Veille de Roch Hachana. La communauté de Berditchev fait la queue devant la porte de son Rabbi, le légendaire Rabbi Lévi Its’hak. Cette année, contrairement à son habitude, il a exigé que chaque personne qui passerait devant lui avec sa lettre de Pydione Néfech (pour le rachat de l’âme) y joigne un rouble. Un rouble entier. Une somme assez conséquente en ces temps-là. Seulement à cette condition le Rabbi accepterait de prier pour que soient inscrits dans le Livre de la Vie tous ceux qui lui transmettraient leurs demandes.

Malgré leur pauvreté, les Juifs de Berditchev n’ont pas hésité : nul n’a questionné le Rabbi car chacun sait que lui seul connait les voies de D.ieu. Et chacun a gratté ses fonds de tiroir, quitte même à emprunter. Chaque chef de famille a compté et recompté pour être sûr d’avoir le nombre de roubles correspondant aux membres de sa maisonnée. Et maintenant ils font la queue pour passer devant le Rabbi qui leur souhaitera une bonne et douce année. Patiemment, Rabbi Lévi Its’hak écrit les noms de tous ceux qui se sont acquittés de la somme demandée. Bientôt le soleil se couchera et la nouvelle année va commencer. La queue est terminée et pourtant Rabbi Lévi Its’hak attend encore.

Soudain, une femme arrive, essoufflée. C’est une jeune veuve qui tient son petit garçon par la main. Elle éclate en sanglots : « Rabbi ! Je suis veuve ! Je n’ai que mon fils, la prunelle de mes yeux ! Très tôt le matin je travaille et je ne rentre que le soir, épuisée, pour ne gagner en tout et pour tout que de quoi nourrir mon enfant ! Malgré tous mes efforts, je n’ai réussi à économiser qu’un seul rouble ! Rabbi ! Prenez ce rouble et priez pour nous deux ! ».

Rabbi Lévi Its’hak, si connu pour être « l’avocat du peuple juif », toujours prêt à excuser même les fauteurs les plus cyniques, est cette fois inflexible :

- Je comprends votre peine, Madame mais avec un seul rouble, je ne peux prier que pour une personne et donc je ne vais écrire que votre nom dans ma liste. Votre fils est encore jeune, il s’en sortira…

- Pas question, s’écrie la dame, affolée. Ne faites pas cela, Rabbi ! Si vous ne pouvez prier que pour l’un de nous deux, priez pour mon petit Chlomo ! Qu’il soit inscrit et scellé dans le Livre de la Vie ! Quant à moi, peu importe ce qui m’arrivera…

En entendant ces pleurs et ces supplications, Rabbi Lévi Its’hak entra dans un état d’exaltation sublime. C’était justement ce qu’il attendait ! Tremblant d’une sainte excitation, il s’adressa directement à D.ieu !

- Maitre du monde ! Du haut du Ciel, regarde Ton peuple juif ! Comment une maman est prête à se sacrifier pour le bien de son fils unique ! Toi aussi, aie pitié de nous comme cette mère a pitié de son enfant et inscris-nous tous ensemble dans le Livre de la Vie !

* * *

Veille de Roch Hachana 2012 – Tioumen en Sibérie -

Une jeune femme arrive chez nous : cela fait un an qu’elle s’est rapprochée de la pratique du judaïsme – à pas de géant !

- Monsieur le Rabbin, je souhaite établir un bilan avec vous à l’aube de la nouvelle année. J’ai besoin de savoir ce qui va et ce qui pourrait être amélioré…

Étonné, j’attends la suite : en un an, cette femme et sa famille ont avancé avec détermination, avec conviction, avec sincérité et sans chercher de compromis dans la voie de la Torah, dans la pratique rigoureuse des Mitsvot :

- Cela fait déjà quelques mois que nous mangeons cachère, enfin c’est-à-dire que seuls des aliments cachères entrent dans notre maison, bien que nous n’ayons pas encore cachérisé notre cuisine. Vous pouvez écrire que nous prenons la bonne décision cette année, de cachériser notre cuisine, sérieusement et d’acheter tous les ustensiles nouveaux nécessaires.

Ah ! Et vous pouvez ajouter que mes filles et moi, nous avons décidé de nous habiller Tsniout, correctement, comme il convient pour les descendantes de Sarah, Rivka, Ra’hel et Léa. Par ailleurs, cette année, mon fils de sept ans a enfin été circoncis, le genre de résolution que je remettais toujours à plus tard et que j’ai enfin concrétisée… J’allume les bougies de Chabbat et des fêtes, avec mes filles, ma sœur et même ma mère qui pourtant ne voulait pas entendre parler de toutes ces choses-là à cause de son éducation communiste et athée.

Oui, nous respectons le Chabbat ! Je suis si heureuse de pétrir mes ‘Hallot tous les vendredis (et elles sentent si bon, un vrai délice !). Mon fils nous fait le Kiddouch avant le repas et toute la famille mange ensemble. La télévision et les ordinateurs sont éteints – et même les téléphones portables ! Nous respectons tout ce que nous avons réussi à apprendre chez vous, monsieur le Rabbin et avec votre épouse…

Elle respire profondément quand elle énumère une à une toutes ces étapes qu’elle a franchies cette année, en y associant toute sa famille.

- Cependant, il y a encore quelque chose qui manque dans ma pratique du Chabbat : il m’arrive parfois, sans faire exprès, que, par habitude, j’allume ou j’éteins la lumière ! Cela signifie que je transgresse le Chabbat ?

Ah ! Et encore un problème : le plus difficile, c’est la porte d’entrée de notre immeuble ! Nous n’avons pas beaucoup de voisins et il arrive parfois que nous soyons obligés d’attendre de longs moments dans le froid de Tioumen (en Sibérie !) jusqu’à ce que quelqu’un nous ouvre cette porte électrique, pour mon fils et moi-même. La famille s’inquiète mais surtout, nous risquons de geler sur place à force d’attendre devant la porte ! Il faut que l’un de nous deux appuie sur le bouton. Je ne veux pas que mon fils salisse son âme et transgresse le Chabbat : alors je me dévoue et j’appuie moi sur le bouton !

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Sans m’en rendre compte, des larmes coulent le long de mes joues.

Je me reprends et j’explique à cette dame comment agir dans ce cas et lui donne un « truc » qui a été mis au point par les Rabbanim pour ouvrir ce genre de porte d’une façon permise le Chabbat.

Et je ne peux m’empêcher de penser à Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev : qu’aurait-il dit en écoutant ce bilan spontané ?

« Maître du monde ! Du Haut du Ciel regarde Ton peuple Israël ! Vois comment une femme juive a pitié de son fils adoré ! Pour lui, elle est prête à se sacrifier ! Vois les dilemmes auxquels nous sommes confrontés pour respecter le saint Chabbat ! Envoie-nous déjà le Machia’h qui nous délivrera de ce long exil ».

Puissions-nous tous être inscrits et scellés pour une vie de Torah et de Mitsvot pour l’année à venir, ensemble avec toutes ces âmes prêtes à se sacrifier et pour lesquelles certainement les portes du Ciel sont grandes ouvertes !

Rav Yerachmiel Gorelik – Chatz Lelo Minyane

Traduit par Feiga Lubecki