Mon père est né à Mounkatch en Tchécoslovaquie (actuellement Mukachevo en Ukraine). Il y fréquenta la Yechiva du Rabbi de Mounkatch, Rav ‘Haïm Eléazar Spira, l’auteur du livre Min’hat Eléazar.

En 1944, les Nazis déportèrent les Juifs de la ville dans des ghettos puis à Auschwitz et enfin à Dachau. Ils y endurèrent des souffrances inimaginables et, au bord de la mort par maladie, mon père fut sauvé grâce à l’intercession de son père auprès du responsable de la cuisine, Oscar Heller, qui lui accorda quelques morceaux de nourriture supplémentaires.

Après la guerre, mon père parvint en Australie, le plus loin possible de l’Europe. Il s’y maria et monta une entreprise de textile florissante. Mais, à cause du traumatisme de la Shoah, il ne mettait plus en pratique les Mitsvot. Ce n’est qu’en 1956 qu’il accepta d’entrer dans une synagogue, pour ma Brit Mila (circoncision) : il était fâché avec le bon D.ieu.

Alors que mon père se remettait quelque peu et commençait à reprendre goût à la vie, ma mère décéda à l’âge de 38 ans : mon frère et moi n’étions que des adolescents et ce drame ne fit que renforcer l’amertume de mon père et son ressentiment vis-à-vis de D.ieu.

Puis, comme si cela ne suffisait pas, j’ai commencé moi à m’intéresser au judaïsme et, après le lycée, je décidai d’aller étudier à la Yechiva Loubavitch de Melbourne. Quand mon père me vit porter la Kippa et les Tsitsit, il ne put le supporter et tenta de me convaincre de quitter la Yechiva. Comme je résistais, il décida de se rendre à New York et d’en parler avec le Rabbi. Je suppose qu’il envisageait d’offrir une belle contribution pour ses institutions et que, reconnaissant, le Rabbi accepterait de m’inciter à quitter la Yechiva.

Il entra donc en Ye’hidout (entrevue privée) auprès du Rabbi en 1975 mais ce n’est que des années plus tard que j’appris ce qui s’était passé. En entrant, mon père refusa de s’asseoir devant le Rabbi qui lui offrait une chaise : « J’ai appris à Mounkatch qu’on ne s’assied pas devant un Rabbi ! ». A cela, le Rabbi répondit : « Si vous ne vous asseyez pas, je ne m’assiérai pas non plus ! ».

Le Rabbi se leva et resta debout derrière son bureau ! A un certain moment, il s’avança et se tint à côté de mon père. Il lui posa de nombreuses questions sur le Rabbi de Mounkatch, sur ce que mon père avait étudié à la Yechiva. Puis il lui posa des questions sur la guerre : les ghettos, les camps... Quand mon père commença à parler de cela, il éclata en sanglots. Le Rabbi posa son bras sur son épaule…

Ils n’avaient pas du tout effleuré la question de mon séjour à la Yechiva.

Quand la conversation cessa, le Rabbi réconforta mon père : « Ne vous inquiétez pas, tout ira bien ! ».

Mon père ne m’avait jamais raconté tout cela mais le fait est qu’il cessa de tenter de me persuader de quitter la Yechiva. Ce n’est que récemment qu’il a raconté tout cela à mon fils ‘Haïm et, comme j’insistais, à moi aussi. Mon père résuma ainsi cette Ye’hidout si particulière : « Quand j’en suis sorti, je me sentis comme libéré d’un grand poids sur mes épaules ! ».

Bien plus tard, à la fin des années 80, mon frère, mon père et moi-même sommes allés ensemble au 770 Eastern Parkway alors que le Rabbi distribuait du gâteau au miel durant Souccot. Quand le Rabbi aperçut mon père dans la queue, il stoppa la queue et fit signe à mon père (qu’à l’évidence il avait reconnu parmi ces milliers de personnes) d’avancer. Ils se parlèrent durant trois à quatre minutes. Le Rabbi demanda comment il allait et comment la situation avait évolué depuis la dernière fois mais mon père ne nous raconta jamais aucun détail sur cette conversation impromptue.

Cependant, il nous fit part d’une autre surprise qu’il avait expérimentée. Mon père avait connu le regretté Mena’hem Begin bien avant que celui-ci ne devienne le Premier ministre d’Israël : de fait, il était l’un de ses principaux soutiens financiers. Ils se rencontrèrent une fois pour un dîner à Paris – je crois que c’était en 1975 – et mon père lui demanda : « A votre avis, qui est le plus grand dirigeant du peuple juif ? ». Et, sans hésiter une seconde, Begin répondit immédiatement : « Le Rabbi de Loubavitch ! ». Mon père n’en revenait pas et lui demanda la raison de son affirmation. Begin expliqua que le Rabbi avait élevé toute une génération après la Shoah et avait aidé le peuple juif à croire à nouveau en lui-même.

Et cela, mon père qui l’avait lui-même expérimenté pouvait parfaitement le comprendre et y adhérer…

Au début des années 90, mon père fut confronté à de gros problèmes commerciaux. Il avait investi des capitaux considérables dans le textile en Australie mais tout s’écroula avec l’entrée en force de la Chine sur le marché international. Lui et son associé employaient des milliers de personnes dans leurs usines : leur faillite impliquait donc tout un pan de la population. L’émissaire du Rabbi à Sydney, Rav Pin’has Feldman conseilla à mon père et son associé d’écrire au Rabbi. Ils pensaient que le Rabbi leur donnerait quelques conseils commerciaux de bon sens pour leurs affaires mais ce ne fut pas le cas. Le Rabbi leur demandait simplement de faire vérifier leurs Téfilines. Or ni l’un ni l’autre ne mettaient les Téfilines à l’époque. Ils commencèrent donc à les mettre sérieusement chaque jour et, rapidement, leurs affaires reprirent – même s’il leur fallut plusieurs années pour retrouver vraiment leur fortune initiale.

C’est tellement extraordinaire ! Ils s’attendaient à des conseils « pratiques » mais ce fut une aide toute différente qu’ils reçurent. Ceci illustre plus que tout comment le Rabbi désirait que les gens deviennent eux-mêmes les réceptacles qui leur permettraient de recevoir les bénédictions du Ciel.

Meir Moss – Sydney (Australie) - JEM

Traduit par Feiga Lubecki