J’avais passé quelques semaines à Londres où j’avais pu procéder à des échanges fructueux avec des collègues dans mon domaine de recherche, l’épidémiologie.
Comme cette visite s’était révélée si intéressante, je reçus à mon retour aux Etats-Unis une invitation à revenir dans la capitale britannique, mais cette fois plus longtemps, pour trois mois au moins de travail en commun.
J’en parlai au directeur de mon université au Minnesota : l’offre était alléchante et il la considéra favorablement. Il exprima sa satisfaction et m’accorda bien volontiers le congé dont j’avais besoin en me promettant de me reprendre dès mon retour.
Tout était donc positif et à aucun moment je ne ressentis un problème quelconque. Néanmoins, comme j’étais déjà lié au Rabbi de Loubavitch à cette époque, je voulus lui annoncer la bonne nouvelle et demander sa bénédiction. J’expliquai dans ma lettre que j’avais contacté des institutions gouvernementales qui avaient accepté de prendre à leur charge une bonne partie des frais impliqués.
En effet, j’avais prévu de voyager avec mon épouse et mes enfants : il nous fallait donc louer un appartement à Stamford Hill et inscrire nos enfants dans les différentes écoles Loubavitch. Bien entendu, mon temps serait consacré à mes travaux de recherche mais j’espérais néanmoins disposer d’un peu de temps libre pour continuer mes études de ‘Hassidout et influencer d’autres Juifs à progresser dans le judaïsme.
J’ajoutai que si la réponse du Rabbi devait être négative, je pouvais encore tout annuler.
Jusqu’à cette époque, j’avais entendu de la part de centaines de ‘Hassidim que le Rabbi voyait les situations dans leur véritable perspective. Mais je dois avouer que j’étais un peu sceptique et que je n’y croyais pas vraiment.
C’est alors que je reçus la réponse du Rabbi, une réponse qui me fit complètement changer d’avis. Le Rabbi n’approuvait pas complètement mes projets et relevait des questions auxquelles je n’avais pas du tout pensé. J’en fus stupéfait.
A la première lecture, je ne compris pas du tout la lettre du Rabbi pourtant écrite en anglais. En effet le Rabbi précisait : «J’aurais posé comme préalable à ce projet la garantie que vous ne perdrez pas votre poste présent !»
A l’époque, ma situation à l’université était des plus sûres. J’entretenais de très bonnes relations avec la direction et je ne pouvais pas envisager une seconde que quelqu’un prenne ma place ! C’était la première fois que le Rabbi évoquait un tel problème ! Cependant j’avais déjà compris que, quand le Rabbi exprime des doutes, il ne convient pas de les balayer du revers de la main. 
Je faisais partie du personnel enseignant de cette université depuis 1959 et, au fur et à mesure, j’avais constaté que mon travail offrait toute satisfaction à mes supérieurs. Deux ans après mon embauche, j’avais reçu une invitation de la Nasa, l’agence spatiale américaine, pour rejoindre leur équipe de chercheurs.
J’avais été très honoré et heureux de cette invitation. Le président de l’université avait lui aussi été ravi de cette marque de reconnaissance de l’excellence de son équipe enseignante. Mais le directeur de mon département d’études y était opposé. Non pas par jalousie mais pour des raisons objectives : le travail de recherche que j’avais entamé à l’époque nécessitait une certaine continuité et mon absence, même momentanée, entraînerait des frais conséquents.
Cependant, le directeur de l’université m’encouragea vivement. Il me convoqua dans son bureau et me demanda de téléphoner devant lui à la Nasa pour signifier que j’acceptai l’invitation. Et il ajouta une phrase qui, sur le coup, ne m’interpella pas spécialement – mais que maintenant je comprenais mieux : «Quand j’aurai de nouveau besoin de vous, je vous contacterai et vous retrouverez votre place !»
J’avais donc rejoint la Nasa. Ce fut cinq années d’un travail passionnant qui m’apporta d’immenses satisfactions. Finalement, le directeur de l’université me rappela pour que je reprenne ma place : l’université avait noué des relations avec la Nasa et il était normal que je dirige les recherches conjointes puisque je connaissais bien les méthodes des deux nouveaux associés.
Mais ce que j’ignorais, c’est que le directeur de mon département de recherches – celui qui s’était opposé à mon départ à la Nasa – s’opposait maintenant à mon retour. Encore une fois, je ne pense pas qu’il ressentait une animosité particulière à mon égard mais il lorgnait certainement cette place enviable qui lui aurait assuré un avancement personnel conséquent.
Le «combat» s’était déroulé derrière mon dos et je n’en avais nullement conscience. Le président de l’université – après une longue discussion – avait conclu : «Je fais revenir le professeur Green et vous n’avez rien à redire à ce sujet !»
Ce n’est que des années plus tard, en 1965, quand je reçus cette lettre étonnante du Rabbi que j’appris tout ce qui s’était passé. J’évoquai devant le président de l’université les doutes du Rabbi quant à mon retour éventuel à mon poste : le Rabbi ne s’était pas opposé au voyage mais désirait que je m’assure que mon absence prolongée n’entraînerait pas ma mise au chômage. Moi-même je n’avais même pas imaginé ce qui s’était passé derrière mon dos ; mais le Rabbi savait !
Le président de l’université m’écouta et confirma qu’il prenait une responsabilité personnelle quant à l’assurance de mon retour : «Nous avons nous aussi de nombreux intérêts à ce voyage à Londres qui rehaussera le prestige de notre établissement !»
C’est ainsi que je pus me rendre à Londres pour un séjour prolongé, le cœur tranquille, sachant que personne n’en profiterait pour prendre ma place.

Professeur Velvel Green
Kfar Chabad n°1411
traduit par Feiga Lubecki