet, Niet, Nikavo… Il n’existe rien en dehors de Lui !». Les Juifs réunis autour de lui s’animèrent eux aussi et dansèrent longuement avec lui.
Micha regarda, hésita puis se joignit à la danse en chantant à pleins poumons : «Il n’existe rien en dehors de D.ieu !»
Les autres convives éclatèrent de rire tout en le regardant avec curiosité : «Toi ? Le général soviétique ? Depuis quand les soviétiques croient-ils en D.ieu ?»
Tout en continuant à danser, Micha mit la main sur son cœur et répliqua, calmement mais sans hésitation : «Moi aussi je suis juif !»

Mordechai Lightstone – www.chabad.org
Traduit par Feiga Lubecki

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